Depuis octobre 2022, la MESA (Maison Engagée et Solidaire de l’Alimentation) du 8e arrondissement de Lyon offre une alimentation de qualité à prix réduit pour lutter contre la précarité alimentaire et propose un espace d’échanges renforçant les liens entre les habitants du quartier. Reportage.

« Qui a besoin de fromage ? ». Ce jeudi 20 décembre, 17h00, la MESA (Maison Engagée et Solidaire de l’Alimentation) grouille de monde. « Moi », répond une dame, un potimarron en main. Dans ce tiers-lieu situé 83 avenue Paul Santy (Lyon, 8e) se côtoient un restaurant, une cafétéria et une épicerie. Cette dernière ouvre ses portes trois demi-journées par semaine et chaque fois accueille « 150 à 180 personnes », indique Giao Tran, médiatrice sociale du lieu depuis septembre.

La MESA est le fruit d’un projet collaboratif porté par deux associations, VRAC (Vers un Réseau d’Achat en Commun), fondée en 2013 et qui milite via ses 22 antennes françaises pour rendre l’alimentation de qualité accessible à tous, et Récup&Gamelles, engagée contre le gaspillage alimentaire. Cette initiative naît dans un contexte d’augmentation de la précarité alimentaire en France où huit millions de personnes, soit 13 % de la population nationale, sont touchées d’après le récent rapport « L’injuste prix de notre alimentation – quels coûts pour la société et la planète ? » co-réalisé par le Secours Catholique, le réseau CIVAM, Solidarité Paysans et la Fédération Française des Diabétiques.

L’idée ? Favoriser l’accès au droit fondamental de se nourrir, pour et avec les habitants du quartier. « Il y a eu un an de préparation avant que le lieu soit ouvert en octobre 2022 », raconte Laura Wasson, responsable de l’épicerie. « On se retrouvait dans les locaux de la Permanence Photographique, au 110 avenue Paul Santy », retrace Hafiza, bénévole de la première heure et habitante du quartier.

La croix verte de la pharmacie du 83 avenue Paul Santy a été remplacée par les lettres colorées de la MESA (Maison Engagée et Solidaire de l’Alimentation) en 2022. Photo A. Carrier

Des tarifs pour tous

Ensemble, les habitants ont défini la fréquence, les horaires d’ouverture et la tarification de la MESA. Trois catégories sont proposées : le tarif « coup de pouce », créé en 2023 en réponse à l’inflation, s’adresse aux personnes orientées par une assistante sociale ou vivant dans un foyer. Il offre une réduction de 50 % du prix d’achat et une adhésion gratuite. Le tarif « quartier » est ouvert aux résidents des quartiers prioritaires de la ville (QPV) et aux étudiants, avec une adhésion minimale d’un euro par année. Les autres adhérents bénéficient du tarif « solidaire » et doivent débourser un montant minimal de dix euros et un supplément de 20 % du prix d’achat pour les produits de l’épicerie.

Les trois tarifications sont indiquées par des pastilles colorées : la verte pour le tarif « coup de pouce », la bleue pour celui appelé « quartier » et la rouge pour les prix « solidaires ». Photo A. Carrier

La MESA est aussi partenaire de la caisse de l’alimentation Calim8 qui, comme une trentaine d’autres en France, s’inspire du modèle de la Sécurité sociale. Chaque mois, Ourida, adhérente de la Calim8 qui habite en face de la MESA, et son mari, reçoivent ainsi 225 euros. « Ça nous aide. Sans Calim8, on n’osait pas acheter bio », confie-t-elle. « Ça fait du bien aux courses et au moral ».

Lancée le 1er octobre 2024 grâce à l’association Territoires à VivreS et ses partenaires, pour une durée d’un an, cette initiative a été co-construite avec les habitants du 8e arrondissement de Lyon. « On a 200 000 euros de budget, financé à 75 % par la Métropole de Lyon et l’État, à condition que 30 % du financement de la caisse proviennent des cotisations », explique Sylvain Dumont, bénévole chez Territoires à VivreS et employé de la MESA depuis novembre.

