Rêves de visages masqués, d’attestations, et de contaminations… Le Covid envahit notre quotidien, mais aussi nos nuits. Depuis le début de la pandémie, les étudiants notamment sont nombreux à rêver de l’épidémie.
Myriam Kerkhofs, psychologue au laboratoire du sommeil du Centre hospitalier universitaire de Charleroi et Hélène Bastuji, spécialiste du sommeil au centre de recherche en neurosciences de Lyon décryptent, pour l’Écornifleur, plusieurs rêves recueillis auprès d’étudiants.

Selon notre sondage, 45% des étudiants ont déjà fait un rêve en lien avec la crise sanitaire. Illustration @justinethevenin pour l’Écornifleur

Le rêve de Morgane, 20 ans, étudiante à l’IEP de Grenoble : « J’ai rêvé que j’allais au café avec mes amies, on ne porte pas de masque et tout semble normal. Ensuite, avec mes parents on se rend en famille chez mes grands-pa- rents. Deux semaines après, mon grand- père meurt du Covid. On teste toute la famille pour trouver qui l’a tué, et on découvre mon ADN. À l’enterrement, sur la tombe est écrit « Morgane l’a tué ». Puis, je me retrouve face à moi-même, je me dis que je suis une meurtrière et je me demande qui sera le prochain dans la famille. Je me vois me tendre un couteau et je me le plante dans le ventre. Et là, je me réveille en sursaut ».

L’analyse d’Hélène Bastuji : C’est un cauchemar récurrent et très imagé. Il évoque le problème de la culpabilité. Ce rêve s’inscrit dans une problé- matique actuelle : les jeunes qui peuvent éventuellement contaminer les vieux qui peuvent en mourir.

Le rêve de Suzanne, 20 ans, étudiante à l’IEP de Lille : « J’ai rêvé que j’étais dans un bar assez étroit et très long. Il y avait une exposition de tableaux que l’on regardait avec mon amie. Le bar se remplis- sait vraiment vite. Je me sentais oppressée par la foule, je paniquais parce que personne ne portait de masques et que tout le monde était très serré. J’avais l’impression que le bar rétrécissait sur nous ».

L’analyse de Myriam Kerkhofs : Le contenu ici est angoissant avec l’oppression par la foule. Cela reète la crainte que cette maladie évoque en raison de sa conta- gion, mais aussi des privations qu’elle entraîne notamment pour les jeunes. C’est un peu la fonction du rêve ; aider à contrer les angoisses, et donc parfois dans le rêve justement on rêve du contraire de nos préoccupations, cela fait partie des mécanismes compensatoires de l’anxiété.

Le rêve de Lorène, 22 ans, étudiante à l’IEP de Lyon : « J’ai rêvé que je partais à Disneyland avec mes amis. Mais c’est très bizarre car ar- rivée sur place, il y a d’impor- tantes mesures barrières ; la foule qui marche pour rentrer dans le parc d’attraction doit suivre un circuit d’hygiène. Tout le monde est à distance en le indienne et marche dans un sens déni. Je me rends compte que je n’ai pas de masque et que je ne peux pas rentrer. Donc, avec mes amis, on se rend dans une boutique en plein milieu des boutiques de souvenirs, mais c’est un magasin dédié à la vente de masques et gels. À l’intérieur, tout est très aseptisé, il y a énormément de monde ».

L’analyse de Myriam Kerkhofs : C’est assez classique que, dans le rêve, on ait des soucis avec le contrôle, une diculté à rentrer dans un lieu, cela fait partie de la fonction du rêve. C’est un rêve très détaillé, et ce qui est intéressant c’est qu’elle incorpore une histoire ancienne dans le contexte actuel. Il y a des mélanges de situation, l’espace-temps n’est pas le même.

« La charge émotionnelle de la situation actuelle, de l’incertitude, de la privation de contact, d’anxiété qui en résulte a un fort impact chez les jeunes ».

Myriam Kerkhofs

L’Ecornifleur : Que nous dit le phénomène de rêve de l’épidémie sur les liens entre notre quotidien et notre sommeil ?

