Alors que le soleil se couche sur Fourvière, l’Ecornifleur vous embarque dans le monde de la nuit auprès des noctambules et travailleurs de l’ombre.
Un mercredi soir sur deux, Fatima, Hugo et quelques bénévoles de l’association Mamaraude se rassemblent dans le 2e arrondissement lyonnais pour distribuer un repas chaud à celles et ceux qui en ont besoin. Dans le froid de la nuit, ils proposent un moment chaleureux aux personnes qu’ils croisent.
« Toi, tu seras monsieur café et toi madame compote ! », s’exclame Fatima, qui répartit vite les premières tâches entre les bénévoles présents ce soir de décembre. Comme à chaque fois, le mot d’ordre est clair : « On donne à tous ceux qui viennent, qu’ils soient à la rue ou non, personne n’a rien à justifier. »
Il est 19h05, et tous se sont déjà rassemblés place Bellecour : une assistante maternelle, une consultante spécialisée en fusion-acquisition ou encore un étudiant en anthropologie sont présents cette fois-ci. Les bénéficiaires habitués sont au rendez-vous et accueillent toute l’équipe avec de grands sourires. Mais la star, c’est Fatima, assistante maternelle et cofondatrice de l’association. « Fatima, c’est la meilleure ! », s’écrie Gégé, un bénéficiaire, dès qu’il l’aperçoit. « Si un soir, elle n’est pas là, tout le monde va nous demander où elle est », s’amuse Nadine, bénévole et amie de longue date de l’intéressée.
« Ça fait plaisir de vous voir cette semaine »
Il faut dire que c’est Fatima qui cuisine, et pas n’importe comment. Dès l’ouverture des marmites, on sent déjà l’odeur réconfortante des épices qui parfument son plat. Au menu ce soir : poulet, flageolets et légumes, issus des invendus récupérés auprès de cantines et de supermarchés. « Tout ce dont on a besoin pour résister au froid », souligne la cuisinière.
En plus d’être un as des fourneaux, « tata », comme certains la surnomment, connaît tout sur tout sur tout le monde, des prénoms jusqu’aux allergies alimentaires. « Mets une grosse portion pour Mariama, ils sont cinq chez elles », indique-t-elle à Pierre, 19 ans, bénévole en charge du service ce soir-là.
Certains mangent sur place pour avoir le temps de discuter, assis sur les marches de la place Antonin Poncet. D’autres choisissent de prendre à emporter. Balou, Lolo et Gégé, préfèrent la première option : « Ça fait plaisir de vous voir cette semaine ! » sourient-ils. Après un arrêt marqué place Bellecour, rendez-vous attendu des habitués, le groupe se met en route. Armé de gros cadis à fleurs, de sacs de courses débordant de pain de mie, de briques de soupe, de couvertures, et d’un chariot pour transporter les marmites et les thermos qui débordent, le convoi va sillonner les rues entre la place Bellecour et l’Hôtel de ville.
Ce soir-là, on compte neuf bénévoles, c’est un peu plus qu’à l’habitude. « On essaie de ne pas être plus de six », explique Hugo, cofondateur de l’association, « comme ça c’est plus agréable pour les personnes qu’on aide, on préfère être un groupe à taille humaine ». Fatima confirme : « le but, c’est aussi de pouvoir parler avec les gens et d’apprendre à les connaître. »
« Quelque chose qui ait du sens »
Les maraudeurs connaissent la carte du centre de Lyon par cœur. Formée en mars 2020, dès les premiers jours du confinement, Mamaraude fait le choix de toujours œuvrer sur le même parcours. « C’est comme ça qu’on peut tisser des liens avec les gens », explique Fatima. Ces liens sont si forts que c’est un des habitués des maraudes qui trouve le nom de l’association. « Il m’a dit que j’étais comme la maman des SDF, c’est pour ça qu’on s’appelle comme ça ! » confie la cofondatrice.
Elle reprend : « et puis, l’important, c’est de ne pas faire une maraude fixe, sinon il y a plein de gens qui ne viendraient pas nous voir ». Les personnes sans-abris sont en effet souvent atteintes de troubles psychiatriques, et ne supportent pas la foule qui viendrait avec une distribution fixe. Ces liens permettent aussi de suivre les parcours de vie des bénéficiaires. Beaucoup luttent contre des addictions aux drogues dures, héroïne et crack le plus souvent. « Parfois ils arrêtent de venir parce que ça va mieux, et ils reviennent quelques mois après parce qu’ils ont rechuté », constate Fatima.
« C’est dur de voir des gens comme ça, surtout quand il fait froid, mais quand on rentre chez soi on est vraiment content, on sait qu’on a fait quelque chose de bien » explique Nadine, qui participe régulièrement aux maraudes depuis le mois de septembre. Florine aussi est une habituée depuis la rentrée « J’avais besoin de faire quelque chose qui ait du sens », explique-t-elle. Ce rendez-vous est ainsi devenu un rituel essentiel pour les bénéficiaires comme pour les bénévoles. « Bien-sûr, j’espère qu’un jour il n’y aura plus de SDF dans les rues, mais je sais que je serais quand-même triste, j’aurais vraiment perdu quelque chose » sourit Fatima.
Il est 22h30, les sacs, cadis et chariots se sont vidés, les bénévoles quittent la presqu’île lyonnaise. Plus qu’un rapide aller-retour au garage qui sert de stockage pour aller chercher une dernière couverture pour un couple de Macédoniens croisé à Hôtel de ville. Le Samu social était trop occupé ce soir-là pour répondre à leur demande. La fatigue se fait sentir chez les bénévoles, mais un sourire de satisfaction figure sur chaque visage. « Il y en a qui vont à la salle de sport, moi, je fais des maraudes, ça me fait du bien pareil », glisse Fatima.
Rosa-Lou Boccard-Seltzer