Hafiza (à droite, au premier plan) discute des avantages de la calim8 avec une adhérente, les bras posés sur une cagette de pommes bio. Photo A. Carrier

« On en a marre de Carrefour et des cochonneries »

« La quasi-totalité de l’épicerie est bio », garantit Laura. Pour s’approvisionner, « on passe principalement par le catalogue de Vrac Lyon qui a des producteurs partenaires et fait des commandes groupées ». Cela permet de proposer chaque semaine : « 24 œufs, un litre d’huile d’olive, deux plaquettes de beurre par foyer ». D’autres denrées proviennent de producteurs locaux non référencés par Vrac, comme le pain, livré deux fois par semaine par l’association Miecyclette ou les champignons de Paris qui « poussent sous nos pieds dans la champignonnière de Benjamin Régnier », précise-t-elle.

Récup&Gamelles et VRAC partagent les étagères et la chambre froide du sous-sol de la MESA pour stocker leurs produits secs et frais quasiment tous bio. Photo A. Carrier

« On en a marre de Carrefour et des cochonneries », affirme Hafiza. Ces mots résonnent avec l’appel à une mobilisation générale contre l’épidémie d’obésité prononcé par l’OMS. 17 % de la population française en souffre selon le ministère des Solidarités. La MESA est aussi l’occasion pour certains comme Julienne, atteinte du syndrome du côlon irritable, de réapprivoiser son rapport à la nourriture : « Je ne mange que des produits d’ici et grâce à ça je peux enfin remanger du sucré. »

« C’est notre deuxième maison »

Plus qu’une épicerie, ce lieu est aussi un espace d’échanges. « C’est la première fois que j’y viens faire mes courses mais je suis comme un poisson dans l’eau. Il y a une chaleur », raconte Nadine, 73 ans, retraité. « C’est notre deuxième maison », confirme Hafiza.

Tous les mercredis après-midi, sont organisés des ateliers sur un thème choisi par les adhérents. « Alimentation et santé » pour l’année 2024. Aussi, les mardis matins, les adhérents peuvent se retrouver pour les ateliers anti-gaspi. Ce mardi 18 décembre, quatre adhérentes sont venues. « Normalement, il y a plutôt entre six à huit personnes mais le froid a été un frein aujourd’hui », analyse Giao. Trois d’entre elles, Khemissa, Makboula et Siam font partie de l’association SPAction qui facilite la réinsertion professionnelle des chômeurs de longue durée. Elles travaillent dix heures par semaine à la MESA mais les mardis c’est pour « l’amour de la cuisine et le plaisir de discuter » qu’elles se rejoignent, raconte Khemissa.

Khemissa, Siam et Makboula (de gauche à droite) dégustent la soupe de poireaux, patates douces, carottes et pain qu’elles ont préparée ensemble. Photo A. Carrier

Le collectif avant tout

Pour répondre à la demande des plus de « 780 adhérents » que la MESA a accueillis en 2024, l’aide des bénévoles est précieuse d’autant que « depuis la création de la caisse alimentaire et l’apparition du tarif coup de pouce en 2023, on a de plus en plus de monde », remarque Giao. Elle ajoute : « Ils sont une dizaine par semaine, principalement des personnes âgées à la retraite mais aussi de plus en plus d’étudiants ». Ils assurent vente, ménage, cuisine et réassort.

Reste qu’aujourd’hui, les financements apportés par les subventions des collectivités, des banques et, pour une très faible part, par les dons pourraient ne plus suffire. Surtout que de moins en moins de personnes en tarif « solidaire », garants financiers et de la mixité sociale du lieu, prennent leur adhésion.

La fermeture du restaurant en juin « à cause d’un dégât des eaux dans une partie de la cuisine » n’a pas aidé, s’attriste Giao. La préparation des repas, à partir des invendus de l’épicerie, les mercredi, jeudi et vendredi midis, était assurée par Annita de Récup&Gamelles aidée de bénévoles. « On faisait 25 couverts » par semaine, se souvient Giao. « Depuis, les gens pensent que c’est simplement un lieu pour acheter ». Et le nombre augmentant, « ça devient plus dur de faire comprendre aux adhérents que la MESA ne peut pas compter que sur l’équipe salariée ». La réouverture du restaurant début 2025 « devrait, espère Giao, redonner une nouvelle dynamique ».

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