Myriam Kerkhofs : Cela montre que le sommeil est essentiel à notre manière de faire face à la situation actuelle. Durant celui-ci, il y a tout un traitement de cette information concernant le Covid et l’incertitude. Ce contexte anxiogène est incorporé dans notre sommeil, qui fait un travail sur ces données et ces émotions. Le sommeil est un peu comme la « machine à laver » du cerveau. Ce retraitement de l’information cognitive et émotionnelle est nécessaire.

L’E.: Qu’est-ce qu’il se passe dans notre cerveau quand on rêve ?

M.K.: Le rêve est surtout la production d’un récit. Les études actuelles disent que l’on rêve dans toutes les pé- riodes du sommeil, donc il y a un contenu, des images, en sommeil profond comme en sommeil léger. C’est pour cela qu’en général on se souvient des rêves du matin, parce que le sommeil est plus fragmenté en n de nuit. On a souvent l’impression que le rêve dure très longtemps, mais en fait c’est quelques secondes, c’est vraiment un ash sur lequel on met tout un scénario. La fonction du rêve c’est cela : faire fonctionner notre cerveau mais de manière anarchique.

L’E.: Quelles sont les variables qui expliquent la récurrence de rêves liés à l’épidémie ?

Hélène Bastuji : C’est surtout le contexte d’angoisse. On peut faire le parallèle avec les personnes qui, après un violent traumatisme, vont développer ce que l’on appelle des cauche- mars post-traumatiques. Sur le plan scientique, on dit que la mémoire de l’événement et l’émotion sont complètement liées. Dès que l’on a un rappel de cette situation, l’émotion arrive tout de suite. Et pro- gressivement, faire un travail psychologique va permettre d’être capable de détacher la mémoire de cet évènement de l’émotion et de ne plus être enfermé dans l’angoisse.

L’E.: Le sentiment d’enfermement vécu avec le Covid se retrouve-t-il dans les rêves ?

M.K.: Cette situation est inédite, il y aura un avant et un après. Chez certaines personnes, cette situation a un im- pact anxiogène beaucoup plus que chez certaines autres. C’est vraiment un vécu commun qui se manifeste dans le contenu des rêves. L’imprégnation du Covid chez les jeunes est beaucoup plus importante, parce que cela change beaucoup plus leur mode de vie en termes de privations et d’incertitudes. La situation la plus angoissante est celle contre laquelle on ne peut rien faire, c’est le cas de l’épidémie.

L’E.: L’analyse du sommeil est-elle essentielle pour comprendre notre rapport à l’épidémie ?

H.B.: Le sommeil occupe un tiers de notre vie donc il s’y passe pas mal de choses. C’est vraiment quelque chose d’important. Je fais souvent une comparaison avec le fait que pendant le sommeil, on se divise un peu articiellement entre notre mental et notre corps, et puis la relation avec l’extérieur. On est plus ou moins coupé de l’extérieur, on consolide notre mémoire, nos défenses immunitaires, on gère notre aspect émotionnel. La métaphore que j’utilise c’est le grand magasin ; à l’étage veille, le grand magasin est ouvert, à l’étage sommeil profond, le magasin est fermé la nuit et il y a juste un gardien, et à l’étage sommeil paradoxal, le magasin est fermé mais c’est pour inventaire. C’est une image qui donne une idée de ce qu’il se passe pendant le sommeil.

L’E.: Combien de temps encore continuerons-nous à rêver du Covid ?

H.B.: D’abord, il faudrait savoir quand est-ce que cela va s’arrêter ! (rires). Je pense que cela va dépendre un peu des gens. Pour faire un parallèle, on peut prendre l’exemple du rêve de personnes décédées. Certaines personnes continuent pendant des mois, voire des années à avoir des relations dans leurs rêves avec une personne décédée. Et puis d’autres vont cesser directement après le décès. Pour la situation du Covid, cela va dépendre des étudiants, en fonction de comment ils ont vécu cette situation, et de toutes les conséquences que ça a pu avoir ou non pour eux. On peut imaginer que le contenu des rêves va être très différent.