En ligne, les opposants à l’avortement avancent à visage masqué. Enquête sur la stratégie d’IVG.net, le site qui utilise le réseau social Facebook pour décourager les femmes d’avoir recours à l’IVG.

Explications médicales, accompagnement psychologique et conseils spécialisés, IVG.net s’apparente à un site d’information officiel. Source : Capture d’écran du site IVG.net
« Si vous avortez, c’est une personne que vous allez enlever. Je vous assure qu’après, les femmes pleurent beaucoup l’enfant qui était en elles et c’est assez tragique ! », assène l’interlocutrice au bout du fil. Ces mises en garde sont courantes lorsqu’on compose le numéro vert affiché sur la page Facebook intitulée « IVG : vous hésitez ? Venez en parler ! ». A l’origine de cette page qui prétend soutenir les femmes confrontées à une grossesse non désirée, il y a un site internet : IVG.net.
Cibler les jeunes femmes en ligne
Le site apparaît dans les premiers résultats de recherche lorsqu’on tape le mot « IVG » sur Google. Présenté comme un portail neutre d’écoute et de conseils, IVG.net diffuse en réalité des informations biaisées sur l’avortement. « Il est difficile de dire que l’avortement contribue à émanciper les femmes. Cela ne les rend pas plus riches ou plus heureuses », avance le site dans une rubrique sur « l’avortement et la fragilisation de la femme ».
Avec plus de 100 000 likes, la page Facebook du site IVG.net publie quotidiennement des témoignages similaires sur l’IVG. Tous décrivent la joie de la maternité ou le regret d’avoir avorté. Comme celui d’une certaine Alicia, âgée de 19 ans : « Je me suis détestée. Je voulais mourir. Je venais de « tuer mon enfant », mon petit bout de chou qui aurait dû être dans mes bras ». Dans un article, Le Monde révèle que ces publications sont parfois sponsorisées. L’objectif : cibler un public féminin de moins de 30 ans.
En novembre 2020, la page Facebook d’IVG.net donne naissance au groupe privé « IVG – avortement : hésitations, pressions, soutiens ». Ce groupe compte aujourd’hui plus de 1000 membres, majoritairement des femmes. Le contrôle des admissions permet aux modératrices, pour certaines également « écoutantes » du numéro vert d’IVG.net, de rentrer systématiquement en contact avec les femmes qui souhaitent avorter.
« J’avais besoin d’être rassurée »
Marie apprend qu’elle est enceinte le 23 décembre 2020. « Il était hors de question que mon compagnon et moi gardions ce bébé », explique-t-elle. En période de Noël, le couple vivant au Québec peine à trouver des interlocuteurs médicaux. « J’avais besoin d’être rassurée par rapport à l’avortement », confie Marie. Croyant rejoindre un groupe de soutien, la jeune femme intègre le groupe Facebook géré par IVG.net.
Une administratrice du groupe contacte Marie en message privé : « Qu’est-ce qui te pousse à avorter ? ». Mère d’une petite fille autiste, Marie affirme qu’elle n’est pas prête à avoir un autre enfant. « Je crains que l’IVG ne te rajoute une couche dans le stress et l’angoisse », avance, en retour, celle qui se fait appeler Chantal. Avant d’insister à plusieurs reprises : « une IVG n’est pas toujours facile à vivre non plus… Ne crains-tu pas de regretter par la suite ? ».
Face à cette inconnue qu’elle qualifie de « pro-vie », Marie est méfiante. Après quelques messages échangés, elle décide de quitter le groupe Facebook. « Entre temps, j’ai été acceptée sur un autre groupe merveilleux vraiment pro-choix ». Marie avortera quelques semaines plus tard. Aujourd’hui, la jeune femme garde un goût amer de ses échanges avec l’une des administratrices du groupe crée par IVG.net. « Je me suis demandée combien de couples ou de vies elle avait pu briser avec ces discours ».
IVG.net accusé de délit d’entrave à l’avortement
« Je pensais que c’était un groupe bienveillant », confie Chanaël, 27 ans, qui a rejoint le groupe en janvier 2021. Une administratrice tente de faire changer d’avis la jeune femme : « es-tu sûre de ne pas faire une bêtise ? ». « Ces échanges n’ont pas entravé ma détermination », affirme Chanaël. Elle dénonce une rhétorique, qui pourrait influencer « des femmes plus fragiles ». « Les administratrices du groupe ne disent pas ouvertement qu’elles sont contre l’avortement, elles utilisent la manipulation ».
En 2017, IVG.net s’est retrouvé dans le viseur de la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’avortement. Cette loi sanctionne la diffusion d’indications trompeuses ou dissuasives concernant l’IVG, y compris en ligne. Dans les faits, l’application de cette loi s’avère limitée, en raison de la difficile distinction entre contenus d’information et d’opinion. A ce jour, IVG.net n’a fait l’objet d’aucune condamnation pour entrave à l’avortement.
Auditionnée par l’Assemblée Nationale en 2016, Marie Philippe, responsable du site IVG.net et catholique pratiquante, s’est défendue de toute désinformation ou tentative de de dissuasion concernant l’avortement. Selon elle, IVG.net n’userait d’aucune pression envers les femmes. Contactée par téléphone, Marie Philippe a déclaré ne pas souhaiter répondre à nos questions, en raison du supposé caractère « polémique et inquisitoire » de l’enquête.