Phénomène en vogue auprès des viticulteurs et des amateurs de vin, la biodynamie séduit par son image « plus bio que bio ». Pourtant, ses fondements ésotériques théorisés par l’occultiste autrichien Rudolf Steiner dérangent. Peut-on croire en la biodynamie ? L’Écornifleur a enquêté.
Les 3,7 hectares du domaine « Jean Max » s’étendent sur trois communes des « pierres dorées » : Lachassagne, Charnay et Sainte-Paule. Lachassagne, 13 février 2024. © Paul Poirot

Dans son verre, « la biodynamie permet un feu d’artifice plus coloré et brillant ». À Lachassagne, dans le Beaujolais, Maxime Barrot est viticulteur « en conversion » vers la biodynamie. Avec 3,7 hectares de vignes, le natif de la région gère seul son jeune domaine. Ni SUV, ni doudoune sans manche, Maxime Barrot conduit une Twingo verte, et gère sa propriété depuis le fond d’une cour de ferme.  Chez « Jean Max », un surnom qui date du BTS viticole en Bourgogne, la fabrique du vin est expérimentale.

Concrètement, cela signifie qu’il épand dans ses vignes des préparations de bouse de corne, et de silice de corne. L’une est obtenue en période hivernale par la fermentation de bouses de vaches introduite dans des cornes de vaches. L’autre en enterrant pendant l’été du quartz broyé dans une corne de vache. « C’est la magie des vins », explique le viticulteur de 31 ans. Une manière d’aller « plus loin dans les émotions qu’on peut donner » et « d’incarner son domaine ».

Des « préparations magiques » 

Dans le monde de la biodynamie, ces « préparations magiques », comme les surnomme Maxime Barrot, sont connues sous les noms « 500p »  et « 501 ». Elles figurent au cahier des charges de Demeter, principal label de la biodynamie en France. Le site internet de Biodynamie services, une entreprise spécialisée dans la vente de préparations biodynamiques, présente une préparation 501 qui permettrait « une meilleure relation avec la périphérie cosmique ».

« La biodynamie, c’est une question d’intention »

Maxime Barrot, viticulteur en biodynamie

Leur utilisation doit se faire en accord avec un agenda biodynamique lunaire et planétaire. Sur le même site, on apprend qu’il serait préférable d’éviter d’épandre la bouse de corne dans les heures entourant « les nœuds et éclipses de la Lune et des planètes ».

« Si t’y crois pas, ça sert à rien » 

Pour Maxime Barrot, adossé aux tonneaux de sa cave, « la biodynamie, c’est plus qu’un cahier des charges ».  Sa biodynamie débute chez Bret Brothers à la sortie de ses études, un domaine bourguignon où il se « radicalise », selon ses propres termes. Il y est initié à une agriculture sans chimie, qui colle à ses convictions.

Par delà les pratiques agronomiques, il croit dans un ensemble de comportements qui influencent sa viticulture. « C’est une question d’intention », résume-t-il. Mais surtout de « bonnes intentions », desquelles naîtraient un meilleur vin. « Faut pas croire que ça fait tout », concède-t-il, mais « si t’y crois pas, ça ne sert à rien de le faire ».

Discret, et moins connu que son voisin « bio », le label Demeter certifie la production du vin en biodynamie. Boutique Vins Natures, Lyon. 21 février 2024 © Paul Poirot

« Un cran au-dessus du bio » ?

Depuis plusieurs années, la biodynamie a le vent en poupe. Son aura médiatique est importante, poussée par la conversion de grands domaines comme celui du Château d’Yquem de Bernard Arnault, la Romanée-Conti en Bourgogne, ou la maison Chapoutier dans le Rhône.

Les viticulteurs voulant se convertir peuvent aujourd’hui compter sur « un certain nombre de conseillers très influents », souligne Frédéric Mugnier, vigneron à la tête d’un grand domaine de Bourgogne. Présenté par Maxime Barrot comme celui qui a « divulgué la parole », Vincent Masson est assurément l’un d’entre eux. À la tête de Biodynamie Services, il forme des viticulteurs de l’Allemagne à la Chine. En France, des formations sont organisées au sein des Chambres d’agriculture.

Chez le consommateur, l’idée d’un vin « plus bio que bio » séduit. Ce discours s’appuie sur la réalité d’un cahier des charges plus strict qu’en agriculture biologique (teneurs en sulfites autorisés plus faibles), dont les labels savent tirer profit. Geoffrey Petitcolin, vendeur à la boutique Vins Nature dans les pentes de la Croix-Rousse à Lyon, présente le vin en biodynamie comme « un cran au-dessus du bio », sans être nécessairement plus cher.

