Entre tentative de marginalisation et indignation réelle, à l’échelle nationale, La France insoumise est décrite par ses adversaires comme une force « d’extrême gauche ». À  l’échelle locale, le parti compte moins d’élus, mais les mêmes tensions sont présentes. 

Lors du porte à porte, les militants de la France Insoumise sont toujours accompagnés. Au moins deux personnes par immeuble. Photo Massimo Goyet

L’élément de langage est partagé. Successivement, Michel Barnier et Emmanuel Macron ont défini les forces de La France insoumise (LFI) « d’extrême gauche » dans leurs allocutions nationales respectives de décembre, le second allant jusqu’à parler de forces « anti-républicaines ».

Des considérations qui, ce soir-là, à la Guillotière, quartier populaire de Lyon, semblent lointaines. « Il te reste des tracts ? » Au 250 rue Duguesclin, Victor, 30 ans, militant insoumis, fait du porte-à-porte avec trois de ses « camarades ». Il connaît bien la rue, dans laquelle ils ont souvent tracté.

Aujourd’hui, ils se concentrent sur le 250, le 248 et le 248 bis, un ensemble de logements sociaux gérés par le bailleur Sollar. « On cible l’électorat populaire », explique Victor dans l’ascenseur exigu. Cette fois, les militants ne parlent pas de programme ou de candidat, mais convient les habitants à une réunion publique afin de fédérer les demandes au bailleur social. 

Une politisation par la base

Et des demandes, à chaque porte ouverte, il y en a. Au 4ème étage, une habitante se plaint du chauffage : « On ne nous écoute pas, c’est une horreur ce bailleur. » Un autre ouvre la porte, vêtu d’ un bonnet et une capuche. La majorité déplore le manque de sécurité causé par la porte de l’immeuble, qui ne ferme plus. 

Victor a créé le groupe d’action Insoumis de la Guillotière en 2021. Il raconte que, lors des dernières campagnes électorales, un habitant du rez-de-chaussée lui avait reproché que la politique ne s’intéressait pas à leurs problèmes quotidiens. À l’inverse, les personnes présentent ce lundi soir ne semblent pas s’intéresser à l’appartenance politique des militants. Pour l’insoumis, c’est une politisation qui provient de la base.

Lorsque personne n’ouvre, les militants laissent un tract. Photo : Massimo Goyet

Un parti d’extrême gauche ? Selon Victor, on est bien loin de l’image construite par les médias sur son parti. « Nous ne retrouvons pas les polémiques nationales sur le terrain » dit-il, avant de reprendre l’expression de Jean-Luc Mélenchon d’un « miroir déformant » du récit médiatique. « L’appartenance au parti te ferme une porte, mais ça t’en ouvre huit », ajoute Xavier, un autre militant qui raconte que dans le pire des cas, les gens refusent un tract avec un air de dégoût.

Pas un programme pour le grand soir

Pour le Conseil d’État, qui classe le Rassemblement national (RN) à « l’extrême droite », LFI est bien de « gauche ». Pour le chercheur en histoire politique Hugo Melchior, Jean-Luc Mélenchon se distingue par la méthode de l’extrême gauche représentée notamment par les partis Lutte ouvrière (LO) ou Révolution permanente (RP). « Bien qu’il soit critique du capitalisme, Mélenchon souhaite prendre le pouvoir par les urnes. » Il ajoute : « Le programme de la France insoumise est radical, mais il reste modéré en comparaison du programme (de François Mitterrand en 1981. »

De plus : « “Extrême” se veut le contraire de pondération, de mesuré, d’équilibré, d’équitable, de juste : la France insoumise est présentée comme un mouvement dont les dirigeants et le projet seraient susceptibles de provoquer du chaos, de fortes tensions sociales et de mettre en cause le consensus normatif. »

Peu importe la distinction. Le maire du 2e arrondissement et secrétaire départemental des Républicains (LR), Pierre Oliver déclarait à Lyon Capitale : « L’extrême gauche est particulièrement violente, on le voit au quotidien, que ce soit dans nos rues quand ils cassent tout, ou que ce soit de manière plus générale dans les propos qu’ils peuvent tenir à l’Assemblée nationale. » 

Seul insoumis à siéger au conseil municipal, Laurent Bosetti critique une « caricature » des oppositions qui cherchent à rendre « infréquentables » les membres du parti, et à discréditer la majorité municipale par ses « alliés extrémistes ».

