Transfuge de classe, Aurore-Mauve Voeltzel a toujours gardé le côté « écolo-communiste » de ses origines. Entrepreneuse et actionnaire, militante et insoumise, c’est un tout pour celle qui doit aussi composer avec le fait d’avoir choisi de vivre dans le 6e arrondissement, le quartier réputé le plus bourgeois de Lyon. 

Aurore-Mauve Voetzel, qui ne souhaite pas être prise en photo, et ses essentiels au Comptoir du 6ème : chocolat chaud, carnet de note décoré par ses soins, téléphone et oreilles de chats. Photo Massimo Goyet
Aurore-Mauve Voetzel, qui ne souhaite pas être prise en photo, et ses essentiels au Comptoir du 6ème : chocolat chaud, carnet de notes décoré par ses soins, téléphone et oreilles de chats. Photo Massimo Goyet

« On est incognito, c’est une question de sécurité ». Rencontrée lors d’une collecte alimentaire organisée par les militants de La France insoumise (LFI) du 6e, et très bourgeois, arrondissement de Lyon, Aurore-Mauve Voeltzel, 46 ans, ne passe pas inaperçue avec ses fausses oreilles de chats. « Je vous ferais un bisou, mais je ne peux pas », envoie-t-elle joyeusement à toutes les personnes qui font un don. 

Ce soir de décembre, personne n’a prévu de tracts ou d’affiches LFI, c’est une action « sous-marine ». Derrière l’humour, la réalité est là. Pour elle, il y a eu un avant et un après les dernières campagnes électorales législatives et européennes : « Je n’ai jamais été autant insultée en quinze jours ». Une fois, elle a dû défendre un jeune militant du Nouveau Front populaire (NFP) et s’interposer : « Il allait se faire massacrer ». À l’école primaire de son fils, depuis que son engagement chez LFI s’est su, plus personne ne lui parle.

« Je ne veux pas que mes enfants me voient me faire frapper. »

Une de ses amies militantes a décidé de quitter l’arrondissement. Pourtant : « J’ai une gueule de bourgeoise. Je passais incognito, mais maintenant je suis grillée. » Alors que ses enfants étaient présents à la collecte de la veille, elle a empêché un militant de tracter : « Je ne veux pas que mes enfants me voient me faire frapper. » Rendez-vous est donc pris pour le lendemain, au Comptoir du 6ème, pour poursuivre la discussion autour d’un « chocolat chaud et de la chantilly ».

Elle commande la boisson promise. Avec « beaucoup d’amour », précise-t-elle au comptoir. C’est une habituée : « C’est ma machine à café ici, j’y fais mes réunions ». Originaire de Grenoble, elle s’est installée dans le quartier à la fin des années 2000 avec son mari. Elle travaille à domicile et fait tout à pied. Elle n’a pas de voiture, ni même le permis.

La militante, qui dépasse le mètre 75, est « développeuse économique » et actionnaire de six entreprises. « Mon fils dit que je suis docteur, j’aide les entreprises à naître et je les guéris quand elles ne vont pas bien. » Ses deux enfants reviennent souvent dans la discussion : « Il y a tellement à faire dans ce monde, je ne veux pas que mes enfants me disent qu’on n’a rien fait. » Ce sera dur à dire dit celle qui cumule le militantisme, les engagements associatifs et l’entreprenariat à son compte. « Et j’ai un mari et des enfants », ajoute-elle à la liste.

« Le militantisme a commencé petite. » Dans sa famille « écolo-communiste », il a toujours été question d’engagement. Enfant, son oncle la faisait monter dans le camion de la CGT lors des manifestations. Adulte, elle y emmène peu ses enfants : « Il y a tellement de violences, ce n’est plus pareil. »

Meilleure répartie de la campagne

Le ton est moins joyeux que la veille quand elle passait d’anecdotes en anecdotes. Elle racontait cette fois où elle donnait une conférence à un public chinois sur la beauté comme outil de soft power, et qu’elle a glissé un drapeau de La France insoumise, dans sa présentation en parlant de la beauté mathématique et de la suite de Fibonnaci. Elle s’amusait aussi d’avoir utilisé le verso des affiches de Jean-Luc Mélenchon pour la collecte alimentaire.

