Lors de sa pause lyonnaise qui a pris fin le 21 janvier, la goélette scientifique Tara a continué sa mission autour de la pollution microplastique, en effectuant des prélèvements dans le Rhône. Plus d’un mois après l’accord insuffisant trouvé à la COP 28, la fondation tente de porter la voix de l’Océan à l’international.
Célébrant les vingt ans d’existence de la fondation Tara, le bateau amarré sur le Rhône accueille du public venu pour le visiter. Lyon, France. 20 décembre 2023 ©Tom Sallembien

Du 6 décembre au 21 janvier, le mythique bateau scientifique Tara prenait une pause sur le Rhône. Habituée à la haute mer et aux glaciers, l’embarcation amarrée au ponton du musée des Confluences a fière allure. Après sa remontée du fleuve et son arrivée en trombe dans la ville, emportant à son bord le maire écologiste lyonnais Grégory Doucet et le président de la Métropole Bruno Bernard, la goélette a poursuivi sa mission de sensibilisation en accueillant les Lyonnais à son bord.

Dans le cadre de la « mission microplastique », une équipe de scientifiques menée par le Dr Jean-François Ghiglione a également collecté des échantillons dans le Rhône tout au long de sa remontée. Pendant la visite, un des bénévoles présente la « rosette », l’instrument utilisé par l’équipe permettant de capturer l’eau à différentes profondeurs, grâce à ses dix tubes refermables à distance.

L’objectif est d’étudier la présence de nanoplastiques dans l’eau du fleuve, déjà connu pour sa pollution aux PFAS, une famille de molécules considérées comme polluants toxiques éternels et rejetées par certaines usines de la vallée de la chimie.

Dans la « salle de vie » du bateau, Carole Pire, cuisinière-marin, retrace le parcours effectué par la goélette avant d’arriver à Lyon. Lyon, France. 20 décembre 2023 ©Tom Sallembien

« Un pont entre la science et les décideurs »

Même si les résultats de cette mission seront publiés en avril prochain, « on a des avant-goûts plutôt négatifs », résume André Abreu, directeur des affaires internationales. Une réunion de travail sur ce sujet a d’ailleurs eu lieu le 9 janvier dernier, réunissant plusieurs membres de la société lyonnaise : la mairie, l’agglomération, des industriels et des scientifiques. Il s’agissait notamment d’aborder la pollution du fleuve documentée par la « mission microplastique » de Tara, qui se positionne « avec un plaidoyer très pointu sur la présence de certaines familles spécifiques de microplastique comme le polystyrène ou le PFA », précise-t-il.

Dans la fondation Tara depuis dix ans, André Abreu fait partie de l’équipe à terre, dont l’objectif est de placer l’océan au cœur des négociations politiques, y compris à l’international. Depuis 2015, un siège d’observateur spécial à l’ONU leur est réservé. Cela permet à la fondation d’avoir accès à la salle des négociations et de prendre le micro, même si leur prise de parole arrive après la longue liste d’attente constituée par l’ensemble des Etats membres. Malgré les difficultés à se faire entendre, le directeur des affaires internationales reste convaincu qu’il y a « un vrai besoin de faire ce pont entre la science et les décideurs ».

L’océan délaissé, les lobbyistes victorieux

Après l’officialisation de l’accord issu de la COP 28, présenté par certains comme historique car mentionnant pour la première fois la nécessité de sortir des énergies fossiles, André Abreu reste sceptique : « Il manque des engagements chiffrés ». En outre, le sujet de l’océan, fer de lance de la fondation Tara, reste très marginal comparé à la problématique de l’énergie. Pourtant, Tara avait lancé la dynamique lors de la COP21 en 2015 à Paris. La goélette était alors fièrement exposée sous le pont Alexandre III et le terme « océan » figurait dans l’accord de Paris, une première pour un texte international sur l’environnement. Depuis, les COP se suivent et l’océan est souvent relégué à des « événements parallèles », organisés par différentes ONG.

Poste de pilotage du bateau scientifique Tara, face au musée des confluences. Lyon, France. 20 décembre 2023 ©Tom Sallembien

André Abreu pointe aussi la présence de nombreux lobbyistes lors des négociations internationales auxquelles Tara participe. A Nairobi au mois de novembre, lors des débats sur le futur traité plastique (INC3), « il y avait une telle quantité d’entreprises de la pétrochimie accolées aux délégations, c’était impressionnant » souffle-t-il.

Lors de la COP 28 à Dubaï, un record a été atteint avec au moins 2456 lobbyistes dénombrés par la coalition d’ONG « Kick Big Polluters Out ». Alors qu’une diminution de l’exploitation des combustibles fossiles est mentionnée dans l’accord, l’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole (OPEP) prévoit d’en extraire toujours plus. « La plasturgie a donc le champ libre pour devenir un marché alternatif où va finir le pétrole extrait en toujours plus grande quantité », explique André Abreu, craignant trouver davantage de plastique dans les océans.

La goélette va maintenant reprendre du service, longeant le littoral méditerranéen jusqu’à son prochain grand rendez-vous, Nice, où se tiendra la conférence des Nations-Unies sur l’Océan en juin 2025.

Tom Sallembien