Situé sur la rive gauche du Rhône, le quartier de la Guillotière et sa mixité sociale et culturelle font l’objet de multiples fantasmes. Les journalistes de l’Ecornifleur s’y sont baladés, à la rencontre de celles et ceux qui font la singularité du quartier.


Rue Chalopine, Gilles Maignaud contribue à la vie artistique du quartier dans l’atelier Chalopin, lieu de découverte et de partage du savoir faire de la sérigraphie.
Gilles Maignaud devant les pots d’encres utilisés à l’Atelier Chalopin. Lyon, France. 7 novembre 2023. © Léocadie Petillot

« Sérigraphie – Mycologie et voilà » c’est la bio Instagram de Gilles Maignaud.

Et ça résume bien quatre-vingts ans d’une existence qu’il décrit tout au long de la rencontre comme ayant « toujours été séparée entre science et art ». Aujourd’hui à la retraite, il partage son temps entre l’Atelier Chalopin, atelier de sérigraphie, une technique d’impression manuelle qu’il pratique depuis de nombreuses années, et sa passion pour la mycologie, la science qui étudie les champignons.
S’il utilise le terme « séparé », ce n’est pourtant pas un compromis. Gilles Maignaud n’a jamais renoncé à l’art pour la science et inversement.

S’il a choisi une carrière scientifique -qu’il termine comme directeur des classes préparatoires de l’ECAM, école d’ingénieur réputée de Lyon- grâce à des facilités en mathématiques, en physique, et pour « des raisons alimentaires », il a trouvé dans la pratique de la recherche scientifique « un peu les mêmes jubilations que dans la création artistique ». Et donc à côté de ça, il peint, il dessine, et ce depuis toujours, même si sa carrière l’a mis en pause : « j’ai arrêté de créer mais suis tout le temps resté très lié au monde de l’art » admet-il.

Et quand Gilles Maignaud dit qu’il est resté « très lié au monde l’art » ce n’est pas peu dire.

Il est, de manière non exhaustive, l’un des fondateurs de la Maison des Arts Contemporains (MAC) de Pérouges créée en 1963, président de l’attrape-couleur, un espace d’art contemporain situé dans le quartier de la Duchère (Lyon 9e arrondissement), membre du Bureau de la Friche, un groupe d’artistes pratiquant « l’archéologie plasticienne » et l’un des fondateurs de l’atelier de sérigraphie Atelier Chalopin créé en 2017 et installé le quartier de la Guillotière (Lyon 7e arrondissement).

Un atelier de sérigraphie au cœur de la Guillotière

L’atelier est bruyant, saturé du souffle de l’insoleuse, et des raclements de la semi-automatique, les machines qui servent à pratique la sérigraphie.

Si Gilles Maignaud connaît déjà le quartier puisqu’il a grandi du côté de Perrache (Lyon 2e arrondissement) il le vit quotidiennement depuis l’ouverture de l’Atelier fondé avec Roland Milteberg, sérigraphe et Alain Paccoud, typographe dans ce quartier qu’il adore « plein d’étudiants » et qui « n’est pas trop bourge encore même si on sent que ça se boboïse ».

Il parle de l’Atelier Chalopin avec engouement. Celui a la double fonction de « transmettre les savoirs faire de la sérigraphie et offrir un outil de bonne qualité aux artistes qui veulent s’exprimer par la sérigraphie » explique-t-il. L’Atelier est aussi totalement autofinancé. Ils ne souhaitent pas avoir de subventions car « si un politique décidait d’arrêter on serait le bec dans l’eau ». Les mots de Gilles Maignaud font écho aux baisses des subventions allouées à la culture dans la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis un moment déjà. Alors ils font autrement. Par exemple, ils invitent des artistes à faire une édition de sérigraphie de manière totalement gratuite mais se partagent la sérigraphie en deux parties égales : « on fixe un prix commun de vente et chacun gère sa collection d’estampes ».

Un bénévole en train d’utiliser la « semi-automatique », une machine servant à faire de la sérigraphie à l’Atelier Chalopin. Lyon, 7 novembre 2023. © Léocadie Petillot

Gillius Maignauvarius

L’atmosphère de l’atelier est bien loin du calme des forêts remplies de champignons, « une passion qui [le] tient depuis tout petit ». Et ce n’est pas une petite passion, pas juste le kif d’enfiler des bottes et de faire la cueillette de temps en temps, non. Gilles Maignaud est « déterminateur ». Le mot fait un peu terminator, un peu robot et c’est presque ça : « vous m’amenez un panier et je vous dis le nom des champignons qui sont dedans (…) les propriétés, s’ils sont comestibles, s’ils sont toxiques, etc… » explique-t-il en riant. Les bénévoles confirment son expertise et évoquent les balades organisées entre eux pour aller à la cueillette aux champignons.

Cette passion lui vient de ses parents et plus particulièrement de son grand-père « très averti des choses de la nature » qui lui a appris à reconnaître les champignons, les plantes et « qui s’est beaucoup occupé de moi quand j’étais comme ça » raconte-t-il en indiquant avec la main la hauteur du gamin qu’il était alors.

Une caisse remplie de tote bag sérigraphiés de dessins de Gilles Maignaud dans le sous-sol de l’Atelier Chalopin. Lyon, 7 novembre 2023. © Léocadie Petillot

Il réaffirme que la passion de la peinture, du dessin et les champignons « c’est complétement séparé ». Mais bon on commence à comprendre que quand Gilles Maignaud dit « séparer » ça ne reflète pas tout à fait la réalité. Et on les voit les champignons : des aquarelles sur son Instagram. A l’atelier, il y a même une caisse de tote bag ornées de sérigraphies de ses dessins et parmi eux, bim encore des champignons.

Bon ce n’est pas tout, il est 13h et Gilles Maignaud doit partir : « Je file » lance-t-il à la cantonade. Dans ses mains, son trousseau de clés sur lequel se balance un champignon sculpté dans le bois. Petit symbole tendre de la science et de l’art qui l’accompagne depuis toujours.

Léocadie Petillot