« Sous les radars » (7/12). Cachés ou invisibles, souterrains ou au-dessus de nos têtes, l’Écornifleur s’est rendu dans des lieux qui échappent aux regards. Toutes les nuits, trois agents nettoient les rames de la ligne D du métro Lyonnais. Horaires décalés, vomis et stickers de l’OL, immersion auprès de ces travailleurs invisibles.
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Quand les métros ont fini leur service, les agents de propreté commencent le leur. À l’Est de Vénissieux, près du parc Parilly, trône l’Unité de Transport Métro ligne D (UTMD). Un centre de près de quatre hectares dans lequel le matériel du Métro D est entretenu.
La base de garage, un dépôt couvert de 6000m2, compte cinq quais. Elle est consacrée au nettoyage quotidien des 72 wagons (36 rames) transportant 223 000 passagers par jour. Chaque nuit, de 20h à 4h du matin, seuls trois hommes sont présents pour les laver.
Entre deux voies le long desquelles les rames sont alignées, le couloir de jonction, dont la largeur n’excède pas un mètre, semble infini. Ce jeudi à 21h, deux chariots de ménage sont installés devant les portes coulissantes.
En « inspection constante » dans le métro
Le premier est celui de Nathan*, 23 ans. Ça fait plus d’un an qu’il a rejoint Atalian, entreprise en charge de l’entretien du métro D, l’un des prestataires de la société de transports en commun Keolis. Posté dans la rame n°356, il vient d’enlever un petit graffiti noir inscrit « Naïma ». Mais le plus pénible à enlever, « c’est les chewing-gums », affirme-t-il, lingette à la main. « Je mets à peu près 20 minutes à faire une rame. » Un protocole en cinq étapes : balayer, chiffonner sur le haut des sièges, nettoyer les tags et les stickers, laver les vitres, passer la serpillière.
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Ahmed*, chef d’équipe, est présent quasiment tous les soirs et vient parfois prêter main forte au personnel. Dès qu’il prend le métro, il ne peut s’empêcher de contrôler l’état du wagon. « Je suis en inspection constamment, confie-t-il. Dès que je vois un sticker dans une rame, je regarde son numéro pour savoir laquelle sera plus longue à laver. » Parmi les autocollants les plus répandus reviennent ceux de l’OL ou de l’équipe adverse les jours de match, et des vignettes pro-palestiniennes.
« On n’a toujours pas eu de vomis »
Quelques wagons plus loin, Abou finit le balayage de la rame n°372. Exit les paquets de chips, les feuilles à rouler et les sacs plastiques. Ce soir, les rames ne sont pas si sales : « on n’a toujours pas eu de vomis », glisse l’homme de 46 ans qui prévoit un masque spécial pour atténuer les odeurs. « Le pire, c’est les vendredis ou les samedis. Avec les gens qui font la fête, il y en a pleins. » Avant les métros, Abou a lavé les bus pendant deux ans et demi. Un travail tout aussi difficile. « Ici, c’est long car la surface est plus grande mais dans les bus, il y a plus de recoins et d’angles à faire. »
À UTMD du lundi au vendredi, lui, ne « sort pas du week-end ». Il ne dort que quatre à cinq heures par jour, profitant des créneaux où ses enfants de 1 et 4 ans sont gardés ou à l’école. En dehors du dépôt, « je dors tout le temps », appuie Nathan, également impacté par la difficulté des horaires de nuit.
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« C’est un boulot hyper physique », reconnaît Tamen, responsable clientèle d’Atalian auprès de Keolis, mais qui a « commencé en bas ». Désormais, les salariés du nettoyage nocturne sont en CDI. Un « statut rare », assure-t-il, pour les agents de propreté, habitués à multiplier les contrats précaires et au travail en coupure. Il précise que la prise en main de la branche métro et tramway de Keolis par la RATP, annoncée en mars dernier et effective dès le 1er janvier 2025, n’aura aucun impact sur les contrats des agents de propreté.
Si peu de personnes n’ont l’occasion d’accéder au dépôt, il peut servir de lieu de tournage. En 2019, Gims y est venu filmer le clip de « Reste ». « J’ai réussi à avoir une photo avec lui mais entre-temps j’ai changé de téléphone et je ne l’ai pas retrouvée », dit Ahmed, mi amusé, mi désolé.
À 5h, quelques rames partiront à vide à l’autre bout du terminus, Gare de Vaise, pour assurer la circulation de la ligne dans les deux sens avant 6h. Signe d’une fin de soirée pour Nathan et Abou.
*Ces prénoms ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.