Bien que le pari sportif soit interdit aux moins de dix-huit ans, plus d’un mineur sur dix aurait parié en 2021. À l’approche d’un été 2024 rythmé par les Jeux Olympiques, l’Euro masculin de football ou encore Roland-Garros, L’Écornifleur s’est intéressé à ce phénomène peu documenté.
Vitrine d'un tabac presse avec une affiche "-18 ans zéro jeu d'argent"
Depuis l’ouverture au marché en 2010, les jeux d’argent sont interdits aux mineurs. Le Gets, 27 février 2024. © Salomé Hembert

Comme chaque après-midi, Amine sort de son lycée du 8e arrondissement de Lyon et retrouve ses amis. Entre garçons (L’Écornifleur n’a obtenu aucun témoignage féminin), ça leur arrive de parler paris sportifs. « J’ai commencé quand j’étais en quatrième. C’était en tabac, un pote qui faisait plus vieux posait nos paris sur la Ligue des Champions » confie le lycéen de 17 ans. Et il n’est pas le seul. Ademe, 17 ans aussi, a lui commencé « il y a six mois, sur l’appli Unibet ». 

Malgré la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard de 2010, parier n’est pas si rare chez les moins de dix-huit ans. Portée par le député de l’époque et ancien ministre des sports Jean-François Lamour, cette loi interdit théoriquement l’accès aux paris et autres jeux d’argent aux mineurs. Mais selon l’étude ENJEU-Mineurs menée par l’Association de Recherche et de Prévention des Excès du Jeu (ARPEJ), 34,8% des 15-17 ans auraient réalisé un jeu d’argent en 2021 et 9,9% des paris sportifs. Chargée d’étude à l’ARPEJ, Marie-Line Tovar précise que cette pratique est « plutôt masculine et en hausse depuis 2014 » . 

Petits paris en famille

En moyenne, c’est à quatorze ans et quatre mois, et avec des membres de leur famille, que les mineurs sont initiés aux paris sportifs. Désormais étudiant en licence d’Histoire, Nans a commencé à 15 ans : « Je pouvais pas parier tout seul donc je faisais mon ticket et mon père le faisait valider au tabac ». Bastian, 21 ans, a découvert ça « petit », avec son père. « Il me faisait faire des grilles, c’était pour rigoler, s’amuser : le bon côté quoi ! », raconte l’étudiant en master métiers de l’enseignement. Selon une étude de Harris Interactive de 2020, 41% des parents interrogés auraient proposé à leur enfant de participer à un jeu d’argent et 9% à des paris sportifs. 

Mais derrière le jeu, il y a le risque des pertes d’argent. Ademe a réussi à s’arrêter « avant que ce soit trop ». « J’avais déjà perdu cent euros en six mois », indique-t-il. Pareil pour Fernand, qui après s’être « enflammé », est « tombé à moins de cent balles ». Entre 2011 et 2022, le Produit Brut des Jeux annuel (PBJ, correspond à la différence entre les mises jouées et les gains des joueurs, soit le gain des opérateurs) des opérateurs de paris a été multiplié par douze.

Perdre affecte aussi les comportements. « Quand tu perds, tu paries pour te refaire mais tu tentes des paris débiles », raconte Bastian. Il ajoute : « ça m’a rajouté un stress dans la vie : en soirée tu penses au match sur lequel t’as parié et si tu perds, t’es plus dans l’ambiance ». S’il ne parie plus aujourd’hui, il concède que « c’était même plus un plaisir… J’ai senti que c’était une addiction ».   

Selon l’Indice Canadien du Jeu Excessif en 2014, 11% des 15-17 ans qui jouaient aux jeux d’argent avaient un comportement de jeu problématique, comme parier pour couvrir des pertes, emprunter de l’argent pour jouer ou encore avoir des problèmes de santé liés au jeu. Une proportion qui monte à 34,8% en 2021, selon l’étude ENJEU-Mineurs. D’après Marie-Line Tovar, « c’est lié à la pratique en ligne » qui s’est développée ces dernières années. En 2021, 50% des 15-17 ans pariaient en ligne.

« Je suis passé pour un héros, un génie ! » 

Plusieurs facteurs incitent les mineurs à jouer. Amine parie pour le « plaisir du jeu » mais aussi pour « se faire de l’argent ». De son côté, Fernand pariait « à l’internat. Avec les paris en ligne, ça pariait tous les jours et je voyais ça comme une source de revenus », retrace-t-il. Une tendance confirmée par les travaux de Marie-Line Tovar : l’argent serait la motivation principale des plus jeunes. Et cela, « en pariant des sommes de cinq à dix euros ».

D’après Morgane Merat, responsable du projet Paris sportifs et réseaux sociaux au sein de l’association Addictions France, « le pari sportif crée une illusion d’expertise chez le mineur ». Une « distorsion cognitive » qui incite à parier et qui minimise la part de hasard. « Ça fait croire qu’on a assez de compétences pour gagner », complète-t-elle.

 « C’était même plus un plaisir… c’était une addiction »

Bastian, 21 ans

Elle explique aussi que les groupes de mineurs qui parient valorisent cette expertise. « Au début, des amis m’ont demandé des conseils pour parier sur un match de Ligue des Champions car je m’y connais en foot », explique Bastian. « Ça a marché, et c’était les parfaites conditions pour tomber dedans. J’ai tenté une côte à cinq et je me suis fait cinquante euros : je suis passé pour un héros, un génie ! »  

« Tout pour la daronne » 

Les campagnes publicitaires jouent également un rôle important dans la croissance du pari chez les moins de 18 ans. « En 2021 avec l’Euro de foot, il y avait beaucoup de pub qui visaient les jeunes, avec les codes des jeunes de banlieue », justifie la directrice de recherche de l’ARPEJ. « Un matraquage publicitaire », explique l’ANJ. Cette année-là, la publicité « Tout pour la daronne » de Winamax mettait en avant un jeune offrant un voyage en avion à sa mère, après avoir gagné son pari. Une publicité que l’opérateur avait dû retirer après avoir été épinglé par l’ANJ. 

Depuis 2022, la réglementation quant aux stratégies publicitaires protège mieux les mineurs, mais le gendarme reste alerte pour cette année de JO et d’Euro de football. Il estime une hausse des investissements promotionnels des opérateurs de 14% (670 millions d’euros) par rapport à 2023, dont 30% pour la période mai-juillet. 

Si cela inquiète Marie-Line Tovar, la chercheuse reste optimiste. Dans une étude réalisée fin 2023 sur 600 jeunes de 15-17 ans, seuls 23% auraient joué à des jeux d’argent, un nombre en baisse par rapport à 2021. Elle résume : « On espère que ce n’est pas juste une conséquence de la crise économique mais une baisse réelle, qui durera ».

Nicolas Malarte