Cité à comparaître mardi 19 janvier devant le tribunal judiciaire de Lyon pour diffamation par Éliane Houlette, l’ancienne cheffe du parquet national financier (PNF), le directeur de Mediapart, Edwy Plenel, a défendu des révélations « d’intérêt public ». Le journal avait révélé en juin 2020 le contenu d’écoutes et de rapports de synthèse pouvant mettre en cause la procureure. L’Écornifleur s’est rendu à l’audience.

Le procès à été dépaysé au palais de justice de Lyon le mardi 19 janvier du fait de l’éventuelle proximité entre l’ancienne magistrate et le parquet de Paris. Photo : Yann Chérel Mariné

Le 16 mars 2021, Mediapart est relaxé dans cette affaire. Les allégations de diffamations sont cependant reconnues. Retrouvez le compte rendu détaillé de la décision ici.

« Nous sommes devant une histoire d’indépendance ». Voilà la défense adoptée par Edwy Plenel devant la sixième chambre du tribunal judiciaire de Lyon mardi 19 janvier après-midi. Pendant cinq heures, au milieu d’une salle d’audience presque vide, le patron de Mediapart, ainsi que les trois journalistes Fabrice Arfi, Yann Philippin et Antton Rouget et l’avocat du journal Emmanuel Tordjman sont intervenus quant à la plainte pour diffamation portée par Éliane Houlette, ex-patronne du parquet national financier (PNF) concernant un article publié par le journal, le 26 juin 2020.

Cette enquête journalistique intitulée « Parquet national financier : le dossier noir de la procureure Houlette » avait révélé le contenu d’écoutes téléphoniques interceptées par la section de recherche de la gendarmerie de Marseille. En lien avec l’entourage proche de l’ex-maire de la cité phocéenne, Jean-Claude Gaudin, ces écoutes avaient mis en lumière, selon Mediapart, l’implication possible d’Éliane Houlette dans une affaire de soupçons d’emplois illégaux et fictifs. 

A l’origine des révélations de Mediapart, une enquête préliminaire avait été diligentée en septembre 2019 par le parquet de Paris à l’encontre de la magistrate. Le 8 janvier dernier, l’enquête avait été classée sans suite pour les motifs de « violation du secret de l’instruction » et « trafic d’influence », suite à quoi son avocat, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, avait estimé l’honneur de sa cliente « sauf ».

Ce sont huit passages de l’article de juin 2020 qui ont motivé la plainte d’Eliane Houlette contre Edwy Plenel, en sa qualité de directeur de la publication de Mediapart. La plaignante, absente à Lyon lors de l’audience de mardi, avait fait publier un droit de réponse, une semaine avant l’audience, souhaitant « que soit jugé la véracité ou le caractère diffamatoire des accusations que vous avez portées contre moi ».

« Seriez-vous les évaluateurs du PNF ? »

Edwy Plenel s’est exprimé devant le tribunal sur la façon dont le média et le parquet seraient sont, selon lui, « parties liées », l’un ayant révélé les faits d’évasion fiscale de Jérôme Cahuzac en 2012 au plus haut sommet de l’Etat, accélérant la fondation du second en 2014 dans « l’effet de souffle de l’affaire Cahuzac ».

Les récentes mises en cause lui ont semblé d’autant plus « douloureuses », pour l’instance qui est censée être « la plus insoupçonnable qui soit ». Après son propos liminaire, il a voulu rappeler : « Mediapart n’a pas l’intention de nuire à ce parquet, qui est une bonne chose ! »

À l’interrogation de la présidente : « Seriez-vous les évaluateurs du PNF ? », Plenel a répondu : « Nous ne sommes pas évaluateurs mais nous pratiquons notre indépendance » en révélant des informations « d’intérêt public ».

De l’information à la publication : 8 mois d’enquête

Si le patron de Mediapart est l’unique poursuivi, il était également accompagné des trois journalistes qui ont écrit l’article, présents en qualité de témoins : Fabrice Arfi, Yann Philippin et Antton Rouget.

Antton Rouget a été le premier à s’adresser au tribunal. Il a expliqué que « le point de départ de l’enquête est l’article du Monde publié en septembre 2019 » qui révélait l’ouverture de l’enquête préliminaire par le parquet de Paris. Antton Rouget a décrit pendant une demi-heure les étapes et les implications d’une enquête « complexe », qui « dure plusieurs mois ».

Yann Philippin, qui a envoyé les questions à Éliane Houlette avant la publication de l’article, est revenu sur « le caractère contradictoire de cette enquête ». Il a expliqué avoir donné à la magistrate 24 heures pour répondre. L’avocat de l’intéressée avait répondu à midi, comme rapporté dans l’article mis en cause : « Madame Houlette suit mon conseil qui est de ne pas répondre à des questions qui me sont apparues si saugrenues qu’elles en deviennent humiliantes ». Pour le journaliste, l’absence de Houlette au procès, « même si c’est son droit, a montré qu’elle ne souhaitait pas répondre sur les faits ».

