Alain Chevarin, spécialiste de l’extrême droite, est l’auteur de nombreux ouvrages et articles sur le sujet. Dans Lyon et ses extrêmes droites, publié en 2020 aux Éditions de la lanterne, il retrace l’évolution des nouvelles formations militantes et analyse les facteurs ayant contribué à leur enracinement local.

Est-ce que la dissolution des Remparts, en juin dernier, a entraîné la disparition des groupes d’extrême droite du Vieux Lyon ?
Dissoudre les groupes ne revient pas à dissoudre les individus. Les militants identitaires lyonnais sont environ une centaine et ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Après un moment de répression, c’est logique qu’ils adaptent leur stratégie en essayant de se faire plus discrets. Mais c’est surtout le fait de ne plus avoir d’endroit où se réunir qui constitue un changement important. Lors de la dissolution de Génération identitaire, en 2021, les Remparts avaient récupéré le local et ont pu poursuivre leurs activités. Maintenant, ils disposent toujours d’un réseau suffisamment dense pour organiser des réunions dans des lieux qui ne leur appartiennent pas. Et ainsi ne pas prendre le risque d’être à nouveau dissous.
Comment expliquer l’émergence et la pérennité de ces groupuscules en France ?
À partir des années 1960, les groupes d’extrême droite, centrés sur l’identité nationale, se restructurent et cherchent à accéder au pouvoir, parfois par des actes de violence, mais aussi par le biais des urnes. Dans ce contexte naît le Front national, devenu aujourd’hui le Rassemblement national (RN). Cependant, pour certains militants, l’extrême droite traditionnelle, issue des courants pétainistes, est vouée à l’échec. Il faut donc la remplacer par une nouvelle forme de militantisme, axée sur la défense de la civilisation blanche et européenne. L’enjeu n’est donc plus de constituer un parti mais de mener une « guerre culturelle », en faisant infuser leurs idées dans la population. Et lorsqu’elles auront suffisamment imprégné l’opinion, l’accès au pouvoir se fera, selon eux, naturellement. De là émergent les mouvements identitaires qui, à la différence du RN, n’ont pas de programme politique, mais défendent une identité européenne et blanche.
Pourquoi les militants d’extrême droite sont-ils aussi présents dans la ville de Lyon, et en particulier dans le cœur historique ?
Lyon est la ville où l’on recense le plus de groupes d’extrême droite en France. D’abord, parce que les autorités municipales ont tardé à réagir face à leur présence. Ensuite, en raison de la proximité entre Bruno Gollnisch, ancien cadre lyonnais du Front national, et les milieux identitaires. Paradoxalement, ces groupes ont tendance à s’ancrer dans des villes où l’extrême droite politique est relativement faible, ce qui est le cas à Lyon. Un autre facteur clé est le rôle joué par l’université Lyon 3, où pendant près de vingt ans, de nombreux enseignants ont apporté un soutien idéologique aux militants identitaires. Et si ces groupes se sont implantés dans le Vieux Lyon, c’est parce qu’il s’agit du cœur historique et religieux de la ville, un symbole important pour ces personnes qui revendiquent l’essentialité de la tradition.
Quelles relations ces groupes et militants entretiennent-ils avec la droite et l’extrême droite traditionnelles ?
Le Rassemblement national n’a jamais reconnu de liens avec ces groupuscules parce que cela ternirait leur image. Pourtant, il est fréquent que des militants identitaires rejoignent le parti, comme Sinisha Milinov, ancien porte-parole des identitaires, qui s’est présenté aux élections de 2020 sur une liste RN. Il arrive également que des anciens du parti intègrent ces mouvements, que je préfère d’ailleurs qualifier d’extrême droite [plutôt que d’ultra droite, ndlr] en raison des liens qu’ils entretiennent avec la structure politique. Ces échanges constants ont influencé la logique du Rassemblement national qui, au fil du temps, a délaissé la constitution d’un programme politique détaillé au profit d’un vague ensemble de valeurs identitaires.
Aujourd’hui, la seule organisation clairement identifiée qui subsiste dans la ville est Lyon Populaire, un groupe national-révolutionnaire. Quelle est la différence avec les identitaires ? Peut-on assister à un transfert des militants d’un groupe à un autre ?
Ces mouvances partagent une proximité idéologique, même si leurs modes d’action diffèrent légèrement. Les identitaires cherchent davantage à se fondre dans la population pour diffuser leurs idées, tandis que les nationalistes-révolutionnaires se singularisent pour montrer leur appartenance à une avant-garde. Les deux groupes sont violents, mais les identitaires se présentent comme les défenseurs de la civilisation européenne et blanche, alors que les nationalistes-révolutionnaires ont une logique plus agressive, cherchant à imposer la loi dans un quartier. Depuis quelques années, ces groupes ont pris l’habitude d’agir ensemble pour paraitre plus nombreux et diminuer les risques d’être clairement identifiés et dissous. Ils peuvent également s’appuyer sur les clubs de supporters hooligans ou le groupe féminin nationaliste et identitaire, Némésis, pour poursuivre leurs activités, sans avoir besoin de constituer ou de rejoindre un nouveau groupe.
Si ces groupes se ressemblent, pourquoi ne pas avoir également décidé de dissoudre Lyon Populaire en juin dernier ?
La dissolution des Remparts fait suite à plusieurs agressions violentes de chefs identitaires, qui s’en sont pris gratuitement à des passants. Cependant, je pense qu’il s’agit avant tout d’une manœuvre politicienne car il n’y a pas de raison de dissoudre les uns plutôt que les autres. À l’approche des élections législatives, Gérald Darmanin a voulu profiter de l’occasion pour montrer sa fermeté envers l’extrême droite, afin de répondre aux critiques de certains à son encontre.
Dans ce cas, quelles mesures les autorités pourraient-elles prendre pour empêcher les militants de ces groupes de continuer leurs actions ?
Il y a le travail des forces de police et de sécurité, mais cela ne suffit pas. Le seul moyen de mettre fin à ces groupes violents, c’est d’une part en informant la population sur leurs agissements car, pendant des décennies, la majorité des Lyonnais qui n’habitait pas dans le centre ignorait totalement l’existence de ces groupes. D’autre part, le problème est politique puisque l’extrême droite a en grande partie gagné la guerre culturelle. Aujourd’hui, Marine Le Pen obtient 41 % des voix au second tour de la présidentielle et personne ne réagit. Il ne faut pas croire que les électeurs du Rassemblement national sont tous des fascistes, mais ils ne perçoivent plus le danger. Et c’est précisément l’essor de ces groupuscules qui leur a permis de pénétrer l’opinion publique de leurs idées.
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