Situé sur la rive gauche du Rhône, le quartier de la Guillotière et sa mixité sociale et culturelle font l’objet de multiples fantasmes. Les journalistes de l’Ecornifleur s’y sont baladés, à la rencontre de celles et ceux qui font la singularité du quartier.


Fondateur de l’Épicerie équitable de la Guillotière, Romain nous raconte son engagement pour une consommation plus responsable mettant le social au cœur de ses préoccupations.
Romain, derrière le comptoir de l’Epicerie Equitable. Il reprend parfois du service pour aider ses salariés. Lyon, France. 10 novembre 2023 © Célia Daniel

« Appelle-moi Romain Lépicier, Lépicier en un seul mot. », dit-il. Derrière son air légèrement blasé au premier abord et son usage systématique du « on » comme s’il ne voulait pas parler de lui, Romain est pourtant bien celui qui mène la barque de la communauté solidaire qu’est l’Epicerie Equitable, rue Montesquieu au cœur de la Guillotière.

On entre dans ce lieu comme dans un moulin, happé par les odeurs de coriandre, de café, de piment rouge. Romain salue chaque nouvelle personne d’un ton amical. « Un double ! », lance-t-il vivement. Ici, tout le monde le connait bien.

Une histoire qui marche

Tout a commencé en 2004 lorsque cet ancien informaticien, aujourd’hui âgé de 45 ans, lance avec son ex-associée, une épicerie sèche en ligne. Du café guatémaltèque, du chocolat noir, du maté, de la cannelle, du clou de girofle Que des produits issus du commerce équitable. « On était consommateurs, on avait du mal à trouver des produits du commerce équitable. Il y avait peu de boutiques spécialisées. Et en grande distribution, il n’y avait pas grand-chose », se rappelle-t-il.

Depuis, ce projet a bien grandi. La boutique physique ouvre ses portes un an plus tard. Puis Romain, convaincu de la pertinence de ce lieu, part ouvrir une épicerie équitable à Lille en 2007. En 2010, l’épicerie de Lyon déménage dans une ancienne quincaillerie par manque d’espace. Ils se mettent alors à diversifier leurs produits. Fruits, légumes, œufs, fromage, bière, vin s’ajoutent à leur offre. Le dernier projet d’agrandissement fut l’ouverture d’une épicerie équitable à Nantes en 2019. Pour autant, Romain reste ancré à Lyon, d’où il est originaire. Aujourd’hui, l’épicerie de la Guillotière compte six employés.

La majorité des produits en vente sont issus de producteurs implantés dans un rayon de cinquante kilomètres autour de Lyon à part pour le café, le thé, le chocolat ou les épices. Pour autant, tous viennent de filières labellisées commerce équitable.  « La logique, c’est de systématiquement privilégier les produits locaux quand ils existent localement. », explique-t-il.

La question des labels est source de tension pour Romain. Beaucoup de grands labels du commerce équitable comme Max Havelaar, peu regardant sur les conditions de transport ou de distribution des produits du commerce équitable selon lui, sont maintenant présents en grande distribution.

« Pendant un moment, on disait que la présence des produits équitables en grande distribution augmentait la visibilité de la démarche mais un moment donné, on ne peut pas nourrir ce qu’on combat », développe-t-il. Pour Romain, c’est bien le modèle de la grande distribution et de l’agro-industrie qui sont à la source du problème et qui ont forcé le commerce équitable à se développer pour les contrer.

« On n’est pas un magasin bio »

Si 90% des produits de l’épicerie sont issus de la filière biologique, Romain insiste : « On est pas un magasin bio. On a même des produits qui sont volontairement non bio ». Pour lui, des produits comme le miel ou le comté issus de producteurs locaux, utilisant peu de pesticides et connaissant leur terroir, sont tout aussi éthiques qu’un miel ou un fromage biologiques.

Ils méritent donc d’être achetés au producteur à un prix rémunérant correctement son travail et vendus dans l’épicerie. L’Epicerie Equitable, c’est le social avant l’environnemental, même si le premier découle du deuxième selon Romain.

De la même manière pour ses clients, l’épicerie s’engage pour responsabiliser leur consommation et rendre les produits plus accessibles. Par exemple, elle propose des « cafés suspendus », c’est-à-dire des cafés que des clients paient d’avance pour des gens qui n’ont pas forcément les moyens de s’offrir un café.

Romain différencie aussi son épicerie d’un magasin bio car « ici, les gens viennent pour la démarche, pas juste pour ne pas attraper le cancer », affirme-t-il. L’épicerie est pour lui un vrai lieu de sociabilité, d’où l’importance du comptoir qui favorise les échanges. « On apprend des choses aux gens mais ils nous en apprennent beaucoup aussi », confie-t-il.

« Il y a tous types de publics qui viennent à l’épicerie. Les collègues du PMU en face, les rebeus qui viennent chercher du miel, les africains de l’ouest pour acheter notre sésame, des étudiants, des bobos, des cramés de la vie », explique Romain. Il a aussi fondé une association de bricolage avec des amis, le Bricole Social Club, en face de l’épicerie dans la même volonté de rassembler, à la bonne franquette. A son image.

Célia Daniel