Fabrice Arfi a été le dernier à intervenir. Au moment de la publication de l’article en juin, l’auteur et co-responsable de la cellule d’enquête de Mediapart a dit vouloir l’article « le plus respectueux possible ». Il a par ailleurs estimé que « Madame Houlette se trompait de cible ». S’il a dit qu’il pensait avoir « de bons rapports avec elle », il a décrit son « impression qu’elle était incommodée que des vices-procureurs aient pu alerter, mais ça n’est pas de notre faute si tout cela existe ! ». Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, qui jusque-là était apparu détaché des échanges, n’a posé qu’une seule question : « Elle m’a dit que vous l’appeliez Éliane, à l’américaine ? ». Après un moment de silence et d’hésitation, Fabrice Arfi a répondu : « Et bien, je ne m’attendais pas à cette question ! Il est possible que je l’ai appelée par son prénom, oui ».

Entre deux prises de parole, l’un des journalistes confiera à L’Écornifleur être « surpris du faible nombre de questions qu’on nous a posé, on s’attendait à autre chose ».

« Mediapart fait ça pour l’effet d’aubaine »

C’est après plus de deux heures trente d’audience que les deux avocats de la partie civile ont lancé leur réquisitoire. Me Jean-Pierre Versini-Campinchi s’est attardé d’abord sur ses réticences à plaider pour diffamation : « Une magistrate qui va se faire juger par ses pairs… cela va faire jaser ». Il s’est attaqué au titre : pour cette procureure, qui a travaillé sur les affaires Cahuzac, Sarkozy et Fillon, l’attribution d’un « dossier noir » fait tâche.

La mise en perspective, par cette affaire, de l’animosité entre Eliane Houlette et la magistrate Catherine Champrenault est décrite comme « de la littérature » pour l’avocat, et d’après lui, Mediapart « fait ça pour le scoop, pour l’effet d’aubaine ».

Me Orly Rezlan, seconde avocate de la partie civile, a pris le relais en affirmant  plusieurs fois que « le trafic d’influence était déjà dans l’article du Monde » et que « Mediapart a publié un article qui n’apportait pas d’information complémentaire ». La présidente coupe l’intervention et prévient les 3 journalistes : on les a entendu souffler « C’est faux ! ». Orly Rezlan a fini par remettre en cause l’objectivité des sources ayant transmis les pièces aux journalistes : « Les informations reçues par Mediapart ont été envoyées par des magistrats qui avaient des différends avec Houlette ».

« Si nous avions pu publier les PV, alors nous n’aurions eu aucun procès »

Après trois heures trente d’audience, dans les rangs de Mediapart on s’est interrogé sur la durée de la plaidoirie de l’avocat du journal Emmanuel Tordjman : le dernier train pour Paris était à 20h04. Raté, la plaidoirie a finalement duré plus d’une heure, en faveur d’un « beau jugement » sur l’indépendance du journal vis à vis des sources.

L’avocat a introduit sobrement son propos  : « Je n’imaginais pas un jour devoir plaider contre Madame Houlette ». Il a relevé que « l’article relate des éléments factuels et judiciaires » et s’est interrogé sur le fond de la plainte : « Le public n’avait-il pas le droit de savoir qu’une enquête avait été ouverte sur la lutte contre la corruption ? »

Il s’est alors mis à lire un extrait d’un article publié en juillet 2020 par Paris-Match : « La presse d’investigation participe de la démocratie, elle permet de révéler ce qui est caché. Après, la justice prend le relais et fait son travail. Il ne peut y avoir de connivence, j’étais désolée que des PV d’instruction sortent… » Ces mots sont ceux d’Éliane Houlette elle-même. « Les questions de Mediapart ne sont pas un problème, pourquoi ne nous a-t-elle pas répondu ? », s’est-il interrogé.

« L’information n’est pas forcément une infraction pénale », a revendiqué l’avocat. Selon lui, cette « opération n’est en fait qu’une opération de communication, où Madame Houlette a intégré qu’elle allait perdre » et a voulu rappeler au tribunal que sa « saisine n’est pas celle d’un outil de communication mais de savoir si Mediapart a diffamé ». Il a fini par clamer, « la diffamation n’est pas là, il faut la relaxe ! »

Un par un, il s’est attardé sur les huit passages incriminés. L’un d’entre eux concernait Jean-Jacques Campana, avocat cité dans l’article, qui « n’a pas apporté le moindre démenti ». L’avocat a insisté sur le fait que  « Mediapart a apporté la preuve de la vérité, on n’a jamais dit qu’elle était accusée mais simplement “mise en cause” », tout en plaidant « la bonne foi ».

Finalement, Emmanuel Tordjman a interrogé le tribunal : « Est-ce qu’un jour la justice autorisera la publication des procès-verbaux ? ». Il poursuivait « aujourd’hui, la loi l’interdit, mais si nous avions pu les publier, alors nous n’aurions eu aucun procès ! », en rappelant la loi de 1881 sur la presse mais également un arrêt de 1994 à Lyon qui évoque la « prudence et la modération ». C’est avec cette ultime référence locale qu’il a conclu son propos avec la demande d’un « beau jugement » au tribunal.

Edwy Plenel s’est finalement avancé en déclarant ne rien avoir à ajouter. Le délibéré est annoncé par la présidente pour le 16 mars 2021, et au directeur de Mediapart de s’exclamer : « C’est notre date anniversaire ! ».