L’association villeurbannaise Enjoué développe depuis 2020 une activité de réparation et de vente de jouets de seconde main. Une initiative tremplin pour ses salariés, issus du quartier prioritaire de Saint-Jean.
« C’est le mois de décembre, c’est le rush ! » C’est ainsi que Noémie Pereira, business developer en alternance chez Enjoué, nous accueille dans « l’atelier de valorisation » de jouets de l’association. Une salle où se trouvent des caisses à jouets le long des murs et où s’affairent, autour d’une même table, les salariés « valoristes » en service. Des salariés qui étaient éloignés de l’emploi. “Actuellement on gère la collecte, l’atelier et nos points de vente éphémères à la Part-Dieu et à Gratte-Ciel [à Villeurbanne]» expose la jeune femme.
Fondée en 2020, l’association Enjoué, située dans le quartier Saint-Jean de Villeurbanne, a pour objectif de revaloriser des jouets de seconde main. Un processus qui va de la collecte de jouets auprès de particuliers ou d’entreprises, jusqu’à la vente « à moins 50% du prix neuf, parfois moins cher selon l’état de l’emballage » explique Hanifa Tabakovic, valoriste depuis 2022. Depuis mai 2023, près de 3,5 tonnes de jouets auraient été collectés selon l’association.
On « crée des tremplins »
Dans le petit atelier, Hanifa est consciente de la croissance du marché de l’occasion, « Cette année, c’est chargé. Mais c’est bon pour nous, ça motive ! ». Auparavant inscrite à Pôle Emploi, celle-ci a été embauchée chez EmerJean en 2018, une entreprise à but d’emploi (EBE) qu’elle a découverte lors de « portes ouvertes organisées à Saint-Jean ». Dans cette structure partenaire d’Enjoué, Hanifa touchait à tout : « j’étais blanchisseuse, je faisais de l’entretien… c’est très polyvalent ». Une polyvalence qu’elle retrouve aussi chez Enjoué.
Pour s’occuper des peluches, livres, voire jeux de société collectés dans les locaux, l’association emploie seize valoristes pour accompagner les bénévoles. Salariés en CDI à temps choisi, mais souvent en 35h par semaine, ce sont en grande majorité des femmes. Des petites mains, embauchées à partir de deux critères, sans passer par une sélection : « habiter aux alentours du quartier Saint-Jean et être au chômage depuis plus d’un an » explique Noémie Pereira.
Une situation qui découle du statut d’EBE qu’est Enjoué : cette structure de l’économie sociale et solidaire a pour objectif de proposer une activité manquante sur le territoire, en employant des personnes durablement privées d’emploi. Ces structures entrent dans le cadre de l’expérimentation Territoire Zéro Chômeurs de Longue Durée (TZCLD), lancée en 2015, et dont fait partie le quartier prioritaire de Saint-Jean.
Parmi les quelques 4200 habitants de ce quartier de l’est villeurbannais, 400 personnes étaient privées d’emplois en 2016 (près de 25% de la population active) tandis que 40% de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2018. Mais avec les EBE qui y sont implantées depuis 2016, plus de 140 emplois ont pu être créés d’après la Métropole de Lyon.
Entre les piles de jouets, Jeanne Pizot, elle aussi business developer en alternance, détaille la démarche. « On ne fait pas de l’insertion, mais le projet crée des tremplins et permet la montée en compétences ». En effet, aucune formation n’est requise pour être employé, c’est au sein de l’EBE que les valoristes se forment à la valorisation des jouets, ou à d’autres pratiques.
Asmaa Kadem, mère de trois enfants et arrivée d’Algérie en 2018 détient un diplôme niveau bac +4. Satisfaite de sa situation de valoriste, ça n’a pas toujours été facile depuis son embauche en 2022 : « au début c’était dur… le problème c’était la langue ». Initialement peu familière avec le français, celle-ci a comblé ses lacunes avec une formation français langue étrangère hebdomadaire proposée par l’EBE. De la même manière, « Ouafae [une valoriste] a demandé à en apprendre plus sur la comptabilité ; du coup elle se forme auprès de notre comptable », illustre Noémie Pereira.
Une dépendance aux subventions
Si l’atelier dégage une ambiance chaleureuse, « enjouée », comme le décrit avec malice Noémie Pereira, elle convient que tout n’est pas parfait. « Ici, on est dans une EBE, il y a un manque de cadrage, ce n’est pas comme le reste du monde du travail. […] Parfois les personnes ont du mal à mettre de côté leurs problèmes de la vie au travail, ou il peut y avoir des tensions », explique la business developer.
« On reste une expérimentation, du coup il y a des freins : le projet se base sur du travail main dans la main […] mais on a pas la même productivité qu’une entreprise traditionnelle » estime Jeanne Pizot. Même si « le projet fonctionne car il y a de la demande et des jouets », cette dernière concède que la structure, « ne peut être pérenne avec les ventes. On dépend de l’État ». En effet, l’activité et les salariés à partir des subventions étatiques, un sujet d’actualité compliqué : le 1er octobre 2023, l’Etat a réduit son soutien au dispositif TZCLD de 102% à 95% du Smic, le salaire versé à chaque travailleur des EBE.
En proie à une possible baisse de subventions, l’association essaye de diversifier ses sources de revenus, en proposant des séminaires ou encore des collectes de jouets auprès d’entreprises, moyennant un don de l’entreprise.
Dans le prolongement d’une collecte organisée auprès de l’entreprise Cegid, Enjoué a même organisé une vente privée de ses jouets le 19 décembre pour les salariés de l’entreprise située dans le 9e arrondissement. Une vente où participe Hafida, valoriste « depuis trois semaines », qui a délaissé l’atelier pour aider. « Quand tu vois les gens qui choisissent les jouets que t’as réparés, ça fait plaisir ! », nous dit-elle, juste avant de retourner conseiller les acheteurs du jour.
Nicolas Malarte