Ecrivaine publique au sein du collectif lyonnais « Mémoires Vives », Fleur Dathis couche sur le papier les récits de vie, les histoires de famille pour laisser une trace des vécus. Rencontre avec une passionnée de l’écriture au service des autres.

Fleur Dathis, à son bureau dans l’atelier du collectif des « Mémoires Vives » dont elle fait partie. © Blandine Lavignon

Un peu partout, du matériel photographique, des livres empilés, des papiers griffonnés que Fleur Dathis a essayé de mettre en ordre. Au milieu de son studio à Croix-Rousse, une petite table noire et deux tabourets se détachent dans la lumière tamisée. La jeune quarantenaire propose du thé, met à chauffer de l’eau. Qu’elle oubliera ensuite pendant la rencontre. Comme elle s’oublie, elle, lorsqu’elle écoute les autres. 

Le goût des histoires de vie, Fleur le cultive depuis toute petite. Elle passe alors son temps plongée dans des biographies et des documentaires. Comme beaucoup d’enfants, elle tient un journal intime, témoin silencieux de son époque. L’écriture ne s’impose pas comme une évidence à Fleur, qui rejoint l’univers de la communication après ses études de lettres modernes à la Sorbonne. Il y a 6 ans, elle s’interroge sur son métier de responsable de communication dans une grande entreprise. Elle fait le lien entre son amour pour les gens et pour l’écriture, et décide de se lancer dans l’aventure d’écrivain public. Et se spécialise dans l’écriture des récits de vie. Pour son entourage d’abord. Puis, de Paris à Lyon, et de sa rencontre, grâce à une connaissance commune, avec la photographe portraitiste Laurence Papoutchian naît un collectif : les « Mémoires Vives ». Fleur Dathis affirme qu’écrire la vie des autres, « c’est pouvoir vivre de multiples vies à la fois ». Mais face à la difficulté d’en vivre, l’écrivaine a repris il y a trois ans un emploi de responsable de communication en parallèle, pour s’assurer une stabilité financière.

Dans son atelier, la décoration intimiste donne l’impression d’entrer chez quelqu’un, et pourtant en entrant chez Fleur c’est d’abord à l’intérieur de soi-même que l’on pénètre. Elle parvient à instaurer une profonde confiance avec les gens qu’elle accompagne et qu’elle reçoit systématiquement dans son atelier, au tarif horaire de 70 euros. « Si j’ai signé pour trois heures d’entretien et qu’on en fait cinq, ce n’est pas grave pour moi » précise-t-elle. Sur les étagères du petit local, la vingtaine de biographies réalisées sont soigneusement rangées. Fleur feuillette avec émotion le papier glacé de l’une d’entre elles. Celle d’un homme qui, après un AVC, décide d’écrire son histoire. Le projet durera 5 ans, le temps de raconter avec les difficultés d’élocution et celui de livrer récit, au rythme de deux entretiens par mois. Il deviendra un ami. Quand les difficultés émotionnelles la submergent, parfois « c’est comme regarder un film triste, on en ressort pas intacte ». Alors, Fleur se fait accompagner pour apprendre à mettre les émotions de côté, d’autant plus qu’elle estime qu’elles ne lui appartiennent pas. 

Le regard fier, Fleur pose en noir et blanc, un stylo en guise de cigarette à la main parmi les portraits des membres du collectif, encadrés de dorure au-dessus du bureau. Mais quand elle parle d’elle, Fleur devient plus nerveuse, entremêle ses mains. L’exercice n’est pas habituel pour l’écrivaine. « Je ne sais pas si je suis claire… » demande-t-elle à plusieurs reprises.  Son histoire personnelle est pour beaucoup dans sa vocation d’écrivaine publique. Ainée d’une fratrie de cinq enfants, elle dit avoir eu une enfance des plus heureuses. Mais ses grands-parents paternels sont morts lorsqu’elle était jeune, et une chappe de plomb s’est abattue sur la famille après leur disparition. Petite, elle s’interroge sur ce silence qui vise à protéger l’enfant qu’elle est de la réalité de la mort. Cette amoureuse de Marguerite Duras sait que les silences sont aussi importants que les mots. « C’était une époque où l’on ne se racontait pas, il y avait une sorte de pudeur » regrette l’écrivaine. Frustrée de ne pas connaitre sa propre histoire, elle fait des recherches, retrouve des photographies et tisse un portrait des disparus grâce aux récits de sa famille. 

Alors, à la naissance de son fils il y a quatre ans, Fleur a décidé d’écrire pour lui. Sur sa famille, sur son père, sur ce qui entoure sa vie. Comme autant de témoignages qu’elle souhaite lui remettre à sa majorité. Écrire pour son enfant, c’est presque une catharsis pour elle. Il faut raconter, poser son histoire et donc la mettre à distance. Ce passage à l’écriture de soi n’a pas été évident pour l’écrivaine, qui dit avoir un grand manque de confiance en elle, « ça a toujours été plus facile d’écrire pour les autres que pour moi » souffle l’écrivaine.