« Confluences » (1/6). L’Écornifleur révèle la richesse de personnalités lyonnaises qui ont émergé à la rencontre des idées, des arts et des destins. Installé dans son atelier à Lyon depuis 1995, Aldo Peaucelle exerce son savoir-faire dans l’art de la restauration picturale. Portrait d’un passeur d’histoires et scientifique notoire, guidé par son instinct artistique.

Muni d’une loupe binoculaire, Aldo Peaucelle, restaurateur d’art pictural, sonde en profondeur les défauts d’un tableau. Photo Agathe Carrier

Le parquet craque, la chaleur est enveloppante et chaque centimètre des hauts murs qui soutiennent la grande verrière sont ornés de tableaux. C’est dans son vaste atelier, niché au fond de la cour du 16 rue Professeur Weill à Lyon, qu’Aldo Peaucelle, propriétaire des lieux et restaurateur d’art depuis près de 30 ans, a fixé le rendez-vous. En entrant, l’envie d’explorer saisit le visiteur. Une sensation qu’Aldo Peaucelle, enfant, pouvait ressentir lorsqu’il pénétrait dans la ferme de sa grande-tante qui le gardait les jeudis après-midis.

Le goût des trésors oubliés

« C’était la caverne d’Ali baba, il y avait des vieux meubles partout qui ne demandaient qu’à être ouverts », lance-t-il, le regard encore brillant de joie. Horloge cassée, sculpture de la Vierge sans main, cadres éventrés… Le jeune curieux prend goût à redonner vie à ces trouvailles abîmées. Son grand-père, amateur d’art, et son beau-père, brocanteur sur son temps libre, confortent son attrait pour la quête de vieilles breloques et, dans un second temps, sa fascination pour l’art pictural. « Autour de mes dix ans, je suis passé du cadre à ce qu’il y avait dedans », résume-t-il.

À ses 18 ans, un bac littéraire en poche, le Beauvaisien doit choisir un job saisonnier. Il rejoint un musée et en devient le gardien le temps d’un été : « Ça ne s’invente pas. » L’argent qu’il récolte avec ce travail, il le réinvestit immédiatement dans un « coup de cœur » : deux tableaux chinés dans un dépôt-vente de l’Oise. L’un d’eux étant déchiré et le devis de remise en état beaucoup trop élevé, il fait le choix d’acheter un manuel de restauration vulgarisée pour sauver son protégé. C’est « une révélation ».

La science au bout des doigts

Plus tard, il se débarrassera pourtant de son livre « trop peu scientifique ». Car l’art de sauver des tableaux, Aldo Peaucelle l’affirme, est un subtil mélange entre fibre artistique, dont il se dit doté depuis le plus jeune âge et qu’il a transmise à ses trois enfants artistes, et compétences scientifiques, qu’il a acquises au cours de ses cinq années passées à l’École Supérieure d’Art d’Avignon (ESAA). Il n’y a qu’à observer les étagères qui complètent l’atelier. Au-delà des pinceaux et pots de peinture, elles s’ornent d’instruments habitués des laboratoires de recherche : une caméra infrarouge, « l’appareil le plus cher », une lampe UV ou encore une loupe binoculaire.

Un puits de lumière baigne l’îlot central de l’atelier, sublimant les tableaux à restaurer. Photo Agathe Carrier

Ce sont les yeux rivés sur cet appareil, lunettes sur le crâne et tenue décontractée que ce passionné établit le diagnostic des œuvres mutilées. Examen préliminaire fait, il élabore ensuite le plan méthodique de la remise sur pied des joyaux. Nettoyage, consolidation de déchirures, pose de mastic, rentoilage, doublage…  Armé de sa patience et de sa minutie, Aldo Peaucelle passe entre 1 et 800 heures sur chaque ouvrage. Durant ce processus, chaque produit est choisi selon ses caractéristiques physico-chimiques pour être adapté à l’altération à traiter. Lorsqu’il s’agit de restaurer : « Rien ne peut être laissé au hasard. »

« Transmettre aux générations futures »

Le but est en effet de préserver l’intégrité de la peinture d’origine dans le « respect absolu du travail de l’artiste », explique-t-il. Et d’ajouter : « Je ne suis pas un créateur, donc il n’est pas question d’apporter des modifications abusives à l’œuvre car ce que nos ancêtres ont fait, il faut le préserver et le transmettre aux générations futures. »

Pour honorer cette mission, il s’appuie sur son œil expert et sa capacité à s’immerger dans la peau de l’artiste pour saisir ses intentions. En cas de doute, il peut compter sur les conseils de ses employées, Émeline et Hélène, qu’il espère voir poursuivre son entreprise lorsqu’il se retirera. Les repentirs ou les dessins préparatoires cachés sous les couches de peinture, mais visibles à l’infrarouge, l’aident aussi à retracer l’histoire de la création de l’œuvre.

Il partage ces découvertes avec les particuliers pour lesquels il travaille ou avec sa communauté Instagram, qui compte aujourd’hui plus de 154 000 abonné·es. Sur ce réseau social, il dévoile les coulisses de son métier au travers de vidéos pédagogiques et de saisissants avant/après. « 19 millions de vues pour la restauration du portrait d’une femme peinte par Nicolas de Largillierre : cette vidéo a fait le buzz », raconte-t-il fièrement. « Quelle merveille », peut-on lire parmi les 228 commentaires rédigés en anglais, espagnol ou français.

Toutes ces photos postées proviennent de son impressionnant dossier numérique, qui en contient plus de 14 000. Une collection qui ne devrait pas cesser de grandir de sitôt. Aldo Peaucelle est formel : sa retraite, il la passera « à restaurer, évidemment ».

 

 
 
 
 
 
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