Proactive sur les réseaux sociaux et dans les activités qu’elle propose, la communauté catholique lyonnaise du Chemin Neuf cherche à séduire les jeunes. Entre engouement de la jeunesse et accusation de sectarisme, la communauté bouscule la vieille Église catholique.
« Ça va ? Vous êtes en forme ce soir ? », lance la sœur Luana Silva à la centaine de jeunes réunie dans la « Maison Paradise » un mardi soir de février. La trentaine, portant un haut blanc estampillé #Welcometoparadise, si Luana Silva n’était pas sœur au sein de la communauté du Chemin Neuf, on pourrait croire qu’elle va donner un concert. Mais au 10 rue Henri IV à Lyon, « H4 » pour les habitués, se cache une église.
A 20h30, elle s’est remplie de jeunes d’une vingtaine d’années se saluant tout sourire. Chacun vient aux nouvelles, et les accolades sont légions au pied des gradins et leurs coussins multicolores. Après tout, à H4 c’est « à l’église comme à la maison », rappelle dans son micro Luana Silva.
“ A l’église comme à la maison” Soeur Luana Silva, de la communauté du Chemin Neuf
Tous les mardis dans la communauté du Chemin Neuf, c’est soirée louanges. À quelques mètres des bars animés de la place Carnot, les jeunes catholiques n’enchaînent pas les pintes, mais les prières à Dieu. Pendant une heure, l’assemblée chante debout et prie à genoux au son des guitares acoustiques. Certains dansent timidement. D’autres lèvent les mains au ciel, les larmes aux yeux en chantant « alléluia ». À l’heure où la prière s’arrête, Luana Silva récupère le micro. Défi pour Pâques : « Lire deux chapitres de la parole de Dieu tous les jours ». Elle glisse dans une dernière phrase : « Le Paradise Café est ouvert, si vous voulez une pinte à trois euros ».
« Un ministère particulier auprès des jeunes »
Prendre le contrepied d’une Église vieillissante et faire le pari de la jeunesse : telle est la recette de la communauté du Chemin Neuf. Paul Étienne, 23 ans, est conquis : « Ça m’a trop plu, ça n’a rien à voir avec les messes longues et chiantes ». Accompagné de son frère, il fait partie de la dizaine de nouvelles personnes assistant à la soirée ce jour-là.
Fondée par le jésuite Laurent Fabre en 1973 au 49 montée du Chemin Neuf, dans les « pentes de la colline qui prie » (Fourvière) à Lyon, la communauté s’inscrit dans le courant du renouveau charismatique. Elle se dit oecuménique, au sens où elle prône l’unité entre les Églises et communautés chrétiennes. Et tel qu’elle le revendique fièrement, ici dans une brochure de présentation : « dans tous les lieux où elle se trouve, [elle] exerce un ministère particulier auprès des jeunes ». Sollicité par L’Écornifleur, aucun responsable de la communauté n’a souhaité répondre à nos questions sur cet intérêt particulier porté à la jeunesse.
#UNLOCK ton coeur
Les plus jeunes, de 14 à 18 ans, sont invités durant toute l’année à des évènements entre loisirs et religion. Claire a participé à un séjour d’été à l’abbaye de Sablonceaux (Charente-Maritime) lorsqu’elle avait 15 ans . « C’était dingue », se rappelle l’étudiante de 22 ans, évoquant une « culture de la fête » et le début d’ « une relation avec Dieu ». Ce sont aussi des week-ends « christian on fleek », « avec l’influenceur le plus célèbre de tous les temps : Jésus », ou des semaines « keep in touch » pour parler « d’amour et de sexualité », présentés dans la même brochure. Au Chemin Neuf, on parle la langue des jeunes, et ça inclut de nombreux anglicismes.
Pour les 18-30 ans, les projets de la communauté sont surabondants. En plus des soirées louanges, à Lyon, la communauté organise de manière hebdomadaire une messe des jeunes, des soirées partage et bible, des maraudes, et possède un café, une boutique et deux foyers étudiants.
