Situé sur la rive gauche du Rhône, le quartier de la Guillotière et sa mixité sociale et culturelle font l’objet de multiples fantasmes. Les journalistes de l’Ecornifleur s’y sont baladés, à la rencontre de celles et ceux qui font la singularité du quartier.
Julie et Léa font de leur restaurant, vieux de quarante ans, au cœur de la Guillotière, un lieu chaleureux, à l’image de leurs personnalités. L’envie de partager à prix raisonné est au centre de leur cuisine lyonnaise depuis trois ans.
Comme le nom ne l’indique pas, Julie Rebout et Léa Savoyat sont les deux femmes qui se cachent derrière l’enseigne « Chez Marcelle et Daniel », restaurant au nom de ses créateurs depuis quarante ans. Amies depuis une dizaine d’années, associées depuis trois ans, ces néo « mères lyonnaises », figures de la gastronomie française, se rencontrent lorsque Léa s’éprend du meilleur ami de Julie, aujourd’hui son compagnon. Désormais, à quarante-trois et trente-huit ans, elles font vivre le restaurant chaque midi de la semaine.
Au 7 rue Montesquieu, dans le quartier de La Guillotière à Lyon, elles servent une cuisine simple et abordable dans un lieu convivial rempli d’habitués, de petites tables et chaises en bois et d’objets chinés. À la carte, inscrite sur une ardoise, pièce de bœuf, andouillette, omelette ou encore salade lyonnaise… En dessert, fondant au chocolat, moelleux pommes et framboises ou baba au rhum.
« Un jour où je suis venue déjeuner ici, Daniel, le chef cuisinier, m’a proposé de reprendre l’affaire pour que l’histoire continue », raconte Julie, déjà cuisinière à l’époque. Elle l’a alors rejoint, durant un an, pour qu’il lui transmette sa cuisine. Daniel et Marcelle sont partis après 40 ans de service avec leurs amis et familles. Léa et Julie ont repris en novembre 2020, tout est resté dans la même disposition, « sauf la couleur de la façade », repeinte en bleu.
« Les clients nous renvoient bien leur bonheur de venir ici »
« Un endroit comme ici, où les habitués font comme chez eux, cela n’existe plus ! », témoigne une cliente. Tout en respectant l’essence de la cuisine lyonnaise de Daniel, les jeunes femmes ont introduit les légumes de saison et les options végétariennes. « C’est bon, généreux, et roboratif », ajoute la cliente. Les tenancières de cette « cantine » s’engagent à servir une cuisine abordable. Malgré l’inflation, elles bloquent le prix du plat du jour à dix euros. Les habitués, satisfaits par la transition, ont continué à venir et ont gardé leurs vieilles habitudes : se lever pour se servir le pain ou le café.
« On a une clientèle du coin, très mélangée : les vieux du bâtiment, les archis, la clique du théâtre, les étudiants en médecine… », témoigne Léa. « C’est triste ces endroits où les gens sont soit de droite soit de gauche, soit jeunes soit vieux », enchérit Julie. « Ici, comme les tables sont rapprochées, les gens se connaissent ! » Ce lieu de vie à la décoration bariolée attire tous ceux qui souhaitent partager un moment simple et créer des liens.
Avec quarante-cinq couverts par jour, il faudrait cinq à dix clients de plus, chaque jour, pour que Julie et Léa atteignent leur objectif financier. Or, Léa avoue : « nous ne faisons pas ça pour gagner beaucoup d’argent ». Leur souhait, de faire plaisir aux autres à travers la cuisine, en prenant soin de leur santé, semble déjà exaucé : « les gens nous aiment beaucoup et nous aimons les gens. Les clients nous renvoient bien leur bonheur de venir ici. ».
« Pour devenir cheffe, la seule solution était d’ouvrir mon restaurant »
Les deux femmes ont fait des choix de carrière féministes en faveur de leur épanouissement. « Dans mes anciens postes de cuisinière, je n’ai jamais été promue. Les hommes, plus jeunes et moins compétents que moi, me passaient devant. Pour devenir cheffe, la seule solution était d’ouvrir mon restaurant », explique Julie. C’était un choix d’indépendance. » Ce métier n’est pas ouvert équitablement aux hommes et aux femmes : 94% des chefs cuisiniers étaient des hommes en 2006, d’après l’étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.
Quant à Léa, après sa première grossesse, elle n’est pas retournée à la librairie dans laquelle elle travaillait depuis dix ans pour rejoindre Julie. Elle s’épanouit pleinement en salle et aux desserts : « Je n’ai pas de rêve. Je suis contente de mon métier. Je travaille dans de très bonnes conditions ». Elle se réjouit d’avoir un temps de travail plus restreint, 9h30 à 16 heures, et des congés scolaires pour passer plus de temps avec ses enfants.
Symbole de leur engagement, elles ont inscrit « Le reboot des mères lyonnaises » sur leur devanture, faisant référence aux premières femmes restauratrices en France dès le XVIIIe siècle. Ces dernières n’avaient pourtant pas le droit de travailler à l’époque, car étaient sous la coupe des hommes. Julie et Léa assument fièrement s‘être « inspirées de l’état d’esprit » de ces pionnières qui ont marqué la gastronomie française. Elles partagent cette même cuisine régionale, populaire et familiale.
Pénélope Gualchierotti