Ouvert en 2023, le collège-lycée Montessori de Chavannes-sur-Reyssouze (Ain) est une école de la seconde chance pour des élèves au parcours scolaire atypique. La visite de cet établissement hors-contrat a poussé L’Écornifleur à s’intéresser au collège-lycée et à l’école primaire de Villeurbanne, créés par le même directeur. Les témoignages recueillis sur ces structures, aujourd’hui fermées, font état de défaillances. Enquête.
Chavannes-sur-Reyssouze, 800 habitants, à 25 km de Mâcon. En empruntant un long chemin entouré de champs baignés de l’humidité de février, le visiteur tombe sur une maison qui ressemble davantage à une ferme qu’à une école. Sur une affiche en carton accrochée au portail, il est écrit à la main « Centre d’Études et de Travaux Montessori ».
Unique collège-lycée Montessori de France à avoir une ferme pédagogique et un internat en milieu rural, l’établissement suscite la curiosité et accueille donc de nombreux observateurs, selon le directeur Manuel P., ancien professeur de français au sein de l’Éducation nationale. Ce mardi matin, la visite de L’Écornifleur semble donc passer inaperçue pour les douze élèves de 11 à 15 ans et les deux éducateurs, Manuel et Maxime. Libres de s’adonner aux tâches qu’ils choisissent, conformément à la pédagogie Montessori, quatre élèves plantent des pommiers, deux sont aux fourneaux et le reste étudie.
Si les écoles maternelles et primaires Montessori attirent de plus en plus de parents en quête de pédagogies alternatives selon le Ministère de l’Éducation nationale, l’enseignement secondaire est beaucoup moins développé. De fait, la France ne compte que trois établissements secondaires reconnus par l’Association Montessori France.
Ambiance austère à table
Au déjeuner, l’ambiance est austère. Les élèves semblent à peine oser discuter. Le directeur Manuel P. ne cesse de reprendre l’un d’entre eux sur ses bonnes manières. Les remarques pleuvent et contrastent avec la liberté dont disposent les élèves le reste de la journée.
L’aventure Montessori de Manuel P. remonte à 2018, où il ouvre un collège-lycée à Villeurbanne puis une école primaire en 2021. Cette dernière ferme dès l’année suivante. Si le collège-lycée continue d’accueillir des élèves, il déménage en début d’année 2023 à Chavannes-sur-Reyssouze, à la suite de la restauration de la ferme dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui.
« Mon fils commençait à réciter des prières quand il perdait aux jeux »
Certains parents d’élèves de l’école primaire de Villeurbanne dénoncent un cours d’« éveil religieux » qui aurait été finalement centré sur la religion catholique. « Mon fils commençait à réciter des prières quand il perdait aux jeux », témoigne ainsi Aurore, mère de Gabin*, scolarisé alors qu’il avait 8 ans. « On n’était pas prévenu de cet enseignement. »
Virginie Rombaut, enseignante de la classe primaire et responsable du cours d’éveil religieux, se défend : « Les parents n’ont pas voulu comprendre qu’il y avait un enseignement religieux. C’était sur le site. Je leur ai fait part de ce projet ».
Le directeur était-il au courant ? L’enseignante assume : « Il ne savait pas ce que j’enseignais aux enfants mais les classes étaient très ouvertes donc il n’y avait pas besoin de formaliser ce qu’on faisait ». À la rentrée suivante, les parents ont tous placé leurs enfants ailleurs.
« Les enfants n’avaient pas le droit de parler »
Au collège Montessori de Villeurbanne, resté ouvert un an après la fermeture de l’école primaire, les témoignages recueillis critiquent plutôt la cantine. « Nos enfants étaient sous-alimentés. Et l’atmosphère était lugubre car les enfants n’avaient pas le droit de parler », se plaint Isabelle qui a assisté à l’un des repas alors que sa fille de six ans se plaignait d’avoir faim en rentrant à la maison.
« Un jour, on se retrouve au parc avec les parents et leurs enfants et d’un coup, un par un les enfants commencent à avoir la nausée et se mettent à vomir », se rappelle Aurore. Tous ont souffert d’une intoxication alimentaire à cause du repas préparé par les collégiens. Les services de la Ville de Villeurbanne ont prononcé la fermeture administrative de la cuisine.
