« Sous les radars » (5/12). Cachés ou invisibles, souterrains ou aux-dessus de nos têtes, L’Écornifleur s’est rendu dans des lieux qui échappent aux regards. Au cœur du campus de la Doua, l’Institut de Physique des deux Infinis (IP2I) réunit 250 chercheurs travaillant sur des sujets allant de la plus petite particule élémentaire aux plus grands amas de galaxies. Une polyvalence qui fait la force du laboratoire et lui accorde une visibilité internationale. 

Salle blanche du Laboratoire des Matériaux Avancés où les miroirs qui ont permis la découverte des ondes gravitationnelles sont élaborés. © IN2P3 Patrick Dumas Fev 2019.

Le CERN, la NASA et Elon Musk en connaissent l’adresse : « On est plus connu à l’international qu’au sein de l’université. » À l’Institut de Physique des deux Infinis (IP2I) de Lyon, Laurent Pinard, le directeur du Laboratoire des Matériaux Avancés (LMA), qui travaille avec l’Europe, le Japon et les États-Unis, explique qu’au cœur de l’Université Claude Bernard (Lyon 1) la plupart ne connaissent pas l’existence du laboratoire.

Situé à trois arrêts du terminus de la ligne de tramway T1, l’institut rattaché au CNRS et à l’université, occupe un bâtiment principal de cinq étages qui regroupe une équipe de 250 personnes : des chercheurs, des ingénieurs et des doctorants. Si certains travaillent sur l’origine de l’univers et les amas de galaxies, il suffit de changer de bureau dans les longs et austères couloirs de l’institut pour changer d’échelle et trouver des études sur les plus petites particules.

C’est la singularité de l’IP2I qui rassemble des études sur l’infiniment petit et l’infiniment grand. Pour autant, dans le bâtiment principal, au 4 rue Fermi, la plupart des bureaux se ressemblent. Si l’institut possédait autrefois trois accélérateurs de particules, aujourd’hui, on compte plus d’ordinateurs et de calculatrices que de machines.

Les petites mains des révolutions scientifiques

La directrice de l’institut, Anne Ealet, explique que les laboratoires comme celui-ci sont les petites mains invisibles. « On ne les voit pas souvent, c’est dommage. » Ainsi, la découverte en 2012 au CERN du Boson de Higgs, véritable révolution de la physique, a été possible grâce à l’élaboration de détecteurs spécifiques à l’IP2I.

L’autre révolution récente de la physique a été la découverte en 2016 des ondes gravitationnelles, théorisées par Albert Einstein, un siècle auparavant. L’institut y a aussi participé, en créant des miroirs permettant leur détection. Pour en parler, il faut traverser une passerelle pour rejoindre le Laboratoire des Matériaux Avancés.

Dans la salle blanche du Laboratoire des Matériaux Avancés le sol est perforé pour permettre à l’air d’être filtré 400 fois par heure et les chercheurs sont toujours équipés d’une tenue spéciale. © Cyril FRESILLON LMA CNRS Photothèque 2016

À la porte du LMA, un panneau indique que l’entrée est interdite sans autorisation. Une fois à l’intérieur, il faut mettre des surchaussures en plastique bleu et se faire au bourdonnement constant du filtre à air. Une véritable guerre contre la poussière est menée. Toutes les opérations se font dans une « salle blanche » où aucune particule ne doit perturber le processus. L’erreur n’est pas permise avec des enjeux de centaines de milliers d’euros.

C’est une précision comme nulle part ailleurs, et le laboratoire équipe les trois grands détecteurs d’ondes gravitationnelles du monde. Pour illustrer son travail, Laurent Pinard, le directeur du laboratoire, explique que c’est comme s’il fallait créer un désert de la taille du Grand Lyon parfaitement plat sans dépasser du moindre grain de sable.

Un travail d’une extrême minutie, qui a requis de longs efforts. Le directeur du LMA qui a débuté sa carrière dans ce même laboratoire se remémore : « J’ai commencé en 1995, ça a coûté beaucoup d’énergie et de nuits blanches. »

Vers l’infiniment grand et l’au-delà petit

La découverte des ondes gravitationnelles est une révolution pour la physique. Selon Anne Ealet, c’est le premier jour de quelque chose de nouveau. Le temps de la science est long, et elle en est consciente : « Ce n’est pas moi qui vais le voir, c’est à la jeune communauté de faire les choix. »

Photo de la nébuleuse de la Tête de Cheval prise par la mission Euclid dont Anne Ealet a été une membre fondatrice. © ESA/Euclid/Euclid Consortium/NASA, image processing by J.-C. Cuillandre (CEA Paris-Saclay), G. Anselmi

Elle le sait bien, elle a participé en 2006 à la fondation du projet Euclid de L’Agence Spatiale Européenne (ESA) dont les analyses de résultats commencent à peine alors que la mission a décollé sur un lanceur SpaceX en 2023. « On essaie de faire la cartographie des galaxies », explique-t-elle. L’IP2I a construit les détecteurs infrarouges.

« Il y a des questions philosophiques et métaphysiques à poser. »

À la tête de l’institut, elle souhaite que les recherches sur un infini nourrissent l’autre infini. Son rêve était de partir des recherches cosmologiques pour orienter les recherches de l’infiniment petit. Alors qu’on ne connaît que 4 % de la matière de l’univers, plutôt que de construire continuellement de nouveaux outils qui prennent une génération à élaborer, et qu’on ne sait d’ailleurs plus où chercher depuis la découverte du Boson de Higgs, la directrice dit qu’il faut se demander selon si la science prend la bonne direction. « Il y a des questions philosophiques et métaphysiques à poser. »

Or, avec un système de la recherche ultra-concurrentiel les jeunes chercheurs sont mis face à la pression de publier le plus possible, et n’ont pas ce temps selon elle. Au quatrième étage de l’IP2I, Brodie Popovic, qui est venu des États-Unis pour travailler sur les supernovæ, le confirme. Il se sent obligé de publier le plus possible pour pouvoir trouver un travail plus tard.

La directrice parle d’un devoir de bienveillance envers la nouvelle génération de chercheurs afin de leur donner du temps. Dans sa gestion de l’IP2I, elle se fait accompagner par des psychologues du travail pour créer un collectif rassurant où la parole est libre. « L’extérieur est agressif, nous devons construire un intérieur rassurant. »

  • Massimo Goyet

    Après six mois de stage dans la revue professionnel InterG, il aurait pu se spécialiser dans l’intergénérationnel. Au lieu de ça, Massimo écrit sur des rappeurs dont vos parents ne connaîtront jamais le nom. Rare lyonnais d’origine de l’Écornifleur - et fier de l’être - il ambitionne d’enrichir les pages culture et société du journal « avec la manière ».

Rédigé par

Massimo Goyet

Après six mois de stage dans la revue professionnel InterG, il aurait pu se spécialiser dans l’intergénérationnel. Au lieu de ça, Massimo écrit sur des rappeurs dont vos parents ne connaîtront jamais le nom. Rare lyonnais d’origine de l’Écornifleur - et fier de l’être - il ambitionne d’enrichir les pages culture et société du journal « avec la manière ».