Situé sur la rive gauche du Rhône, le quartier de la Guillotière et sa mixité sociale et culturelle font l’objet de multiples fantasmes. Les journalistes de l’Ecornifleur s’y sont baladés, à la rencontre de celles et ceux qui font la singularité du quartier.


Après une carrière dans le luxe, Martine Génin gère depuis quinze ans la boutique Emmaüs Frip’Attitude à la Guillotière. Un changement de cap professionnel qui a transformé la responsable de cette boutique, repère shopping du quartier.
Même en pleine semaine, la boutique Emmaüs Frip’Attitude connaît une forte affluence. Martine Genin, derrière la caisse, accueille les habitués.  Lyon, France. 9 novembre 2023. © Salomé Hembert

« Alors, c’était comment les vacances au Portugal ? », demande Martine Genin à une de ses clientes en scannant une pile d’articles de seconde main.  

Derrière la caisse, la gérante de soixante-trois ans de la boutique Emmaüs Frip’Attitude à la Guillotière connaît tout le monde. Pour la patronne, qui gère l’enseigne depuis sa création il y a quinze ans, les clientes sont presque des amies. « Ce sont toujours les mêmes personnes qui viennent ici, les gens du coin, de la Guillotière”, s’exclame Martine Genin.  

Jeudi 9 novembre, 16h30 : ça grouille de monde dans les 250m2 du 281 rue de Créqui, 7e arrondissement de Lyon. « Robe à partir de six euros, pantalons à partir de quatre euros», peut-on lire au-dessus des portants vintages ou chacun tente de chiner la meilleure affaire. Martine Genin à la caisse pilote le tout avec rapidité.  Dans l’arrière-boutique, elle s’autorise finalement une pause dans cette journée effrénée.  

« On est devenu une adresse incontournable », explique-t-elle. « Dans le quartier il y a tout type de personnes : des familles, des étudiants. Il y a des personnes économiquement faibles aussi. Tous ces gens viennent trouver des vêtements peu chers ici ». La Guillotière comme le reste du pays a été touchée de plein fouet par l’inflation grimpante, explosant la fréquentation de la boutique. « En plus des difficultés économiques, il y a aussi l’aspect écologique. Cela pousse surtout les jeunes à venir acheter de la mode responsable », développe-t-elle.  

« J’avais des aprioris sur Emmaüs » 

Pourtant, rien ne prédestinait Martine Genin à prendre la tête d’une boutique Emmaüs. La boutique Frip’Attitude est née du projet EVIRA : Emmaüs Vêtements Insertion Rhône-Alpes. Le projet EVIRA voit le jour en 2003 de l’association de 12 groupes Emmaüs de la région. Le but ? Gérer et trier le surplus de textile de ces antennes en créant de l’emploi pour des personnes en insertion professionnelle. EVIRA a son siège à Saint-André-Le-Gaz en Isère mais cherche dès 2008 à ouvrir une boutique de mise en vente du surplus de vêtements à Lyon.  

« J’ai travaillé dans le luxe pendant des années à Lyon mais je me suis retrouvée au chômage. A ce moment-là, la dame de Pôle Emploi m’a dit qu’Emmaüs voulait ouvrir une boutique et qu’ils cherchaient une responsable. » Martine Genin postule mais la seconde main et elle, ça n’a pas toujours été une histoire d’amour. « J’avais des aprioris sur Emmaüs. Je me suis dit que si j’étais recrutée je lancerais la boutique et après je retournerais dans le luxe », se remémore-t-elle.   

« À six ans j’étais déjà derrière la caisse » 

Avec les années de recul, Martine Genin, qui n’a jamais quitté le navire et gère une équipe de dix personnes, dont six en insertion professionnelle, ne peut que reconnaître un changement de plans de carrière. « Je me sens bien ici, on a une bonne équipe », explique-t-elle. « Je n’avais jamais fait d’insertion professionnelle avant, j’ai dû apprendre à former des gens qui sortaient parfois de chômage longue durée. C’était nouveau pour moi ».  

Elle prend le temps chaque matin de former au cintrage et à la mise en rayon les employés en insertion. Pour la responsable de la boutique, gérer Frip’Attitude a été une transformation personnelle au-delà d’un nouveau cap professionnel. « Dans le luxe j’étais sévère avec mes équipes et avec moi-même. Maintenant j’ai changé. Je travaille avec des gens qui ont un passé à prendre en compte ».  

« Martine a le cœur sur la main, elle nous accompagne et gère à merveille la boutique » confie Alexandre Thieriet, trente-huit ans qui, après ans ans de formation en insertion professionnelle dans la boutique, vient tout juste de signer son CDI pour la suppléer. « Martine m’a formé et maintenant je suis capable de l’aider dans ses tâches quotidiennes. C’est du positif pour tout le monde » raconte-il.  

L’heure de lâcher du lest n’a pas encore sonné. « J’ai largement l’âge de la retraite mais je ne m’en sens pas prête », explique Martine Genin. La gérante de plus de soixante ans enchaîne pourtant les journées de 9h, quatre jours par semaine, « j’ai toujours fait des gros horaires et je ne vois pas ma vie sans travailler ». Pour cette mordue du travail, il est inenvisageable de quitter le commerce dans lequel elle est tombée dès le plus jeune âge. « J’ai commencé à travailler à quinze ans. À six ans j’étais déjà derrière la caisse dans le commerce de mon père, quitte même à manquer parfois l’école », confie-t-elle, sourire aux lèvres avant de reprendre les rênes de la caisse : la pause est terminée.  

Salomé Hembert