Du code informatique dès l’âge de 12 ans, quelques jeux vidéo pour se faire la main et puis un jour Super Tilt Bro, une pépite néo-rétro de la NES qui rencontre le succès. « Né pour programmer », Sylvain Gadrat aime aussi expérimenter. Sa prochaine aventure : le freelance.

Il est souriant, rieur et enthousiaste, Sylvain Gadrat, même en « distanciel ». Son allure de viking ne permet pas d’en douter : tous les habitués de concerts de métal le savent, ce sont les plus barbus qui sont les plus gentils. Confiné dans le Val-d’Oise où il réside avec sa femme et leur enfant de tout juste un an et demi, Sylvain fait partie des « très confinables »… à opposer aux inconfinables. Avec un métier lié au numérique et à la programmation, le télétravail ne lui pose pas de problèmes. « Jusqu’à maintenant et depuis douze ans je bossais à plein temps dans la vidéo à la demande, je fais des serveurs qui sont derrière les offres de My Canal, ou d’autres opérateurs télécom ». 

Néo-rétro Cette pratique consiste à réaliser aujourd’hui des jeux vidéo pour consoles rétro, comme la NES de Nintendo (1987), ou la Mega Drive de Sega (1990). Le développement sur ces machines suppose de maîtriser leur fonctionnement et leur langage, bien différent de ceux des consoles actuelles, et impose des contraintes à l’origine de l’intérêt du néo rétro. S’adressant à un public de niche, le jeu néo rétro tente aujourd’hui de séduire au-delà de son public d’initiés.

Une situation sur le point de changer : à partir de janvier Sylvain passera en freelance, toujours dans le même domaine, pour consacrer plus de temps à ce qui n’était jusqu’ici qu’un hobby, la programmation de jeux vidéo. L’objectif : passer deux semaines sur trois à travailler sur le jeu qu’il a développé et sorti une première version en 2018, Super Tilt Bro, un Smash Bros Like, c’est-à-dire un jeu développésur le modèle de la série de jeux de combat à succès Smash Bros, créé pour la NES, la célèbre console de Nintendo sortie en France en 1987. A l’époque, Sylvain avait choisi ce genre pour le défi technique qu’il représente : « Je me suis dit, c’est tellement irréalisable, j’en ai pour toute la vie à faire ça ».

Tout remonte à l’enfance. Originaire de Bagnolet où il a fait son collège et son lycée, Sylvain entreprend des études de développement après un bac STI et « s’arrache pour trouver une boîte qui fait du C++ », un langage informatique qui le passionne. Il ne saurait pas dire quand la programmation a fait irruption dans sa vie. « Dès tout petit, s’amuse-t-il, je regardais par-dessus l’épaule de mon père ce qu’il faisait sur son ordinateur. J’ai commencé à vraiment programmer par moi-même sans aide vers l’âge de douze ans ». 

Dans quelques semaines, la transition vers le freelance ne sera pas facile pour autant. « Il faut calculer combien de temps on a avec l’argent qu’on a. Là je compte avec 0€ de revenu sur Super Tilt Bro pour dire que je tiens jusqu’à décembre 2021. Il faut préparer son coup, prendre une grande inspiration et se dire ‘‘Je le fais’’. Ce qui m’a décidé c’est que la boîte pour laquelle je bosse s’est faite racheter alors que je trouvais déjà qu’on devenait un trop grand groupe ». 

« Il y a un côté magique à dire : j’ai fait ce jeu »

« Quand j’étais tout petit j’avais vu un documentaire sur les testeurs de jeux vidéo, je m’étais dit : ‘‘Je veux trop faire ça’’, puis ça m’était passé, à l’époque ce n’était pas vraiment un métier de faire des jeux vidéo ». Aujourd’hui Sylvain serait plutôt du genre Role Play Game, l’un des grands genres du jeu vidéo, mais paradoxalement, plus on prend le temps de développer des jeux, moins on y joue.

Nintendo Entertainment System Sortie en 1983 au Japon et en 1987 en France, la NES est l’une des consoles les plus vendues au monde. Marqueur d’une génération entière de joueurs, aujourd’hui nostalgique, à la fin des années 1980. Elle relance l’industrie du jeu vidéo après le krach de 1983 et fonde l’ère des consoles de salon, bientôt rejoint par les efforts de Sega pour la concurrencer.

Sylvain se donne désormais « un an pour sortir Super Tilt Bro ». Le jeu a connu quelques évolutions ces derniers mois et pas des moindres : une poignée de passionnés ont mis au point une puce électronique à intégrer aux cartouches pour NES qui permet de jouer en ligne via WiFi. Il faut se rendre compte de la valeur d’un tel « gadget » : à l’époque de la sortie de la NES, le jeu en ligne à partir des consoles de salon n’est encore qu’un doux rêve que font au creux de leur lit les ingénieurs de chez Nintendo. 

La prouesse est signée Broke Studio, un studio français qui se fait désormais éditeur pour les développeurs comme Sylvain. Une façon de réduire les coûts de fabrication d’un objet qu’on ne produit plus à grande échelle depuis longtemps. « Tu mets la cartouche dans la NES, la puce devient alors un point d’accès que tu peux configurer avec ton smartphone. Sur l’écran principal du jeu tu choisis Online et c’est bon. Encore faut-il qu’il y ait quelqu’un d’autre » s’amuse Sylvain.

La programmation sur vieille console a un côté magique pour Sylvain : « Ce n’est pas du tout la même chose que la programmation moderne où on se concentre vraiment sur la logique du programme et rien d’autre. Avec les vieilles consoles on se concentre beaucoup sur la machine elle-même, comment lui faire lire le code en programmant en Assembler, langage informatique utilisé pour programmer pour la NES, plutôt qu’en C, un autre langage informatique, ancêtre de nombreux langages modernes. Et puis, il y a un côté magique à dire ‘‘J’ai fait ce jeu’’ ». Le défi que Sylvain tente de relever ? « Faire un jeu assez bon pour attirer au-delà des collectionneurs de NES ». Et le développeur est exigeant : « Je serai content de Super Tilt Bro le jour où il pourra aller sur Steam (plateforme de l’américain Valve, incontournable pour la publication des jeux indépendants, ndlr) sans faire la gueule face à la concurrence ».