« Sous les radars (6/12) ». Cachés ou invisibles, souterrains ou aux-dessus de nos têtes, L’Écornifleur s’est rendu dans des lieux qui échappent aux regards. Dans le Vieux-Lyon, le Boui Boui propose plusieurs spectacles comiques par jour, du lundi au dimanche. Depuis 30 ans, la scène de ce café-théâtre est une rampe de lancement pour la carrière des humoristes lyonnais·es.
« On ne va pas tarder à descendre », annonce Patrick Latorre, responsable du Boui Boui. Dans ce café-théâtre du Vieux-Lyon, la scène se trouve au sous-sol.
Au-dessus de l’escalier qui mène à la scène, des flyers et des affiches témoignent des spectacles passés. Florence Foresti, Antony Kavanagh, Bruno Guillon, Gérémy Crédeville, Élodie Arnoult ou Alex Ramires, tous·tes sont passé·es par cette institution lyonnaise ouverte en 1994. Derrière le bar, au rez-de-chaussée, Patrick se souvient : « C’était la génération dorée, comme au temps de Zidane. Des pépites comme celles-ci, on en repère une fois tous les deux ans. »
Tantôt régisseur, tantôt auteur, tantôt chauffeur de salle, Patrick décrit le Boui Boui comme un « centre de formation intensive ». L’apprentissage s’y fait sur scène, en direct avec le public.
En ce lundi du début du mois de décembre, Brice Larrieu interprète l’agent de police Jean Quête, dans Ma vie en Bleu, un seul-en-scène écrit par Patrick Latorre. Le spectacle s’ouvre sur le tube du groupe Eiffel 65 : « I’m Blue ». Sur la scène, noire, entourée de murs noirs, le comédien aux yeux azurs annonce la couleur : « Ce n’est pas du lard, ni du cochon. C’est du poulet ! ». Entre les murs rouges, onze chaises recouvertes de velours pourpre sont dépliées, autant que le nombre de spectateur·ices présent·es ce soir-là. Si la capacité de la salle peut atteindre 70 sièges, la fréquentation est dans sa moyenne : « Habituellement, on joue devant 4 à 20 personnes », estime Brice Larrieu.
Partir un jour, avec ou sans retour
Loin du public restreint de la presqu’île, l’auteur et son comédien souhaitent emmener cette création jusqu’au Festival d’Avignon. Avant d’atteindre leur objectif, les deux amis affinent le texte et la mise en scène. « Il faut au moins 30 à 40 représentations pour commencer à avoir quelque chose de sympa. Un spectacle, c’est comme un plat qui mijote », explique Patrick.
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Lyon est devenue une résidence privilégiée pour bon nombre d’artistes. L’interprète de Jean Quête analyse : « À Lyon, le public a envie de s’amuser. Ils savent qu’il y a une bonne programmation. À Paris, le public est dans le jugement. » Lyon présente aussi un avantage financier. Dans la capitale ou à Avignon, les humoristes sont souvent obligé·es de louer les salles voire de payer une avance sur les places. Au Boui Boui, « c’est 50/50 entre les artistes et le café-théâtre », explique le responsable multi-casquette. Les humoristes peuvent roder leurs spectacles en s’assurant un cachet et de précieuses heures qui leur permettront de maintenir leur statut d’intermittent·e du spectacle. Pour Patrick, « il faut laisser le temps aux artistes de s’installer, puis, les laisser partir ailleurs ».
Une fois que les humoristes ont pris leur envol, rien ne les empêche de retourner au nid. Après une tournée et plusieurs dates à Paris avec son spectacle Hymne à la joie, Thaïs Vauquières est de retour dans la petite salle lyonnaise qui l’a vue débuter avec un nouveau seule-en-scène intitulé Fille de joie. À la mise en scène, on retrouve Stéphane Casez, propriétaire des murs du Boui Boui depuis son ouverture.
« On joue à hauteur d’Homme, pas au-dessus »
Fanfan clôt la programmation du lundi avec son spectacle Mais que vont dire les voisins. Elle utilise son « statut précieux » d’humoriste pour dénoncer ou dédramatiser. Selon Patrick, cette prise de recul par rapport aux situations de la vie courante est primordiale : « Les meilleurs humoristes sont meilleurs observateurs. Les gens viennent au café-théâtre pour que ça parle d’eux. » De la même manière, Brice Larrieu intègre le public à ses prestations : « On joue à hauteur d’Homme, pas au-dessus. »
Comme les grands entraîneurs de football, Patrick propose des séances de visionnages à celles et ceux qui jouent : « On met la caméra en fond de salle et on regarde comment les gens rient. » Malgré le travail, le résultat doit paraître « naturel et sans dorures », selon le coach qui cite : « Comme dit mon patron Stéphane, un bon spectacle, tu n’en vois pas les coutures. »
Tous ses efforts resteront vains face au mépris de certains publics, d’après le responsable du Boui Boui : « Les théâtreux ne viendront jamais. On fait le même métier mais on n’a pas la même façon de l’aborder. » Il précise : « On n’a pas fait d’études. On ne passe pas de casting. Dans le café-théâtre, tu prends un micro et très vite, tu vas très haut. »