Frontière Bolivie-Chili, lieu d’entrée de la majorité des migrants vénézuéliens, 31/12/2019, ©Marion Torquebiau

Après la crise politique et la crise sanitaire, voici que le Chili traverse désormais une crise migratoire et humanitaire. Le 25 septembre dernier, une manifestation de l’extrême-droite contre l’immigration illégale a dégénéré à Iquique, ville côtière dans le nord du pays. Décryptage.

« Moi j’ai deux enfants, si je pars d’ici, où vais-je les emmener ? », répète un jeune vénézuélien à TV13 la télévision chilienne dans des images qui font le tour du pays. Au nord du Chili, une manifestation contre l’immigration a fait la une de l’actualité ces derniers jours par son intensité et sa violence. Lors d’une marche de 5.000 personnes organisée le 25 septembre dernier, des militants de l’extrême-droite chilienne s’en sont pris à un campement de fortune de migrants en les agressant physiquement et en brûlant leurs tentes.

Les évènements se sont déroulés dans la région de Tarapaca, sur la Plaza Brasil d’Iquique où plus de 200 migrants vénézuéliens étaient installés depuis un an. Pendant quelques heures, le chaos a fait son irruption dans la ville côtière provoquant désordre et intervention des forces de l’ordre. A l’issue de l’évènement, 150 personnes ont été délogées et 16 ont été placées en garde à vue selon les autorités régionales.

Pour Ximena Póo Figueroa, spécialiste des migrations à l’Université du Chili, l’explication de ce racisme et de cette xénophobie à l’œuvre à Iquique trouve son origine dans l’histoire politique chilienne : « on a créé cette fausse idée que le Chili est homogène. Cela a été renforcé par la dictature [militaire de Pinochet, NDLR] qui a mis en place l’idée que l’étranger est un ennemi ». 

Un demi-million de Vénézuéliens

Bien que n’étant pas traditionnellement un pays de migration par sa position géographique, le Chili doit désormais affronter un afflux de plus en plus importants de migrants. Après les Péruviens, les Vénézuéliens représentent la deuxième communauté d’étrangers la plus importante au Chili avec plus de 500.000 personnes présentes sur le territoire.

Leur présence est avant tout expliquée par les grandes difficultés économiques et politiques que traversent le Venezuela dirigé par le président autoritaire Nicolas Maduro. Après être passé par plusieurs pays latinoaméricains, ces migrants traversent illégalement la frontière de la Bolivie et arrivent à Iquique, capitale du Tarapaca, région du Chili dont le taux d’étranger est le plus élevé.

Source : Institut national de statistiques chilien

Mais une fois arrivé au Chili, « il n’y a pas vraiment de politique gouvernementale d’accueil des migrants ou des réfugiés politiques », explique Ximena Póo Figueroa. Rodrigo Delgado, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Sebastián Piñera, au pouvoir depuis 2018, a en effet affirmé qu'« il n’est pas permis d’utiliser les espaces publics pour y vivre de manière permanente ». Une position paradoxale pour José Miguel Carvajal, gouverneur de Tarapaca pour qui « il n’est pas possible d’expulser 100 migrants vénézuéliens d’une place publique tout en permettant l’arrivée de milliers d’autres à la frontière bolivienne ».

Une migration en augmentation

Depuis dix ans, le nombre d’étrangers au Chili n’a cessé d’augmenter jusqu’à atteindre 458.577 visas délivrés en 2018. A la suite de la crise sociale d’octobre 2019 et de la pandémie, les chiffres ont baissé mais les étrangers au Chili représentent 1,5 millions de personnes soit 7,5% de la population.  

Source : Institut national de statistiques chilien

Cette crise migratoire est vite devenu politique dans la campagne pour élire en novembre le nouveau président de la République. Tandis que certains déplorent le manque de présence militaire à la frontière d’autres critiquent le manque d’implication des autorités chiliennes dans l’accueil des migrants.

Question politique

Un dernier sondage de « Data Influye » a démontré que 68% des Chiliens étaient opposés à l’arrivée d’étrangers illégaux sur le territoire. « Nous sommes en pleine période électorale donc toute manifestation peut avoir des incidences sur le scrutin », ajoute Ximena Póo Figueroa.

C'est surtout le candidat de la droite extrême José Antonio Kast qui bénéficie largement de cette vague anti migratoire. Il est désormais deuxième dans les intentions de vote après le candidat de la gauche Gabriel Boric.

Quoi qu’il en soit, en réaction aux évènements du 25 septembre et face au rejet d’une partie de la population chilienne, 200 vénézuéliens ont décidé de rentrer dans leur pays à travers le programme « Plan Retour à la Patrie ». « Le Venezuela accueille à bras ouverts ses fils et ses filles », a réagi ce lundi sur Twitter Félix Plasencia, ministre des Affaires Etrangères vénézuélien.