Alors que les familles avaient payé les frais de bouche pour l’année scolaire, « les chèques déjà faits continuaient d’être encaissés », relate Aurore. « Manuel P. devait plus de 400€ à chaque famille », détaille Isabelle. Le recours à un médiateur de justice n’a pas suffi. Elles n’ont jamais récupéré l’argent.
Virginie Rombaut, l’enseignante des 6-12 ans, se plaint d’avoir « travaillé bénévolement deux mois ». « Je ne suis pas restée parce qu’il [le directeur, nldr] ne me payait plus », déclare-t-elle. « Si le tiers de ce qu’il s’est passé était arrivé dans le public, il y aurait eu une enquête », résume Aurore.
Établissement de la seconde chance
Il n’y a pas que des témoignages négatifs sur le collège-lycée Montessori de Villeurbanne. Plusieurs anciens disent avoir eu le sentiment d’y trouver une seconde chance. Constance*, ex-collégienne au « parcours scolaire un peu foireux », estime « avoir appris des choses fondamentales, de la vie de tous les jours ». Lana*, sa camarade, ajoute : « Ce collège m’a redonné confiance dans mes capacités ».
Au prix de 8 000€ l’année pour les élèves internes à Chavannes-sur-Reyssouze, la recherche d’une alternative à l’Éducation nationale ne se fait pas sans inquiétude pour les parents. « Je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup d’apprentissages scolaires. […] Au moins, il aura pris confiance en lui », raconte Mélanie Luis, maman de Nathan, 11 ans, actuellement scolarisé dans l’Ain.
« Il nous dégoûtait de passer des diplômes »
Certains jeunes, anciennement scolarisés à Villeurbanne, sont critiques de l’autonomie, valeur centrale de la pédagogie Montessori, poussée à l’extrême. « C’était marche ou crève ! », souligne Constance, 17 ans, qui y a été scolarisée en 4e et 3e.
Alors qu’une bannière sur leur site Internet vante aujourd’hui « Brevet des collèges ? Bac général ? Oui ! », Lana avoue avoir été découragée de passer le brevet lorsqu’elle était élève à Villeurbanne : « Il [Manuel P. ndlr] critiquait ouvertement le fait que je passe le brevet, disait que c’était une perte de temps, du gâchis. […] Il nous dégoûtait de passer des diplômes ».
Un directeur passif
Certaines filles, scolarisées à Villeurbanne à l’époque, déclarent ne pas avoir été soutenues lorsqu’elles ont fait face à des attitudes inappropriées de la part d’élèves garçons. « Un élève regardait parfois du porno […]. Une fois, il m’a fait comprendre qu’il était en érection. […] On en a parlé plusieurs fois au directeur mais il n’a rien fait », dénonce Constance.
Lana affirme avoir subi du harcèlement de la part d’un élève : « J’ai dû porter plainte. […] On a demandé avec ma mère que je ne sois pas à côté de lui lorsqu’on mangeait, ce qui n’a pas été respecté à de multiples reprises ».
Un « gourou » ?
La personnalité de Manuel P. revient régulièrement dans les critiques d’anciens élèves scolarisés à Villeurbanne ou les parents. Constance raconte un épisode qui l’a choquée lors d’un cours de sport au parc de la Tête d’Or. « Manuel a engueulé très fort Gaston* et lui a demandé de rentrer chez lui. Il l’a tiré en arrière et l’a fait tomber». « On était tous en pleurs. On avait peur », affirme Victoria*, collégienne à l’époque.
Plusieurs anciens parents d’élèves décrivent Manuel P. comme un « gourou ». Une mère, ayant scolarisé sa fille à l’école élémentaire de Villeurbanne, évoque quelqu’un qui « dit aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, manipulateur et dangereux ». Mélanie Luis, dont le fils est actuellement à la ferme pédagogique de Chavannes-sur-Reyssouze, indique avoir « eu parfois l’impression que c’était une secte ».
Contacté par L’Écornifleur afin de réagir aux témoignages, Manuel P. n’a pas donné suite. Aucune défaillance n’a été rapportée au sein de l’établissement de Chavannes-sur-Reyssouze, ouvert en 2023.
*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.