« Faites du bruit ! » (1/6). Crier, chuchoter, performer, scander : rencontre avec celles et ceux qui partagent une hantise du silence. Deux notes de musique : Fa, Do, deux cultures : Franco-portugaise. Claire Mota Da Cunha Hazard, directrice de l’association Les Amis du Fado, fouille l’histoire de son pays d’origine pour restaurer des fados passés sous silence par la censure. Un leitmotiv : le partage, plutôt deux fois qu’une.

Claire Mota Da Cunha Hazard au Café Lisboa. Photo Massimo Goyet

Guitare portugaise au mur, musique portugaise en fond, nourriture portugaise dans l’assiette, Claire Mota Da Cunha Hazard, 33 ans, est dans son élément. Installée dans un coin du Café Lisboa, la directrice de l’association Les Amis du Fado est en avance, elle savoure un Pica-Bau.

Franco-portugaise, Claire, qui dit prendre le meilleur de chaque culture, a le souci de faire connaître les arts de son pays d’origine. Son engagement est récent. Il date de 2022, alors qu’elle vient d’avoir sa fille et qu’elle prend, en plus de son travail, la direction de l’association Les Amis du Fado qui promeut les arts portugais à travers des ateliers et des concerts. Elle l’explique simplement : « Le lien avec le Portugal me manquait, et d’autant plus en étant maman. »

PPP : Portugaise, Populaire, Professeure

Si ses deux parents sont portugais, Claire est née en France, dans les Yvelines où elle grandit à La Ferme des Noyers, un « hameau » de quelques maisons, sans commerce… et sans Français. Une sorte d’enclave portugaise en banlieue parisienne où elle baigne dans la culture de son pays d’origine sans traverser les Pyrénées. Du fait de brouilles familiales, contrairement à tous ses cousins, Claire ne rentre pas au pays chaque été. « J’étais l’exception. C’était frustrant de ne pas y aller. »

Son parcours aussi fait figure d’exception, « une chance ».  Fille d’une ancienne de femme de ménage et d’un homme d’entretien, c’est la seule à faire des études supérieures parmi ses cousins. Sa prof de philo la pousse à s’inscrire en prépa littéraire : « Je ne la remercierai jamais assez, c’est quelque chose que je n’aurais jamais découvert. »

« L’école ça ne correspond pas à tout le monde. » Elle le sait bien, elle qui est devenue professeure des écoles en 2014. Lors de sa prépa, elle prend conscience de sa double culture. « C’est un moment où je me posais beaucoup de questions sur mon identité, j’ai compris avec le temps que c’était une richesse. »

Les Amis du Fado, les ennemis de la censure

La richesse de sa culture, elle la récolte et l’étudie à travers le fado. Mais elle ne la chante pas : « Il faudrait que je passe le cap, je suis timide. » Du fado elle connaissait les classiques et l’incontournable Amália Rodrigues qu’elle écoutait durant sa grossesse, mais c’est adulte qu’elle s’approprie le courant musical et son histoire.

Elle apprend comme une bonne élève. « Si j’avais pu être étudiante toute ma vie je l’aurais été, j’aime faire des recherches. » Elle sort un cahier au milieu de la discussion pour se remémorer une date. Ses notes sont bien prises, au stylo noir avec des titres de couleur sur l’histoire du fado, la révolution des Œillets ou la dictature de l’Estado Novo.

Claire Mota Da Cunha Hazard accompagnée du groupe des Amis du Fado dans une représentation à l’Hôtel de ville de Lyon, le 24 avril 2024. © Laura Thiely

Ses recherches nourrissent le projet Fado, arme de liberté mené par son association en partenariat avec le Musée du fado de Lisbonne. Claire a retrouvé des textes censurés par le régime de Salazar afin de les remettre en musique. « Ce sont des fados que nous n’avons jamais entendus. »

« Je pose des questions à tout le monde »

En janvier, elle repartira à Lisbonne pour trouver les auteurs de ces chansons. C’est une tâche ardue, certains textes datant des années 30 et d’autres étant uniquement signés par un nom de famille. Elle ne se décourage pas pour autant et veut récolter des témoignages sur cette période historique. « Du coup, je pose des questions à tout le monde. »

Elle reprend le témoignage d’un ancien étudiant des années salazaristes qui lui a raconté la peur lorsqu’un officier de la PIDE, la police d’état de la dictature, entrait dans un bar. « Ce silence est resté, j’ai l’impression qu’il est culturellement ancré dans la culture portugaise. »

Amália Rodrigues disait du Fado qu’il est une lamentation. Selon Claire, cette image a été favorisée par la dictature qui voulait faire de la misère portugaise un cas du destin. Dans les textes censurés, elle a découvert des airs plus joyeux, plus rythmés, mais aussi des textes sur l’éducation et l’esprit critique. « Mais je ne suis pas historienne », s’empresse d’ajouter avec humilité celle qui consacre son temps libre à éplucher les archives de la censure.

Son but est de « faire du partage autour des arts portugais ». La première cible est peut-être sa fille à qui elle cherche à transmettre sa culture à travers les livres et la musique. « J’ai cherché tous les livres sur le Portugal. » Elle ne lui parle pas portugais pour autant, elle n’y « arrive » pas. Lorsqu’on l’interroge sur le sentiment d’illégitimité des binationaux à parler de leur culture d’origine, la question fait mouche, elle reconnait se la poser. « Tu es fort », rigole-t-elle avant de répondre « ça fait partie de moi » sans s’étendre sur le sujet.

En sortant du Café Lisboa, Claire nous recommande une pièce que Tiago Rodrigues présentera en février au Théâtre de la Croix Rousse. « Je vais être présentée à lui », dit-elle sans cacher son enthousiasme. Et celle-ci d’ajouter rapidement : « nous avons des réductions avec l’association, je peux t’envoyer les liens. » Le partage toujours.