Une absence de réalité scientifique

Pour autant, côté scientifique, rien n’atteste de la plus-value apportée par l’agriculture biodynamique. Cyril Gambari, docteur en microbiologie, « vulgarisateur biodynamie » sur X (ex-Twitter), remet régulièrement en question le discours des « convertis ». « La majorité des études montre que l’agriculture biodynamique est similaire à l’agriculture biologique sur un large éventail de paramètres agronomiques », avance-t-il. « Ils essayent de valider leurs pratiques depuis cent ans sans y arriver» Car des études en faveur de la biodynamie, il y en a. Mais beaucoup « ne tiennent pas la route méthodologiquement », selon le microbiologiste.

Un « vernis » scientifique que dénoncent une soixantaine de chercheurs et d’agriculteurs dans une tribune publiée début février sur Le Point. Le collectif s’alarmait alors de l’infiltration de l’anthroposophie, un « mouvement philosophico-religieux » dont est issue la biodynamie,  dans des instituts de recherches publiques comme l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS).

Maxime Barrot, dit « Jean Max », produit 15 000 bouteilles en biodynamie par an, issues de son vignoble. Lachassagne, 13 février 2024. © Paul Poirot

Une agronomie sectaire ?

« Le lien à Steiner est détestable ! », fustige Frédéric Mugnier, en référence au penseur autrichien ayant théorisé la biodynamie. En 1924, Rudolf Steiner enseignait ses bonnes pratiques aux agriculteurs lors de nombreuses conférences. La biodynamie est le pendant agricole d’une doctrine plus générale théorisée par l’occultiste : l’anthroposophie.

Dans son domaine de Bourgogne, Mugnier affirme adopter les mêmes pratiques que les biodynamistes, mais sans « les spécialités magiques steineriennes ». « On peut faire tout aussi bien en enlevant le côté ésotérique et irrationnel qui structure la biodynamie, et on s’en porte mieux », assène-t-il.

«Une grande valise dans laquelle on fourre tout»

Frédéric Mugnier, vigneron

Un lien à l’anthroposophie d’autant plus problématique que ce mouvement est régulièrement accusé de dérives sectaires. Il est aujourd’hui surveillé par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui définit la biodynamie comme « viticulture ésotérique controversée dans le milieu scientifique et liée à l’anthroposophie ».

La grande confusion 

Les fondements de la biodynamie sont peu clairs pour le grand public : « Il y a une confusion totale », pointe Clément Royer, caviste à Lyon. Mais aussi pour les vignerons. Frédéric Mugnier l’affirme : « La plupart de mes collègues biodynamistes ne connaissent même pas Steiner ». Les promoteurs de la biodynamie, eux, cherchent à masquer cette paternité gênante.

Par delà le personnage de Steiner, sur les pratiques, personne ne semble s’accorder sur ce qu’est la biodynamie. « La biodynamie, c’est une grande valise dans laquelle on fourre tout », résume Frédéric Mugnier. En un mois d’enquête, L’Écornifleur a rencontré plusieurs acteurs du monde viticole, sans qu’aucun ne s’accorde sur ses principes. Le problème selon le vigneron bourguignon ? « Il y a marqué Steiner en gros dessus. »


C’est quoi l’anthroposophie ?

Pour la Miviludes, l’anthroposophie désigne une « doctrine spirituelle et philosophique » développée par Rudolf Steiner réunissant des « croyances tirées de religions traditionnelles et de mouvements ésotériques » qui imprègnent différents pans de la société.

Elle naît d’une réaction à la modernité, passe par l’exaltation de la nature et des racines médiévales d’un peuple organique, rural, immuable. Dès 1910, Steiner développe sa pensée dans la presse pangermaniste, où il affirme l’unité des peuples germains et nordiques dans la race aryenne.

Outre la biodynamie, deux ramifications du mouvement sont pointées du doigt par la Miviludes :

  • La médecine anthroposophique, qui repose sur des soins non conventionnels pouvant entraîner l’arrêt des traitements scientifiques. On préconise par exemple l’utilisation du gui pour soigner le cancer.
  • Une vingtaine d’écoles Steiner-Waldorf en France appliquent les principes pédagogiques du penseur autrichien. Grégoire Perra, ex-membre de la Société anthroposophique de France, y dénonce une « atmosphère religieuse permanente » et une volonté de contrôle des enfants par le personnel enseignant.

Aujourd’hui, l’anthroposophie s’organise au sein de la Société Anthroposophique Universelle, dont le siège se situe à Bâle en Suisse, au sein du Goetheanum. Elle imprègne différents pans de la société, de la cosmétique (en tant qu’actionnaire majoritaire de la marque Weleda) au monde de la finance durable (à l’origine de la banque la NEF).

Paul Poirot et Tom Sallembien