Il y a aussi la fois où la députée Sandrine Runel (PS) lui a décerné le prix de la meilleure répartie de la campagne pour le jour où un homme âgé lui aurait dit « J’ai envie de vomir » à la vue d’un tract du NFP et qu’elle aurait répondu de toute sa voix : « Ce serait dommage, vous risqueriez de perdre votre dentier. Il serait tentant de dire d’elle qu’elle est une femme entière. Ce serait réducteur, elle est double, multiple.

Entre ses engagements professionnels et militants, il n’y a pas de distinction. « Je comprends que ça puisse paraître dichotomique, mais pour moi c’est logique », assure celle qui se réveille avec BFM Business et s’informe avec Le Monde diplomatique et Euronews.  À LFI: « Ils se sont aperçus que c’était la continuité du combat. » Une militante de son groupe confirme, et la décrit comme une « militante de longue date », « investie, sociable et curieuse ». Et celle-ci de préciser : « Elle accorde une attention particulière au bien-être militant, et joue de son dynamisme pour faire vivre le groupe d’action. »

Elle est entièrement à son compte, et cela lui permets d’assurer sa liberté. « Je ne travaille pas comme un incubateur, je ne suis pas obsédée par le chiffre, il faut voir l’humain », décrit celle qui travaille actuellement avec une chocolatière. « Je vais avoir une chocolaterie », fanfaronne-t-elle. La production sera compensée en carbone, le cacao viendra de l’Amérique du Sud en bateau à voile.

Transfuge de classe

Double, elle l’est aussi par ses origines. Seule de sa famille à avoir fait un Bac+5, elle se définit comme une transfuge de classe et assume d’être riche. Elle dit aussi qu’elle est dans un « mariage mixte ». Mixte de classe, avec son mari d’origine bourgeoise. « Je l’ai beaucoup changé. Quand je l’ai rencontré, il votait Fillon. Maintenant il vote Mélenchon. » Cela s’est fait sans parler d’économie mais en partant de ses vêtements. « Si on ne montre pas d’alternatives dans le quotidien, on ne peut pas en montrer ailleurs. »

Elle se sent redevable de ceux qui l’ont soutenue: « Il y a plus d’une cinquantaine de personnes qui ont cru en moi et m’ont aidée dans mes études. » Elle essaye de rendre ce qu’elle peut. Avec l’association Soroptimist, elle participe à financer le parcours d’étudiantes en difficultés financières. Elle donne aussi des conférences dans les collèges pour inciter les filles à entreprendre. « L’école est le dernier bastion où les filles ne sont pas moins bien notées que les hommes. »

Autre anecdote, et le ton redevient joyeux. Elle raconte comment elle a convaincu les militants de La France insoumise de travailler sur le sujet de la lessive. « On pose la question très philosophique de savoir ce qu’est du linge propre. » Ils ont créé une fresque de la lessive, prenant le sujet sous toutes ses coutures : des sciences dures aux sciences sociales en passant par l’art. Alors qu’elle s’apprête à relancer le travail en 2025 sur le papier toilette, elle est fière de sa proposition. « Laurent Legendre [conseiller métropolitain LFI, ndlr] trouvait l’idée « un peu farfelue », mais je l’ai persuadé ». Sa seule déception, ne pas avoir réussi à imposer son idée de nom : « soirée poudre ».

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  • Massimo Goyet

    Après six mois de stage dans la revue professionnel InterG, il aurait pu se spécialiser dans l’intergénérationnel. Au lieu de ça, Massimo écrit sur des rappeurs dont vos parents ne connaîtront jamais le nom. Rare lyonnais d’origine de l’Écornifleur - et fier de l’être - il ambitionne d’enrichir les pages culture et société du journal « avec la manière ».

Rédigé par

Massimo Goyet

Après six mois de stage dans la revue professionnel InterG, il aurait pu se spécialiser dans l’intergénérationnel. Au lieu de ça, Massimo écrit sur des rappeurs dont vos parents ne connaîtront jamais le nom. Rare lyonnais d’origine de l’Écornifleur - et fier de l’être - il ambitionne d’enrichir les pages culture et société du journal « avec la manière ».