« Sous les radars » (11/12). Cachés ou invisibles, souterrains ou au-dessus de nos têtes, L’Écornifleur s’est rendu dans des lieux qui échappent aux regards. Face à la vulnérabilité d’un proche, de nombreux jeunes grandissent en endossant un rôle qu’ils n’ont pas choisi, jonglant entre leurs études, leurs activités et de lourdes responsabilités. À Lyon, La Pause Brindille leur offre un espace pour se ressourcer et s’exprimer librement.

Dans les locaux du 1er arrondissement de La Pause Brindille, on sème le soutien et on récolte les sourires @SusieWaroude

En pleine pandémie de Covid-19, Axelle Enderlé, mère de deux filles, dont la plus jeune atteinte d’un handicap, prend conscience qu’elle accorde souvent moins d’attention à son aînée, submergée par les défis liés à la cadette. C’est de ce constat personnel qu’est née, entre 2019 et 2020, l’association La Pause Brindille. Confrontée à un manque de ressources pour la soutenir, elle décide de fonder l’association et en devient la directrice. La Pause Brindille s’articule autour de quatre grands axes : sensibiliser, libérer la parole, soutenir et créer une véritable communauté. « Une brindille seule est fragile et friable, mais ensemble, elles peuvent allumer des étincelles et créer un nid », explique-t-elle.

L’équipe est maintenant composée de douze membres travaillant régulièrement aux côtés de bénévoles. Tous reçoivent une formation pour adopter une posture d’écoute active et sont supervisés par un psychologue. Dans les locaux, ouverts de 9 heures à 18 heures du lundi au jeudi, l’ambiance est conviviale. Les rires de Maëlle, la coordinatrice, et de Fanny, chargée de communication, résonnent pendant qu’Émy fait du thé. Diplômée en psychologie, cette dernière a choisi un master en gestion de projets dans l’économie sociale et solidaire (ESS). Aujourd’hui, elle organise des événements au sein de l’association. « Ce que je voulais, c’était écouter et aider les autres, mais pas forcément en tant que psychologue », déclare-t-elle.

« Une safe place pour être écouté de manière bienveillante »

Depuis 2021, Emy est responsable de Brind’Partages, des journées dédiées aux jeunes aidants, répartis par tranches d’âge : 7-12 ans, 13-17 ans et 18-25 ans. « L’objectif, explique-t-elle, c’est de leur offrir un espace pour souffler et se retrouver entre jeunes, en dehors des responsabilités qu’ils endossent au quotidien ». Escape games, ateliers de cuisine, sorties au marché de Noël ou encore peinture : en 2023, 24 Brind’Partages ont été organisés à Lyon et dans le Rhône. Les ateliers n’autorisent aucune intervention extérieure : « Nous voulons leur offrir un moment de répit qui leur est entièrement dédié » justifie Émy.

Un atelier sensoriel au goût d’Italie chez Trattino, restaurant au cœur du 7ème arrondissement de Lyon @EmyMartelin

L’association élargit aussi ses actions sur tout le territoire grâce à une approche « phygitale » (physique et digitale). Brind’Écoute, le service d’écoute anonyme en ligne, est au cœur de ce dispositif. Accessible par appel, SMS ou tchat et gratuit, il permet aux jeunes de trouver une oreille attentive. « Brind’Écoute, à mes yeux, c’est une safe place pour discuter, être écouté de manière bienveillante, sur laquelle on peut tout dire et parler sereinement de choses légères comme plus difficiles » témoigne un jeune aidant. En 2023, 3 300 messages ont été échangés et 14 heures d’appels enregistrées, une preuve tangible du besoin d’un tel service.

Avec la série de vidéos « Ma Parole » et ses podcasts « Bien Cachés », l’association donne de la voix aux jeunes aidants. Juliette, 14 ans, témoigne au micro : « Aujourd’hui je suis ici parce que ma grande sœur est atteinte de bipolarité et de trouble borderline. C’est très difficile au quotidien, elle change d’humeur facilement et elle est fatiguée. Je fais l’atelier journalisme car j’aimerais m’amuser et me détendre ». En 2023, les témoignages diffusés sur les réseaux sociaux ont touché plus de 1,1 million de personnes, permettant à de nombreux jeunes de se reconnaître dans ces expériences partagées. La même année, l’association a organisé les premières Rencontres de la Jeunesse Aidante, un événement mêlant témoignages, tables rondes et propositions artistiques. Dans cette logique, le Tribu Brindille Festival voit le jour le 6 juillet 2024. « L’objectif est de faire la fête, de sortir de son quotidien et surtout de donner de la voix à tous les enfants, adolescents et jeunes adultes qui soutiennent un proche » précise Émy.

Une cause à faire briller au niveau national

En trois ans, La Pause Brindille a bâti une véritable communauté de soutien pour les jeunes aidants. Avec plus de 25 000 abonnés sur les réseaux sociaux, 2 000 jeunes sensibilisés lors d’ateliers y compris dans les établissements scolaires, et un réseau de 30 partenaires, l’association s’attèle à lever les tabous et à offrir des espaces adaptés à ces jeunes en difficulté. « Beaucoup ne se sentent pas légitimes », regrette Émy.

Grâce à son engagement, l’association bénéficie aujourd’hui d’un soutien financier stable, notamment en tant que lauréate du programme La France s’engage ainsi que grâce aux subventions de partenaires financiers et opérationnels comme la Métropole de Lyon ou l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes.

Alors que le Premier ministre Michel Barnier a annoncé que la santé mentale serait la grande cause nationale de 2025, et que son prédécesseur Gabriel Attal appelait déjà en janvier 2024 à accorder une attention prioritaire aux jeunes, les jeunes aidants restent en marge des préoccupations politiques. La Pause Brindille poursuit donc sa mission ambitieuse : offrir un soutien et de la visibilité à ces jeunes qui assument des responsabilités trop lourdes pour leur âge. « Notre rôle, c’est d’être un relais, un appui. Et surtout, de leur rappeler qu’ils ne sont pas seuls », conclut Émy.