L’approche des fêtes de fin d’année est parfois une souffrance pour celles et ceux qui n’ont personne avec qui les passer. À Lyon, le tissu associatif s’attèle à atténuer la solitude à Noël, en partageant et en écoutant. Immersion et digressions au repas de Noël du café intergénérationnel Chez Daddy.
« Josette tu fais présenter les lieux ? » se défile Tanguy, trentenaire et salarié de Chez Daddy Perrache. En ce soir de repas de Noël, à quelques jours des fêtes, c’est son aînée de 89 ans qui raconte ses aventures dans ce café intergénérationnel situé au pied d’une résidence autonomie et une résidence étudiante. Ancienne « bonne à tout faire », serveuse, puis vendeuse d’articles de pêche, elle vient pratiquement tous les jours boire le café, bavarder ou jouer à la belote.
« Ça fait une coupure dans la solitude », lâche celle qui, sans enfant, n’a personne avec qui passer les fêtes. « Quand on doit s’occuper de ses frères jusqu’à ses 28 ans, on n’a pas vraiment envie d’avoir des gosses », grince-t-elle, affirmant néanmoins un certain goût pour l’autonomie. « J’ai toujours été casanière. » Selon une étude de l’IFOP, 27% des personnes célibataires sans enfants à charge s’apprête, comme Josette, à fêter Noël seul.
Noël, un soir comme les autres
C’est également le cas de Christian, pull de Noel rouge pétant, assis en bout de table et membre de la résidence. Bruxellois d’origine, l’homme de 80 ans est installé à Lyon depuis 37 ans et dîne régulièrement Chez Daddy. « Ça dépend du menu », sourit-il, entouré de Claire et de ses deux enfants de 13 et 8 ans, Anton et Vadim. Habitants du quartier, c’est par la curiosité du premier qu’ils ont rencontré Christian il y a sept ans. « Anton était toujours intrigué par sa grosse barbe et ses sandales qu’il portait été comme hiver… il pensait que c’était le père Noël ! » Aujourd’hui, ils fêtent chaque année Saint-Nicolas tous les quatre le 6 décembre – le Noël des enfants en Belgique. Le soir du 24, si Claire et ses enfants s’en vont chez « leurs autres grands-parents », pour Christian : « Comme je n’ai pas de famille, Noël, c’est un jour comme les autres ».
Une soirée comme une autre, c’est également ce que décrit Hélène, 64 ans, écoutante à S.O.S Amitié depuis 13 ans, qui a déjà passé la soirée de Noël à répondre au téléphone. Si elle ne constate pas de hausse du nombre d’appels à cette période de l’année, certains profils se ressemblent. « Ce sont des gens qui n’ont pas été invités, à qui personne n’a tendu la main. Voyant les autres passer des moments en famille, ils ont l’impression que personne n’est seul. »
En 2023, SOS Amitié a reçu plus de 3,5 millions d’appels au niveau national, soit un toutes les neuf secondes. Un quart d’entre eux concerne un problème de solitude, que l’association décrit comme « le fait de n’avoir personne à qui parler ». « Ce n’est pas un isolement. Ils peuvent même avoir plein d’amis, être au milieu de plein de monde mais dont aucun n’est disposé à les écouter », explique Hélène.
Si les références au Père Noël est une ordure ne la « font pas beaucoup rire », arguant l’incompétence de Thierry Lhermitte et d’Anémone dans leur rôle d’écoutants, elles restent ancrées dans le quotidien des écoutants. En témoigne ce laid bout de laine, accroché à l’entrée du poste d’écoute et au-dessus duquel est inscrit « fabriqué par Thérèse », piètre couturière du film.
Claudine, elle, coud beaucoup. Chez Daddy, la femme de 83 ans a organisé six ateliers depuis septembre. Bien qu’elle se considère encore très autonome dans son quotidien – elle prend le métro et conduit -, elle trouve l’intergénérationnel « extrêmement agréable ». « J’ai fait de la broderie avec Adel (un étudiant au Crous). Il a fait trois points et il était en extase ! », s’amuse-t-elle. En famille pour les fêtes, qu’elle va passer entre Fourvière et Aix-en-Provence, elle loue le fait de « se sentir entourée au quotidien » dans la résidence et Chez Daddy.
Avec le Covid, « j’ai raté mon année »
Ce soir, elle dîne au côté de Papa, étudiant en école d’ingénieur. Lui a connu la solitude surtout pendant le Covid, à l’automne 2021. « J’étais complètement déprimé. Ma famille au Sénégal et en Italie voulait venir me soutenir, mais ils ne pouvaient pas à cause des restrictions… Du coup, j’ai raté mon année. »
Pour aider les étudiants victimes de solitude, Nadia, qui travaille au Crous depuis 2017, organise chaque 24 décembre un repas partagé à midi, suivi d’une session de « cadeaux solidaires ». « On peut offrir des madeleines, des papillotes ou des goodies… Le tout, c’est de montrer qu’on pense à eux ». A 35 ans et en froid avec sa famille depuis quelques années, elle passera le réveillon « avec [son] chat ».
Le reste du repas est consacré aux difficultés de se garer et de trouver un logement à Lyon, et au partage des meilleures astuces trouvées par chacun pour éviter les contrôles de police pendant la période des confinements. Le tout rythmé et parfumé de saucissons lyonnais, de cervelle de canut et de crème brûlée.
Les fêtes se prolongeant jusqu’au jour de l’an, Claire prépare, avec sa paroisse de l’église Sainte-Blandine, sur le cours Charlemagne, un réveillon solidaire destiné aux sans-abris. Les personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont d’ailleurs les premières touchées par la solitude. Elles seront un quart à passer Noël seules, contre un dixième chez les plus riches.