Alors que le soleil se couche sur Fourvière, l’Ecornifleur vous embarque dans le monde de la nuit auprès des noctambules et travailleurs de l’ombre.
Cinq bénévoles du Collectif Collages féministes ont silloné le 6ème arrondissement de Lyon dans la nuit du 5 décembre afin de coller dans l’espace public des slogans dénonçant la pédocriminalité.
Messageries cryptées, anonymat obligatoire, message : « Rendez-vous 21h30 Masséna ». « Écrivez le numéro de téléphone de l’avocate sur vos poignets, si jamais on va en garde à vue. » Explique celle qui se fait appeler Fantômette au petit groupe de cinq colleurs et colleuses du Collectif Collages féministes Lyon. « Le mieux est d’éteindre son téléphone pour ne pas que les policiers ne l’ouvrent ». Ce mardi 5 décembre, les participant·e·s ne font qu’apposer des slogans féministes au mur, constitués de lettres noires peintes sur des feuilles A4 facilement décollables, mais doivent agir la nuit car sont hors la loi. Les militant·es de collages féministes agissent depuis 2019 pour dénoncer dans l’espace public les féminicides ainsi que les violences sexistes et sexuelles.
« Si on est arrêté·e·s, on dit qu’on est un groupe de copains qui collent, on ne fait pas partie d’un collectif », prévient Fantômette car le Collectif est régulièrement interpellé par la police. « De toute façon, ils n’ont pas le droit ! », s’exclame Luce, colleur féministe et salarié dans une association d’art contemporain, âgé de 23 ans.
Le groupe fait un tour de présentation de leurs pseudonymes et des pronoms qu’ils utilisent pour se qualifier, exercice fréquent dans les milieux féministes afin de ne mégenrer personne : San, Fantômette, Raël, Lahabi, utilisent le pronom « elle » et Luce, non-binaire, souhaite être genré au féminin et au masculin par alternance. Le Collectif fonctionne en mixité choisie : les hommes cisgenres, dont l’identité de genre correspond à celle attribuée à la naissance, ne sont pas acceptés.
« Le collage permet d’extérioriser la haine »
« Il y en aura trois qui colleront : un·e à la sous-couche, un·e qui pose les lettres et un·e à la surcouche. Les deux autres guetteront. Et ensuite on alterne si cela vous va ? », continue Fantômette. Le poste de guetteur et guetteuse serait le plus compliqué : « C’est celui qui fait le tampon entre les passant·e·s curieux·euses ou énervé·e·s et les colleurs et colleuses qui doivent rester concentré·e·s pour agir rapidement », détaille San, infirmière en psychiatrie de 31 ans et colleuse lyonnaise depuis 2 ans. « Cette personne doit aussi prévenir si jamais la police s’approche. Dans ce cas, on pose tout et on reste calme. »
L’objectif de la soirée est de coller quatre slogans, dans le 6e arrondissement de Lyon, dénonçant la pédocriminalité et l’inceste. Cachés dans leurs sacs, les féministes ont apporté de la colle faite maison dans des bouteilles en plastique, recette bien connue des militant·es (eau, farine et sucre), un seau et deux brosses, « les moins chères ». La troupe se met en route, sillonnant le quartier, à la recherche de rues calmes la nuit pour ne pas se faire prendre, mais passantes le jour afin d’impacter les passants.
« Le collage permet d’extérioriser la haine. J’étais très en colère des violences sexistes et sexuelles subies par mon entourage. La loi du silence me révoltait. Je n’ai pas supporté. », raconte Luce pour qui c’est la deuxième soirée de collage. Elle a scrupuleusement choisi ce collectif de colleurs et colleuses s’assurant qu’il partage ses valeurs féministes, notamment qu’il n’invisibilise pas les autres minorités.
Après quelques rues étudiées, un pan de mur trouvé, le premier slogan de la soirée et le logo du Collectif sont apposés en lettres noires : « un enfant sur dix victime d’inceste ». Les trois colleuses se hâtent. 22h17 : elles terminent, prennent une photo et se félicitent. C’est une petite victoire à chaque fois, surtout lorsque personne n’est venu déranger l’action.
« Merci pour ça »
Pour San, l’infirmière de la bande : « coller est un processus de réparation à la suite d’un événement traumatique. Cela permet de voir sa propre souffrance comme quelque chose de collectif, de vivre à nouveau. L’objectif est d’amorcer une réflexion chez les passant·e·s. »
L’équipe continue son chemin et élit une grande façade blanche en face d’un collège pour son prochain collage : « Pédocriminels vous n’aurez plus jamais le confort de nos silences ». Les colleurs et colleuses s’inquiètent lorsqu’une voiture entre dans un garage attenant au bâtiment. La pression d’être interpellé·e·s se fait ressentir. Les militant·es procèdent avec rapidité et dextérité et à 22h34, reprennent leur chemin.
Le dernier message « Un·e enfant n’est jamais consentant·e » est lui aussi appliqué, sans encombre, sur un mur un peu plus loin. Le dernier slogan ne pourra être affiché faute de colle, le petit groupe se donne alors rendez-vous prochainement. Il dresse le bilan : aucune altercation n’a perturbé la soirée, ce qui étonne les plus anciennes participantes. À 23h15, tout le monde reprend le chemin de chez soi dans le froid des nuits de décembre, quelques heures avant que le lever du jour ne révèle les collages aux passant·e·s. Ce qui donne la motivation de recommencer, c’est l’inconnue qui lâche « Merci pour ça » en apercevant la bande coller.
Pénélope Gualchierotti