Situé sur la rive gauche du Rhône, le quartier de la Guillotière et sa mixité sociale et culturelle font l’objet de multiples fantasmes. Les journalistes de l’Ecornifleur s’y sont baladés, à la rencontre de celles et ceux qui font la singularité du quartier.


Depuis huit ans, Clarisse Piroud supervise le chœur de femmes de la fanfare des pavés. Dans les rues de Lyon, au rythme des percussions, la chanteuse voyage grâce à sa voix.
Dans le local de l’association Artis, situé dans le quartier de la Guillotière à Lyon, la cheffe de chœur de la fanfare des pavés Clarisse Piroud se trouve souriante au milieu des costumes.
Dans le local de l’association Artis, situé dans le quartier de la Guillotière à Lyon, la cheffe de chœur Clarisse Piroud travaille la technique vocale des chanteuses de la fanfare des pavés. Lyon, France. 9 novembre 2023. © Tom Sallembien

D’une rencontre avec Clarisse Piroud, on en ressort comme d’une déambulation de la fanfare des pavés, rempli d’envies de voyage, de rencontres et d’humanité. Cette fanfare lyonnaise, dont elle est la co-directrice artistique, a été fondée en 2000 par le percussionniste François Grenier. Depuis, elle sillonne les rues de Lyon en proposant des spectacles de rue scénographiés tout en interprétant des musiques du monde.

« Je ne chante jamais en français »

La chanteuse de quarante-quatre ans, qui a rejoint la fanfare en tant qu’intermittente du spectacle en 2013, annonce d’emblée son leitmotiv : « Je ne chante jamais en français, dans aucun de mes projets ». Pour elle, chanter en arabe, turc ou romani est une manière de voyager et « d’essayer de rencontrer d’autres cultures », grâce à la musique et à « son pouvoir ».

Ce pouvoir prend forme, par exemple, lorsque la fanfare des pavés commence son show sur la place Gabrielle Péri, que Clarisse Piroud traverse habituellement « en baissant la tête pour essayer de ne pas se faire alpaguer ». Quand le chœur de vingt-cinq femmes, dirigé par la chanteuse, donne de la voix, les passants se prennent au jeu. « Ils dansent, rigolent, certains connaissent les musiques et chantent avec nous, raconte-t-elle. Ce sont toujours des moments incroyables, il se passe des choses émotionnellement très fortes ». Plus tard, lorsqu’elle repasse sur cette place sans son costume coloré, elle remarque que « la magie s’est évaporée », l’important étant qu’elle ait existé.

Depuis huit ans, son activité principale en tant qu’intermittente du spectacle consiste à superviser les chanteuses de la fanfare des pavés. Lorsqu’on la questionne sur son rôle de cheffe de chœur, Clarisse Piroud esquisse un sourire : « vous voulez la vraie définition ? Ou ce que je fais moi ? », s’amuse-t-elle avant de préciser qu’elle s’est formée « sur le tas ». Ainsi, au rythme d’un samedi par mois, la chanteuse fait travailler la technique vocale aux amatrices, car il faut pouvoir « chanter fort dans la rue sans se faire mal ». Pour elle, les artistes de la fanfare des pavés ont tous un point en commun : « Ils sont en recherche d’échanges et de contact, et souvent proches de différentes cultures dans leur vie personnelle ou professionnelle », explique-t-elle.

« Se rencontrer sans seulement se croiser de manière imperméable »

Son travail consiste aussi en la mise en espace de la fanfare dans l’espace public. L’ensemble des chants entonnés étant en langue étrangère et non traduits au public, « il faut trouver des mouvements et un placement cohérents, qui racontent quelque chose par rapport au sens des paroles », souligne-t-elle. Pour elle, la déambulation et la rue sont aussi importantes que les chants. En occupant la place Mazagran ou Gabriel Péri, elle essaie de faire en sorte que les gens « se rencontrent sans seulement se croiser de manière imperméable », que ces places souvent sous tension et délaissées « prennent une autre dimension pendant un temps éphémère grâce à la musique ».

C’est aussi lors de ces sorties qu’elle rencontre certaines personnes ayant pour langue maternelle celles utilisées par la fanfare. « La première fois que j’ai dû chanter en romani devant des personnes Roms, je n’en menais pas large concernant la prononciation ! », rigole-t-elle. Elle ajoute que cela est souvent bien reçu et donne lieu à des « échanges enrichissants ».

De son côté, c’est très tôt que Clarisse Piroud a pu voyager et découvrir d’autres cultures. Son père, chanteur lyrique au chœur de Lyon, l’emmène en tournée jusqu’au Canada à l’âge de neuf ans. « Il répétait à la maison. Je l’ai toujours entendu chanter », se souvient-elle. Elle se forme ensuite à l’Ecole Nationale de Musique (ENM) de Villeurbanne en continuant des études de lettres qu’elle finira par quitter. En parallèle de son rôle dans la fanfare des pavés, qu’elle rejoint en 2013, Clarisse Piroud chante avec Zef Zéphyr, orchestre de rue psyché oriental autour de musiques iraniennes des années 1980.

Au cours des prochaines semaines, Clarisse Piroud ira fouler les pavés des rues de Lyon. Elle chantera sûrement, en brandissant une pancarte dénonçant les attaques du patronat envers son statut d’intermittente du spectacle. Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) a annoncé vouloir augmenter le seuil horaire d’indemnisation à 580 heures pour les artistes, aujourd’hui fixé à 507 heures. Même si elle n’a pas pu se rendre à la première manifestation des intermittents à Lyon ce jeudi 9 novembre, la chanteuse sera au rendez-vous pour les suivantes, certaine que « ce n’était pas la dernière ».

Tom Sallembien