« Confluences » (3/6) L’Écornifleur révèle la richesse de personnalités lyonnaises qui ont émergé à la rencontre des idées, des arts et des destins. Beauregard s’est faite une place de choix sur la scène du drag lyonnais. Ses multiples identités, ses expériences et sa liberté font la pluralité de son art.

Brandon est plus connu sous son nom de scène, Beauregard, avec lequel il est devenu une référence du drag lyonnais. Photo Erwann Thuot

« Ça commence bien. » Brandon Scerri-Stapley entre dans le café vêtu d’un pull en laine floqué « Hors-Piste ». Déjà, l’alarme incendie retentit. D’habitude, c’est maquillé, perruqué, partiellement dénudé ou complètement pailleté que l’artiste drag met le feu à la scène. Celui que l’on connaît sous le nom de Beauregard raconte : « J’ai eu un gig comme ça, à Paris. L’alarme s’est déclenchée pendant que je performais. »

Un gig, c’est une prestation. Pour lui, le passage du français à l’anglais est un jeu d’enfant : « Ma mère est britannique. » À 25 ans, Brandon n’a jamais cherché à obtenir la double-nationalité : « L’Angleterre c’est très conservative… Conservateur ? » Il s’est bien établi à Lyon, à la Confluence, en presqu’île.

Brandon est assigné complètement-il à sa naissance, à Grenoble. Aujourd’hui, il navigue sur le spectre du genre : « Moi, c’est très simple. C’est il, elle ou iel. Je m’en moque un petit peu, mais je n’aimerais pas dire aux gens “appelez-moi juste il”. »

À 4 ans, il déménage en bord de Manche : « J’avais 4 ans quand on a déménagé en Normandie, pour faire l’entre-deux. » Ces années seront le théâtre d’un drame en deux actes : « J’ai perdu ma mère quand j’avais 9 ans, et mon père, j’en avais 16. » Tout de suite, il tempère : « C’est mon enfance, c’est tout. Je ne vais pas dire que c’était horrible. C’était moi mineur. Donc moi majeur, fallait que je me casse. » De ces années, il garde des « bons souvenirs » et un nom d’artiste : « Mes potes du lycée m’avaient emmené au festival Beauregard. On avait mis un peu de paillettes et une perruque. Ce n’était pas du drag, juste un déguisement. »

« Le drag, ce ne sont pas que des collants pour cacher des poils »

Le bilingue s’imagine professeur de français en Angleterre : « Ça m’a vite refroidi quand j’ai vu que les universités coûtaient 12 000 balles à l’année ! » Diplômé d’un bac littéraire, il retourne à Grenoble, pour étudier les sciences du langage : « J’ai raté ma première année. J’ai redoublé et le covid est arrivé. Ça m’a vite saoulé. »

Entre temps, il découvre le drag « grâce ou à cause » de la télé-réalité RuPaul’s Drag Race : « À l’époque, je me dis “un concours de tapettes à la télé ? C’est génial !” » Il performe pour la première fois dans sa ville natale, lors d’une scène ouverte. Puis, Beauregard se spécialise dans l’organisation et l’animation de soirée : « Je ne sais pas forcément danser mieux que les autres. Je ne sais pas chanter. Je suis plus une comedy queen mais j’essaie de ne pas avoir un label. »

Son art déjoue les codes, évoluant entre queen, king et queer : « Le drag, ce ne sont pas que des collants pour cacher des poils. Pour que mes jambes soient belles, je ne mets pas de collants, sinon, on ne voit pas mes muscles. » Elle regrette : « Maintenant si tu n’es pas belle comme chez RuPaul tu n’es pas une drag queen. Il a créé un stéréotype. » Barbu quand ça lui plaît, le poil du pinceau reste sa spécialité : « Pendant le confinement, j’ai trouvé une école à Lyon qui proposait une formation en maquillage. »

Beauregard, une référence régionale

Tout juste diplômé, le drag devient son métier : « On me proposait des gigs défrayés par un ticket de métro pour faire maquilleur en théâtre, alors que le même soir, je pouvais être payé un cachet en tant que drag. »

En quelques années, l’artiste est devenue une référence : « Beauregard c’est le plus beau sourire de France », assure Miss Andrie sur Instagram. En mai 2023, la drag lyonnaise a lancé son propre concours, Drag Factor : « Je suis rentrée dans une era où je mets beaucoup les autres en avant. » À titre personnel, elle n’exclut pas de participer à Drag Race France : « C’est surtout pour la tournée. Je sais très bien que je ne vais pas gagner. » Brandon a tout à gagner à la visibilité : « À Grenoble, la personne avec qui je fais des events m’appelle Brendon et ma prof d’art plastique m’appelait Bryan. » Beauregard, elle, est déjà parvenue à se faire un nom : « Quand je suis arrivée dans le drag, tout le monde m’appelait Beau. »

  • Erwann Thuot

    Erwann voulait devenir secrétaire, comme sa grand-mère. Désormais, c’est pour L’Écornifleur qu’il cultive son goût pour la police… d’écriture Arial Narrow et les stylos de couleurs. Depuis qu’il a découvert l’intermittence et l’Eurovision, il consacre son énergie à l’écriture de chansons, de podcast ou d’interviews pour la télévision.

Rédigé par

Erwann Thuot

Erwann voulait devenir secrétaire, comme sa grand-mère. Désormais, c’est pour L’Écornifleur qu’il cultive son goût pour la police… d’écriture Arial Narrow et les stylos de couleurs. Depuis qu’il a découvert l’intermittence et l’Eurovision, il consacre son énergie à l’écriture de chansons, de podcast ou d’interviews pour la télévision.