Situé sur la rive gauche du Rhône, le quartier de la Guillotière et sa mixité sociale et culturelle font l’objet de multiples fantasmes. Les journalistes de l’Ecornifleur s’y sont baladés, à la rencontre de celles et ceux qui font la singularité du quartier.
Antoine, 31 ans, est salarié aux Clameurs, bar associatif situé au cœur de la Guillotière. Il raconte son engagement dans ce lieu fédérateur.
Antoine est assis sur les marches en bois de l’escalier qui mènent à la mezzanine des Clameurs, bar associatif de la Guillotière. Un vendredi à 14 heures, l’endroit est encore calme. Ce soir, il sera plein : un drag show est organisé pour collecter des fonds pour les Palestiniens de Gaza. En attendant, une musique de vieille variété française résonne doucement en fond, et Antoine regarde son téléphone en jouant avec l’écharpe rouge qu’il porte autour du cou.
Une « plateforme associative et militante »
Depuis un an et demi, il fait partie des trois salariés qui tiennent Les Clameurs. Ensemble, ils gèrent à la fois, le service, l’entretien, les comptes, et l’emploi du temps du lieu. « On m’a fait savoir qu’ils cherchaient des gens, alors j’ai sauté sur l’occasion », explique-t-il. Il passe donc derrière le comptoir en 2022, après quelques années de fréquentation assidue pendant ses études de sociologie. « J’aimais bien l’endroit parce que la bière était bonne et pas chère », explique-t-il, sourire aux lèvres et clope roulée au bec. « En plus, quand j’étais étudiant et fauché, je pouvais piocher quelques pièces dans la mutuelle des adhérents pour me payer des bières », ajoute-t-il, fidèle à l’esprit du lieu.
Les Clameurs est un bar associatif, c’est donc un bar qui propose aussi d’accueillir des événements, des réunions, des spectacles, proposés par ses adhérents. « Je dirais qu’on sert un peu de plateforme associative et militante », précise Antoine. « On n’est pas dans la promotion d’une cause particulière, on sert plutôt de lieu de rencontre et d’échanges entre les différents milieux militants », reprend-il. Le lieu se fait l’hôte d’animations culturelles et militantes toutes les semaines. Entre débats politiques et concerts hebdomadaires, la programmation est libre. « Si c’est dans la veine anarchiste, on se dit que ça fait sens que ce soit ici », explique Antoine. Le lieu se veut ainsi bar fédératif et fédérateur des mouvements militants lyonnais, le tout selon un mode d’auto-gestion. « On est à la fois barman et un peu médiateur, cogestionnaire du lieu, ça fait aussi partie du côté relationnel du boulot », précise-t-il.
« Le but, c’est d’essayer d’inclure tout le monde »
« Ce qui m’intéresse, c’est le fait que c’est une entreprise non-capitaliste », explique Antoine, son engagement politique est au cœur de son travail. « Dans toutes les entreprises capitalistes, quand on est dans des positions d’exécutants, on est soumis à toutes ces contraintes strictes et à surveillance, dans le but de générer du profit » poursuit-il, avant de conclure : « mais on a des salaires à peine plus élevé que le SMIC, et c’est plus dur de se projeter pour s’implanter dans le lieu et dans le quartier sur la durée ». Aux Clameurs, c’est donc la liberté qui prime, mais la contrainte économique reste importante. Le jeu semble tout de même en valoir la chandelle pour Antoine : « on se sent responsables et investis dans le lieu, et ça, ça change tout ».
« On fait des cafés suspendus, des choses comme ça, le but, c’est d’essayer d’inclure tout le monde, et que, quel que soit le porte-monnaie, toutes les populations puissent jouir du lieu » explique-t-il. Les Clameurs s’inscrit ainsi dans l’épais tissu associatif du quartier, fondé sur l’entraide et la solidarité : « Il y a un petit réseau de lieux comme ça dans la Guillotière, il y a un petit réseau militant alternatif, pour ça, c’est très chouette. On se rend des services ! ». Ainsi, pour lui, « Le lieu s’intègre bien dans le quartier, on a bien-sûr une orientation politique, mais on a fait le choix d’être relativement généraliste, de ne pas être que pour un public de niche militante, mais aussi d’être ouvert sur les gens du quartier ».
Un nouveau client arrive, il salue la dame qui noircit les pages de son carnet en terrasse, et discute quelques minutes avec Thomas, un des trois salariés du bar, avant de commander : « Bah comme d’habitude, je vais prendre un café, s’te plaît ! ». Aux Clameurs, le tutoiement est de mise. Antoine reprend : « ce que je préfère dans cet endroit, c’est la convivialité ». Il poursuit : « ici, on a souvent des gens qui viennent seuls pour voir s’il y a d’autres gens qui viennent seuls régulièrement qui sont là aussi ». Pour Antoine, aux Clameurs, comme à la Guillotière, « ce sont ces régularités-là, qui font que c’est rassurant, qu’on se sent vraiment chez soi ». Le barman-médiateur-cogestionnaire ajoute : « on ne trouve pas ça ailleurs ».
Rosa-Lou Boccard-Seltzer