Alors que le soleil se couche sur Fourvière, l’Ecornifleur vous embarque dans le monde de la nuit auprès des noctambules et travailleurs de l’ombre.


Les week-ends durant la nuit, le bus Pleine Lune 2 ramène voyageurs et voyageuses de Hôtel-de-Ville à Grange Blanche. Immersion nocturne dans le bus, avec son chauffeur et ses agents de sécurité qui, dans l’ombre, garantissent le bon déroulé des trajets.
Bus Pleine Lune 2 à quais, durant la nuit
En plus du bus Pleine Lune 2, deux autres lignes nocturnes circulent en fin de semaine : la Pleine Lune 1 reliant la place des Terreaux à l’INSA, et la troisième d’Hôtel-de-Ville au Campus Lyon Ouest. Lyon, France. 2 décembre 2023 © Nicolas Malarte

« Tu veux un café ? » Il est 00h44 lorsque Khaled, la cinquantaine, nous accueille, bonnet sur la tête et gilet rose marqué « TCL Sécurité ». Devant les bâtiments du dépôt des Pins, situé avenue Lacassagne (Lyon, 8e arrondissement), il discute avec Graroz, Albanais de « presque soixante ans ». À deux, ils assurent la sécurité du bus Pleine Lune 2 « depuis fin 2022 ». Dans le calme et le froid, ils attendent autour d’une cigarette l’arrivée de Reda, chauffeur pour cette nuit, et le début du service. 

Le Pleine Lune 2 fait partie des trois bus de nuit mis en circulation depuis septembre 2022, et qui circulent les nuits de vendredi, samedi et dimanche (hors vacances d’été). Surnommé par un responsable des Transports en commun lyonnais (TCL) « la ligne des boîtes de nuit », il réalise le parcours Hôtel-de-Ville – Grange Blanche, avec des départs donnés à 1h15, 2h15, 3h15 et 4h15. « Une ligne tranquille, la plupart des gens sont calmes. Il y a surtout du monde en fin de soirée, des étudiants qui rentrent de soirée, parfois un peu saouls », dit Khaled, avant d’embarquer. 

« Salut tonton, bon boulot ! »

Avant de démarrer, Reda finit d’installer les panneaux indiquant les arrêts de la ligne. Khaled nous explique que chaque nuit, « on est toujours la même équipe de sécurité, seul le chauffeur change ». À 00h59, le bus quitte le dépôt, direction la Presqu’île. Sur le chemin, les deux agents de sécurité sont sur leur téléphone, alternant entre réseaux sociaux et jeux mobiles. L’ambiance est peu bavarde, alors que dehors, la ville est toujours éveillée : la fréquentation des rues et bars ne désemplit pas.

Une fois arrivés à Hôtel-de-Ville Louis Pradel pour le premier départ de la nuit, les agents prennent leur poste, un à l’avant, l’autre à l’arrière. Quand l’horloge indique 1h15, le bus commence sa tournée, mais vide. Khaled glisse : « au premier voyage y a personne ». C’est seulement quelques arrêts plus loin que les premières personnes montent à bord : deux jeunes, qui reviennent d’un bar place des Terreaux. Rythmé par les rares discussions de la dizaine de personnes à bord, le bus passe par les quais de Saône, Bellecour ou encore la Manufacture des Tabacs. Parmi les derniers voyageurs, un habitué, sac de livraison sur le dos et trottinette à la main lance « Salut tonton, bon boulot ! » au chauffeur, avant de descendre à Bachut Mairie du 8e. Lorsque le dernier passager est déposé à 1h40, Khaled et Graroz se rassoient et attendent que le véhicule rejoigne le terminus. 

Des pauses entre cigarettes et fatigue

Le premier tour fini, sans accroc, les trois travailleurs sortent prendre une pause. Avant de sortir, Graroz nous propose une cigarette. « C’est quoi, des cigarettes albanaises ? », plaisante Reda, déjà dehors. Une fois à l’extérieur, les langues se délient mais tous les trois remontent deux minutes après. 

Alors que Reda reconduit le bus vers le point de départ, Graroz et Khaled parlent de leur situation et du « PL 2 ». Les deux agents de sécurité sont employés par Actor Sécurité, une société de sous-traitance. En plus du PL 2, Graroz, fait aussi la sécurité sur d’autres bus et trams de nuit TCL « mais ça change selon les jours, des fois ça commence à 21 heures, des fois ça finit à 2 heures». Khaled, lui, a un autre travail à côté, mais trouve que c’est compliqué. « Ici c’est payé dix euros de l’heure », grimace-t-il, « alors il faut cumuler les heures. C’est difficile. ». Le plus dur selon lui ? « La fatigue : ce soir je me suis couché à 17 heures, réveillé à 23 heures. »  

Arrivé en avance à Cordeliers, Reda gare le bus et les trois hommes reprennent leur pause. En attendant l’heure de reprise, ils discutent et sont rejoints par un agent du bus Pleine Lune 3, aussi en pause. Après avoir avoué « que la fatigue monte tout au long de la soirée », Reda, casquette béret sur la tête, parle de lui. Intérimaire chez R.A.S, il conduit des bus TCL depuis huit mois et ne semble pas insatisfait, « j’ai connu des situations pires que ça ». Sur son salaire, il ne s’étend pas, « On gagne trois balles… ce qui compte ce sont les IFM, les indemnités de fin de mission », une prime versée aux travailleurs intérimaires, d’au moins 10% de leur salaire.

Avant que le bus ne rejoigne le départ à Hôtel-de-Ville pour une deuxième boucle, deux jeunes femmes demandent si le bus passe bien par Saxe-Gambetta. Même si le service n’a pas vraiment débuté, Reda leur dit de monter. « Pourquoi on va pas les prendre ? On est là pour ça ! », lance-t-il, avant de démarrer et de continuer à sillonner Lyon, jusqu’à 4h54 du matin.

Nicolas Malarte