« Faites du bruit ! » (3/6). Crier, chuchoter, performer, scander, chanter : rencontre avec celles et ceux qui partagent une hantise du silence. Depuis ses débuts sur scène, il y a trois ans, l’humoriste lyonnaise à la voix puissante et au style punk et « périurbain », utilise l’humour comme un outil de révolte. S’inspirant de ses années musicales comme de son engagement politique, Chloé Drouet porte sa voix dans un spectacle qui « change modestement le monde ».
« Depuis que j’ai quatre ans, on me dit que j’ai une gueule. » Assise à l’angle d’une terrasse lyonnaise du 7ème arrondissement, quelques heures avant une soirée stand-up au Speaker, un Comedy-Club niché dans les pentes de la Croix-Rousse, Chloé Drouet repense à ses premiers pas dans le monde de l’humour. Elle a 36 ans, et voilà maintenant trois ans qu’elle occupe la scène.
« Pour les gens, quand j’étais en maternelle, j’allais pas en récré, j’allais en pause clope », rit-elle en spectacle. Chloé Drouet n’a jamais eu peur de se faire entendre. Piercings, tatouages, franc parler et entrée en musique, l’humoriste marque les esprits dès son apparition.
« J’avais besoin d’écrire des blagues, de m’exprimer, de faire rire »
Afin d’échapper à la morosité oppressante de la période post-confinement, la jeune femme a sorti de son tiroir son carnet de blagues. Elle aime le surnommer « Mon chat a vomi sur mon cahier de blagues » en clin d’œil à un incident inopportun. « Je ne savais pas ce que je voulais faire, mais il fallait que je fasse quelque chose. »
Six jours après avoir rencontré l’humoriste Yacine Belhousse, elle monte sur scène dans la salle du Toï Toï à Villeurbanne. Cinq minutes de passage sont prévues. Finalement, ce sont douze minutes de blagues mordantes, teintées d’humour noir, qu’elle présente au public. En quittant la scène, elle prend conscience que ses premiers sketchs sont politiques. La comédienne a grandi à Meyzieu, en banlieue lyonnaise, avec deux grands frères engagés. « J’ai été politisée très jeune. Avec la scène, j’ai trouvé une nouvelle manière de militer », estime-t-elle.
« Dans mon groupe de rock, je criais ! »
Avant de se lancer dans le stand-up, c’était en musique que Chloé Drouet s’exprimait. « Ma mère voulait me projeter dans un milieu avec un certain capital culturel, elle a choisi la musique pour nous ouvrir à la culture. » La Lyonnaise découvre la musique grâce au solfège. Plus tard, de ses 14 à 27 ans, elle prête sa voix dans des groupes de rock montés avec ses amis. « Je criais ! »
Son univers musical s’est enrichi lorsqu’elle a pris son envol, piano en main, pour Montréal le temps d’un hiver. Entourée de colocataires musiciens, ses soirées étaient animées par des accords de dark folk. « Sur scène, je veux faire comme si je menais mon groupe de rock imaginaire, avec les codes de rébellion et de révolte antisociale », sourit-elle.
« Je veux parler fort pour me faire entendre ! »
Aujourd’hui elle ne veut plus seulement faire quelques blagues politiques, mais imaginer un spectacle engagé. « Je veux crier, hurler, faire résonner ma voix, celles des femmes. Parler fort est une nécessité pour se faire entendre dans ce monde », défend-t-elle avec détermination.
Face à la montée de l’extrême droite et du nombre croissant des dénonciations de violences sexistes et sexuelles dans le milieu de la scène, l’humoriste hausse le ton. Avec ses tatouages « pour effrayer l’adversaire », sa tenue unisexe et sa voix résonnante, Chloé Drouet se fait une place dans un monde masculin et encore empreint de misogynie. « Quand un homme sort de scène, on lui parle Olympia et technique. Quand une femme sort de scène, on pense qu’elle est débutante et on lui dit qu’elle est courageuse. » Sur les réseaux sociaux, c’est pire : réflexions désobligeantes sur le physique, insultes et menaces s’accumulent.
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À travers ses sketchs, Chloé Drouet partage aux femmes le désir de se rassembler. « Je me suis politisée à mesure que mon corps a changé. J’ai compris que je devrais le protéger des autres. Pour éviter le danger et me protéger, je crie », confie-t-elle. C’est ce qu’elle accomplit dans son spectacle Chloé Fu**ing Drouet, en « disséquant les rapports de domination ».
« Excuse-moi, je suis désolée de te déranger, je voulais juste te dire bravo et surtout merci pour ton spectacle la semaine dernière. » Après ce compliment d’une spectatrice passant dans la rue, un sourire se lit sur le visage de l’humoriste. « C’est ce soutien entre femmes qui fait le plus plaisir. »