Comme point d’orgue, le festival annuel #Welcometoparadise est organisé à l’Abbaye d’Hautecombe sur les rives du lac du Bourget (Savoie). Depuis 2012, l’abbaye pluricentenaire, gérée depuis 1992 par la communauté du Chemin Neuf, se peuple de jeunes venus du monde entier, sur trois semaines d’été. Au programme : « sports à la carte, activités nautiques, soirées extraordinaires » mais aussi prières et formations pour devenir « un chrétien équipé et formé, missionnaire, capable d’évangéliser ». « #UNLOCK ton cœur pour laisser Jésus te renouveler », invite l’organisation du festival sur son site internet.
200 000 followers
Dernière corde à leur arc, et pas des moindres : une communication professionnelle et moderne. En 2012, le compte du « Chemin Neuf Jeunes » sur Youtube publiait « catho style », une reprise de l’iconique « Gangnam Style » du Coréen Psy, dénombrant près d’un million de vues. Figure de cette jeunesse catholique à la page, « Soeur Albertine », et ses presque 200 000 followers sur Instagram. Elle y répond aux questions des internautes sur sa vie de sœur au Chemin Neuf, et partage ses interventions médiatiques, à la matinale de France Inter, chez Konbini, ou pour Le Crayon.
Chez les jeunes rencontrés par L’Écornifleur, le message de l’Église semble avoir essaimé. Grâce, 21 ans, se dit « très catholique, très pratiquante ». Noah est « fan » du pape François à 26 ans. Claire parle de sa foi comme d’une « vérité inébranlable, pure, profonde et pleine ». Toutes et tous remercient le « Seigneur » pour leur situation actuelle, et mettent leur avenir entre ses mains.
Charismatiques ou sectaires ?
À l’image de nombreuses communautés religieuses, le Chemin Neuf n’échappe pas aux accusations de dérives sectaires. À l’entrée de l’Abbaye d’Hautecombe, l’inscription « secte ! » inscrite au feutre noir jouxte le nom de la communauté sur le panneau d’entrée. Claire le reconnaît : « Beaucoup de mes potes pensaient que j’étais dans une secte ». Idem pour Noah, mis en garde par ses amis avant une année de volontariat dans la communauté au Liban.
“Mes potes pensaient que j’étais dans une secte” Claire, étudiante de 22 ans
En 1996, l’essai Les Naufragés de l’Esprit écrit par des ex-membres de communautés charismatiques, pointait du doigt « un lavage de cerveau» et le « prosélytisme » du Chemin Neuf. À l’époque, la communauté introduisait un référé en justice afin de faire interdire l’ouvrage, rejeté par le Tribunal de Paris en mai de la même année. Depuis, l’image de secte leur colle à la peau.
« Un marketing de recrutement » ?
L’Association d’aide aux Victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs Familles (AVREF) incite à « la prudence » vis-à-vis de la communauté sur leur site internet. Elle met en évidence une « confusion entre un prosélytisme de bon aloi, et un marketing de recrutement » basé sur des « produits à l’attention des jeunes », tels des « festivals d’été racoleurs ».
Sans la citer, elle discrédite aussi la « Hautecombe disciple school », une « formation biblique, théologique, communautaire » dispensée pendant un an à l’Abbaye d’Hautecombe : « Nous émettons des doutes sur la possibilité de discerner en s’isolant dans une vieille abbaye ». Sur la communication de la communauté, l’association interroge : « Les religieux sont-ils toujours jeunes ? Doivent-ils toujours sourire en groupe en permanence dans une belle prairie au cours d’une après-midi d’été ? ».
La Mission Interministérielle de Luttes contre les Dérives Sectaires (Miviludes), « recommande une certaine prudence […] pour des personnes qui seraient fragilisées ». Entre 2018 et 2020, la communauté a fait l’objet de quinze saisines pour « dérives sectaires ».