« Au moment où les idées de gauche émergent de nouveau avec la France insoumise, il y a cette volonté de fragmenter la gauche. » Pour lui, afin de déconstruire l’idée que la radicalité de LFI l’empêcherait de gouverner, il faut s’appuyer sur son programme et ses acquis locaux. Il prend l’exemple de son propre bilan en tant que quatrième adjoint au maire dédié aux services publics et de son budget « équilibré » et « radical ». « Il est important que LFI arrive aux responsabilités locales pour devenir un parti de gouvernement avec des lettres de noblesse. »

À Lyon, si les insoumis revendiquent être la première force dans la rue, leurs élus se comptent sur les doigts d’une main dans chaque assemblée. Thibault Logereau, chef de cabinet d’Anaïs Belouassa-Cherifi, députée de la première circonscription de Lyon, explique que lors des élections locales de 2020, le parti alors jeune de quatre ans n’était « pas assez mûr »

Manifestation à Lyon avec la députée Anaïs Belouassa-Cherifi. © Thibault Logereau

A l’échelle métropolitaine, le groupe Métropole insoumise résiliente et solidaire (MIRS) compte que quatre élus tandis qu’au conseil Régional les insoumis sont associés dans un groupe de six élus avec les communistes. Aux dernières élections législatives, le parti a néanmoins remporté le plus de circonscriptions dans le Rhône avec quatre députés élus.

« Il y aura partout des listes insoumises »

Un enjeu pour les élections de 2026 pour lesquelles des négociations sont en cours. « Il y aura partout des listes insoumises. Prêtes aux municipales, pour l’union ou pour être proposées au vote », déclarait ainsi le 17 novembre, Jean-Luc Mélenchon sur France 3. 

S’il paraît improbable que LFI ambitionne réellement d’occuper l’Hôtel de ville de Lyon, en revanche à Villeurbanne, Vaulx-en-Velin et Vénissieux, où le parti est arrivé en tête des élections européennes, il pourrait tenter sa chance.

Thibault Logereau rappelle que la priorité est à des listes communes sur la base d’un programme de rupture. « Nous ne voulons pas partir seul, mais nous ne nous trahirons pas politiquement. » Le parti revendique une place stable de l’échiquier politique : « la gauche radicale ». Les autres qualifications, penchant d’un côté ou de l’autre, entretiennent une « confusion pour les électeurs » selon lui. 

Pour Aurélien Dubuisson, chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences Po, la qualification de LFI comme un parti d’extrême gauche résulte d’une « droitisation de l’échiquier politique » et d’enjeux de discréditation des adversaires politiques. « L’objectif de ce discours est de créer un cordon sanitaire en présentant celui qu’il vise comme infréquentable. »

« Infréquentables », dans le sixième arrondissement, les militants de LFI, réunis pour une collecte alimentaire caritative, semblent l’être. Pas un tract, ni une affiche aux couleurs du parti : « On est en sous-marin », explique Lise, étudiante en master. Dans le quartier, pour ce genre d’actions, le groupe ne montre aucune appartenance partisane : « Ce serait contre-productif. » Plus encore, c’est une question de « sécurité », explique la militante qui raconte des épisodes de bousculades et d’injures lors des campagnes européennes et législatives. Extrême(s)…

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  • Massimo Goyet

    Après six mois de stage dans la revue professionnel InterG, il aurait pu se spécialiser dans l’intergénérationnel. Au lieu de ça, Massimo écrit sur des rappeurs dont vos parents ne connaîtront jamais le nom. Rare lyonnais d’origine de l’Écornifleur - et fier de l’être - il ambitionne d’enrichir les pages culture et société du journal « avec la manière ».

Rédigé par

Massimo Goyet

Après six mois de stage dans la revue professionnel InterG, il aurait pu se spécialiser dans l’intergénérationnel. Au lieu de ça, Massimo écrit sur des rappeurs dont vos parents ne connaîtront jamais le nom. Rare lyonnais d’origine de l’Écornifleur - et fier de l’être - il ambitionne d’enrichir les pages culture et société du journal « avec la manière ».