Passé par la Libye et l’Italie, Mohamed a sillonné le désert puis la mer en quête d’un meilleur futur, avant de finir par poser son sac à dos à Lyon. Portrait d’un migrant soudanais.

Contraint de parfois dormir dans la rue, Mohamed a désormais son propre appartement. Crédit: Elena Do

Lorsque Mohamed ouvre la porte de son petit logement social, la sobriété de la pièce contraste avec le fastueux repas qu’il a disposé sur la table. « Moi je mange avec les mains à la soudanaise, mais j’ai apporté des couverts » lance-t-il d’un air rieur. Dans sa cuisine d’à peine un mètre carré, il a préparé plusieurs plats, dont l’Al-aswad, une spécialité soudanaise à base d’aubergine et de cacahuètes. Mohamed est un débrouillard, qui fait comme il peut avec ce qu’il a. Un credo qui a nourri son long périple, jusqu’à le conduire dans 3ème arrondissement de Lyon, où il vit désormais. 

« Je n’avais pas le choix »

Mohamed  a grandi au Soudan, dans un village de la région du Darfour. Rien ne laisse alors présager qu’il s’installerait un jour en France. Après avoir quitté l’école à 12 ans, il rejoint sa famille pour cultiver leur terre. Mais Mohamed n’a qu’un rêve en tête: « changer de vie ». Il décide de partir pour la capitale, Khartoum, où il devient vendeur de chaussures. Tout bascule en 2014, lorsque la guerre du Darfour qui sévit depuis de longues années, vient frapper à la porte de son village natal. Les miliciens y sèment le chaos : « Ils ont tout bombardé, il y a eu beaucoup de morts dont des enfants ». Mohamed raconte ce souvenir avec pudeur, le visage impassible et le regard perdu dans le vide: « ça fait mal » souffle-t-il du bout des lèvres. Alors que sa famille doit partir s’installer dans un camp de réfugiés à proximité, lui décide de quitter le pays. Destination l’Angleterre à des milliers de kilomètres: « Mes amis m’ont dit qu’on pouvait facilement trouver du travail là-bas ».

Mais le jeune exilé doit d’abord rejoindre la Libye. Il paye un passeur et embarque à bord d’une camionnette afin de traverser le désert. «C’était dur, il n’y avait pas beaucoup d’eau et de nourriture». Après plusieurs jours d’un voyage épuisant, Mohamed arrive. Très vite, il est confronté au chantage et à l’esclavage. Sans payer il ne peut pas quitter la Libye: « c’est comme une mafia » raconte le jeune homme. Sa famille, contrainte de donner une rançon, doit  vendre plusieurs de ses vaches. Quant à Mohamed, il travaille durant un mois, sans salaire: « Je n’avais pas le choix, sans passeport c’était impossible d’aller voir la police ». 

Après un an en Libye, il finit par pouvoir prendre la mer, avec une centaine de personnes, entassées dans un petit bateau à moteur. Il traverse la Méditerranée pendant de longues heures avant qu’un navire italien l’intercepte. Si Mohamed est sorti indemne de cette traversée, d’autres n’ont pas eu sa chance. Parmi les amis soudanais qu’il a rencontrés en Libye, il raconte que deux sont morts noyés en Méditerranée. « On vivait et on dormait ensemble là-bas » murmure-t-il. Mohamed parle encore peu le français, mais ses mots teintés d’un accent arabe en disent beaucoup.

Le prix de la liberté

Il débarque à Lampedusa, jusqu’au jour où un employé du camp lui glisse: « ici en Italie il n’y a  pas de travail, il faut que tu sortes rapidement ». Caché dans les toilettes d’un train, Mohamed finit par arriver à Cannes. Pour la première fois, il dort dans la rue: « j’avais trouvé un carton mais il faisait froid et il pleuvait ». Quelques voyages en train plus tard, il arrive à Paris où il reste quelques jours à porte de la Chapelle, avant de se rendre à Calais. À propos des conditions de vie difficiles dans le campement, Mohamed préfère relativiser en souriant: « On mangeait une seule fois par jour mais c’était bon. De toute façon il n’y a pas le choix ! ». 

À plusieurs reprises, le jeune soudanais tente de rejoindre l’Angleterre, en se dissimulant dans des camions. En vain. Il finit par renoncer et dépose une demande d’asile en France. Redirigé par les services sociaux, il vit pendant deux ans dans une petite commune de Nouvelle-Aquitaine. Mais il veut à tout prix rejoindre « une grande ville pour trouver du travail ». Ce sera Lyon, où il travaille dans les espaces verts puis le bâtiment dès son arrivée. Des petits boulots, qui lui permettent d’envoyer une centaine d’euros par mois à ses parents et ses six frères et sœurs. Grâce à cet argent, l’une d’entre elles a pu financer et terminer ses études. 

Aujourd’hui, à 29 ans, Mohamed suit une formation pour être plombier et espère en faire un jour son métier. Il confie à demi-mot la solitude qui lui pèse parfois, mais déclare aussi « se sentir plus libre en France ». Quant à son pays natal, lorsqu’on lui demande s’il pense que la paix reviendra un jour au Soudan et s’il y retournera, il regarde le soleil hivernal par la fenêtre et répond simplement: « J’espère ».