Jusqu’au mois de janvier 2024, près de 200 mineurs non accompagnés vivaient à Lyon dans un campement situé au Square Sainte-Marie Perrin dans le 3ème arrondissement de Lyon. Tandis que les acteurs institutionnels se renvoyaient la balle sur les modalités de leur prise en charge, ils passaient l’hiver à la rue. 
Daniel, Camerounais, face au camp de mineurs isolés du Square Sainte-Marie Perrin
Daniel, ici de dos, est parti à 14 ans du Cameroun. Il ne se sépare pas de son sac à dos, par peur de se faire voler ses affaires et documents importants. Lyon, le 20 décembre 2023. Crédit : Paul Poirot

Le 20 décembre 2023, devant l’église du Saint-Sacrement dans le 3ème arrondissement lyonnais, on peut lire sur des écriteaux “6 mois sous tente, et toujours dans l’attente” ou “dormir dehors en hiver, métropole, préfecture, vous laissez faire ?”. De l’autre côté de la rue, square Sainte-Marie Perrin, près de 180 mineurs non accompagnés -c’est à dire à dire non accompagnés d’un représentant légal- dorment dans un campement de fortune, selon les chiffres du Centre Communal d’Action Social. 

Une situation “inhumaine” pour le Collectif Soutiens / Migrants Croix Rousse. Devant la presse, ils déplorent le manque de concertation des institutions pour loger ces adolescents. La mairie de Lyon leur aurait promis l’ouverture d’un gymnase avant le 22 décembre. Au 20 décembre, aucune nouvelle. “Madame Runel nous fait du pipo”, s’exclame une bénévole citant l’adjointe au maire de Lyon déléguée aux solidarités. 

Pourquoi n’ont-ils pas pris de décision ?”, se demande Bachir Diallo au nom de ses camarades qui dorment dans le campement. Tous ont entendu les promesses de la métropole, la préfecture, la mairie, ou le diocèse pour leur trouver un hébergement. Tous dorment à la rue à la veille de l’hiver. 

Des rats qui nous mangent les pieds” 

A quelque mètre de l’église du Saint-Sacrement, au square Sainte-Marie Perrin, une centaine de jeunes hommes se massent autour d’une camionnette de la Croix Rouge. Ils y cherchent l’électricité d’un générateur, et un peu de wifi. Les adolescents qui vivent ici en profitent pour communiquer avec leurs familles respectives, souvent bien loin de Lyon. Ils viennent de Guinée Conakry, du Cameroun, ou encore de la Côte d’Ivoire, et ont quitté leur pays natal pour la France. À l’image des jeunes de leurs âges, ils partagent l’amour du foot, du rugby, ou de la musique. Mais leur quotidien à eux, c’est la rue.  

Au premier plan, le campement du square Sainte-Marie Perrin. En arrière plan, les bureaux de la métropole de Lyon. Lyon, le 20 décembre 2023. Crédit : Paul Poirot
Les tentes, bâches, et le froid du campement du square Sainte-Marie Perrin. En arrière plan, les bureaux de la métropole de Lyon. Lyon, le 20 décembre 2023. Crédit : Paul Poirot

Le campement à l’intersection des rues Paul Bert et Garibaldi est apparu en avril 2023. Y cohabitent des jeunes hommes qui disent être mineurs, mais dont la minorité n’a pas été reconnue par la métropole de Lyon après leur évaluation par l’organisation Forum réfugiés, une association française pour l’accueil des réfugiés et la défense du droit d’asile. N’étant pas reconnus mineurs, ils ne peuvent bénéficier d’une prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance. La plupart d’entre eux, avec l’aide du Collectif Aide des Mineurs Isolé.es Etranger.es (AMIE), présentent alors un recours devant un juge des enfants. Mais le délai de convocation est souvent de plusieurs mois, en raison de la multiplication des procédures. Au campement, sur 330 jeunes ayant présenté un recours depuis avril 2023, seuls 70 seraient passés devant la justice selon les chiffres du collectif. En l’absence de présomption de minorité en droit français, à l’encontre de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, cette période d’attente s’effectue donc à la rue, ou en squats lorsque des places sont disponibles.  

