« Confluences » (5/6). L’Écornifleur révèle la richesse de personnalités lyonnaises qui ont émergé à la rencontre des idées, des arts et des destins. À 34 ans, Alexandre Touron s’est affranchi d’une carrière toute tracée dans le conseil pour tenter de trouver sa propre voie. À la fois serveur et DJ, il fait désormais partie de ces jeunes adultes, privilégiés, qui ont bifurqué professionnellement.
« Pour l’interview, j’avais envie de faire comme si j’étais une star », ironise Alexandre Touron, qui nous a donné rendez-vous dans le Dôme, bar chic de l’Hôtel-Dieu. Dans ce lieu, il donne l’impression d’être à l’aise, lui qui est issu d’une famille bourgeoise, qui a travaillé dans le conseil informatique et qui avoue « aimer la bonne bouffe et le bon vin. » Il débarque avec une tenue streetwear et assure n’être venu que deux fois. Son parcours n’est pas celui d’une célébrité, mais plutôt d’un trentenaire qui se cherche, tâtonne et qui, comme de nombreux cadres de sa génération, a connu un « petit pétage de câble » pendant le Covid. Depuis, il a abandonné son poste dans le consulting et continue d’explorer ce qu’il appelle un « instinct de curiosité » pour trouver un métier qui reflète ses valeurs.
Il a grandi dans les années 1990. « Je suis de la génération Pokémon, de Sniper, Gravé dans la roche », revendique-t-il. Il dit aussi avoir été bercé par une « culture classique », transmise par sa famille bourgeoise. Sa mère a été commerciale avant de se tourner vers l’aérien, et son père a gravi les échelons à la Banque de France. De sa jeunesse dans l’Essonne, à Briis-sous-Forges, il garde ce triptyque : « Paris, banlieue, campagne », qui l’aide à s’adapter dans divers milieux. Alexandre avait commencé à suivre, lui aussi, un chemin linéaire. Il n’en veut plus désormais.
Le conseil, le Covid et le grain de sable
En 2009, bac en poche, il débute pourtant une vie étudiante au cours de laquelle il reconnaît avoir « enfin eu envie d’apprendre. » Avant de nuancer : « Bon, j’ai aussi beaucoup fait la fête pendant la fac de langues. » Peu avant de valider son master en management interculturel, il prend conscience de son manque de qualifications pour les métiers qu’il envisage. Trois ans et un passage à Sciences Po Lille et à l’EM Lyon plus tard, il débute une carrière dans le conseil en informatique. « J’ai aimé ce travail parce que c’était généraliste et qu’il était bien rémunéré. Je l’ai fait pendant cinq ans. Mais à un moment, j’avais besoin de donner du sens à tout ça. »
La remise en question s’intensifie pendant le confinement, durant lequel il prend le temps de se recentrer, le confortant dans son besoin de changement. « Au départ, je pensais que le problème, c’était de vivre à Paris. » Alors, il déménage à Lyon. « Mais je sentais encore ce petit grain de sable au fond de moi. » Il quitte ensuite sa copine après sept ans de relation. « Il me restait encore le côté professionnel où je n’étais plus épanoui », concède-t-il. Décisions radicales ou caprices de privilégiés à l’aune de la trentaine ? L’homme de 34 ans a conscience qu’il a beaucoup de chance de pouvoir bifurquer sans jamais risquer de finir à la rue. Il s’arroge cependant une part de mérite : « J’ai pas mal travaillé et mis de côté, parce que je sais qu’étant instable, c’est essentiel. »
« Il y a d’autres chemins possibles que la carrière toute tracée »
Les deux années suivantes sont l’occasion pour lui « de se laisser aller à des explorations autodidactes, comme l’apprentissage du code, du mixage ou de la vidéo ». À la recherche d’un équilibre, il veut se rendre utile. Il désire également consacrer du temps à la musique, partie de sa personnalité qu’il affiche jusque dans ses tenues, puisqu’il porte un pull Dabeull Records, label de son artiste préféré. Avec des amis, ils ont même créé une association pour mixer en soirée.
Le chômage qu’il perçoit encore pendant quelques mois et les économies n’étant pas éternelles, il a tenté de se reconvertir dans l’œnologie ou le design sonore (qui consiste à créer des playlists pour des entreprises). Les deux fois, il est déçu de s’être pris « un petit mur », les entreprises ne l’ayant pas gardé. En attendant d’ouvrir peut-être un jour le tiers-lieu de ses rêves, Alexandre sert du thé à des personnes âgées depuis le mois de mars dans un café intergénérationnel, situation dont il se satisfait malgré la diminution de son salaire par trois. « J’en suis arrivé à la conclusion qu’il y a d’autres chemins possibles que la carrière toute tracée. J’ai décidé d’en faire une force. »