Alors que le soleil se couche sur Fourvière, l’Ecornifleur vous embarque dans le monde de la nuit auprès des noctambules et travailleurs de l’ombre.
Signe de la fin d’une époque, le marché Saint-Antoine dans le 2e arrondissement de Lyon, véritable institution, peine de plus en plus à attirer des clients en semaine. L’Ecornifleur est allé au petit matin à la rencontre de ses commerçants.
6h15. 2°C. Un mercredi de décembre. Il fait encore nuit mais déjà trois commerçants s’affairent sur le quai Saint-Antoine pour mettre en place leurs étals. Sortir au transpalette les caisses de fruits et légumes du camion, extraire les tables et les déplier, laver les caisses. Un vrai travail de manutentionnaire.
Les commerçants déjà arrivés travaillent mais ne sont pas pressés. Quant aux autres, ils arrivent de plus en plus tard. 7 heures. 7 heures et demie. « La semaine, c’est tranquille », lâche Françoise, 54 ans, charcutière. Et en effet, les clients n’arrivent pas.
Niché entre le pont Alphonse Juin et le pont Bonaparte sur les quais de Saône, le marché Saint-Antoine est une véritable institution culinaire à Lyon et pourtant, les vendeurs ne sont plus qu’une petite dizaine à lever leurs étals la semaine.
Françoise a repris avec son frère la charcuterie de ses parents qui ont commencé à vendre sur le marché Saint-Antoine en 1974. Elle, qui a commencé il y a quinze ans, observe une nette transformation du marché. « Avant, à 10 heures, il y avait des commerçants qui avaient fini de vendre. Depuis le Covid, les habitudes de vie ont changé. Il y a Cerise et Potiron, Grand Frais, les magasins ouvrent jusqu’à 23 heures. Donc la semaine, il n’y a plus que les personnes âgées », relève-t-elle.
Moins d’accès routiers, moins de clients
La volonté de la mairie écologiste de réduire le nombre de voitures sur la Presqu’île est aussi pointée du doigt par tous les commerçants qui ont perdu une clientèle extérieure à Lyon. « Il y a moins de voies donc on ne peut plus circuler, les parkings sont hors de prix. C’est utopique d’imaginer une personne prendre sa voiture, se garer à Vaise, puis prendre le métro pour venir juste pour le marché », considère Christophe, 43 ans, charcutier.
« Avant, il y avait des gens qui venaient de Charbonnières-les-Bains, Caluire mais maintenant ils mettent quarante-cinq minutes à une heure et demie pour venir, c’est trop long. Moi ça va, je suis le seul volailler sur le marché mais les maraîchers doivent plus en souffrir », explique Eric, 44 ans. Et l’avenir ne s’annonce pas plus réjouissant pour ces commerçants.
La volonté des élus est de mettre en place une zone à trafic limité de la place Bellecour jusqu’à celle des Terreaux d’ici 2025. La rue Grenette, très fréquentée, juste à côté du marché, est destinée à être fermée à la circulation automobile dans cette optique. « Il y a plein de clients qui nous ont dit “le jour où la rue Grenette sera fermée, on ne descendra plus, on ne viendra plus” », ajoute Françoise.
Tandis que les commerçants comme les charcutiers ou les fleuristes se font livrer directement sur le marché par leurs fournisseurs – « c’est plus facile logistiquement », dit Eric – d’autres ont commencé leur journée bien plus tôt pour préparer le marché. C’est le cas de Régis, 57 ans, maraîcher : « Je me suis levé à 1 heure pour charger mes produits, aller acheter ceux que je ne fais pas pousser sur mes terres à Corbas [le marché de gros Lyon-Corbas]. J’ai quarante-cinq minutes de route depuis chez moi et je suis arrivé à 6 heures ».
« Le marché c’est devenu le plaisir du weekend »
Avec des conditions de travail aussi rudes et le froid qui s’installe, heureusement que les clients sont au rendez-vous le week-end. « Le samedi et dimanche il y a du monde, le marché c’est devenu le plaisir du week-end, analyse Françoise, et on a quand même une nouvelle clientèle, les trentenaires que l’on voit de plus en plus. Mais seulement le week-end. »
Cette nouvelle clientèle renoue avec ce qu’il y a d’unique dans un marché alimentaire. « Il y a ce contact avec le client qui est important et qu’on ne retrouve pas ailleurs. Et puis on vend de la qualité aussi ce n’est pas une histoire de prix, il y a des marques qu’ils ne retrouveront pas en grande surface », développe Christophe.
C’est aussi l’avis de Laurent, 50 ans, premier client de la journée : « Je suis cuisinier et je viens ici parce que sur un marché, les produits sont de meilleure qualité et c’est produit localement. Par exemple, ce maraîcher ne fait que des produits de saison », dit-il en désignant un maraîcher en pleine installation de son stand.
Alors que le soleil vient de se lever sur la colline de Fourvière, les marchands craignent tout de même que cette clientèle du week-end ne suffise pas. Aucun d’entre eux n’envisage d’arrêter pour le moment. Mais Régis finit par lâcher : « J’espère bientôt partir à la retraite ».
Célia Daniel