La vie de ces mineurs en recours, c’est donc celle des tentes trouées sur des palettes de bois, des bâches de récupération pour se protéger de la pluie, des poubelles du parc qui débordent, et des toilettes de chantier bouchées. Au camp, tous se plaignent de conditions de vie inhumaines. Daniel, 16 ans, est originaire du Cameroun : “j’ai des boutons partout. On a des poux, tellement. Des rats qui nous mangent les pieds”.

Aux alentours, aucune installation ne permet de se laver si ce n’est un robinet de fortune qui amène un peu d’eau. Daoud, un Ivoirien de 16 ans, parle pour son groupe d’amis : “on est très malade avec l’hiver”. La dizaine de jeunes hommes acquiesce, le froid hivernal qu’ils découvrent en France les affectent particulièrement, la nuit notamment. À côté, Abdoul Amar enchaîne : “tu peux pas dormir !”. 

Le 8 décembre dernier, le Collectif Soutien / Migrants Croix Rousse organisait la mise à l’abri d’une cinquantaine de mineurs dans l’église du Saint-Sacrement de l’autre côté de la rue. Mais la température n’y est pas beaucoup plus élevée.  

Sow Alpha dans l'Eglise du Saint Sacrement, Lyon 3
Sow Alpha est fatigué. Depuis plusieurs jours, il dort dans l’église du Saint-Sacrement avec une cinquantaine de mineurs. Lyon, le 20 décembre 2023. Crédit : Paul Poirot

“La mort, c’est mieux que ça” 

Ce qu’ils souhaitent, c’est aller à l’école. Pour beaucoup, le français n’est pas leur langue maternelle, alors ils essaient d’apprendre. C’est la matière préférée de Boubacar Diallo, 15 ans, dont la langue maternelle est le Pular, une variété du Peul. Il l’admet, “c’est difficile”, lui qui n’avait jamais été scolarisé en Guinée. Mais il reconnaît sa chance d’aller à l’école.

Sur les 180 mineurs du camp, seuls 23 sont scolarisés selon le collectif AMIE. Les autres peuvent bénéficier des cours du secours populaire, dans l’attente d’une place au sein de l’éducation nationale.  

Si la maladie, le froid, et l’ennui les ronge, ils témoignent aussi d’un sentiment d’abandon. “Toujours des journalistes, et ça ne change rien”, s’exclame Doumia, un Ivoirien de 15 ans. Sur leur quotidien, il ajoute : “quand tu penses à ça, tu risques de te suicider. La mort, c’est mieux que ça”. 

Tous refusent d’être photographiés, par peur que leurs parents restés chez eux les reconnaissent sur Internet. Pas question de montrer leurs conditions de vie au camp, eux qui pensaient réussir dans le “pays des droits de l’Homme”.   

Et si l’insalubrité ne suffisait pas, la menace des groupes identitaires lyonnais pèse sur le campement, et inquiète les bénévoles du collectif. Après l’attaque au couteau d’Annecy le 8 juin 2023, le groupuscule d’extrême droite radicale, les Remparts, opérait une fermeture symbolique du parc. Des rubans de signalisation barraient l’entrée du parc, accompagnés de messages racistes, invitant à “chasser les clandestins”. “On ne voudrait pas qu’il y ait un drame”, s’inquiète un bénévole.

Paul Poirot 

 

Depuis l’écriture de l’article en décembre 2023, la situation a évolué au campement du square Sainte-Marie Perrin. Dans un communiqué le 17 janvier, le collectif Soutiens / Migrants Croix Rousse expliquait que la majorité des mineurs “ont été mis à l’abri par la ville de Lyon dans un gymnase, et une trentaine par des paroisses”. Mais le 21 janvier, 31 mineurs en recours étaient, à nouveau, contraints d’installer des tentes dans un “square municipal de Lyon 7”.