Le thème de l’enfermement, source de folie, a inspiré les trois développeurs du studio ukrainien Sowoke Entertainment Bureau pour créer No One Lives Under The Lighthouse (2020), dans la veine des jeux d’horreur PS1 et inspiré du film sorti deux ans auparavant The Lighthouse. Claustrophobes, passez votre chemin.
Lorsque l’on fait ses premiers pas sur la petite île qui sert de décor à No One Lives Under The Lighthouse, Nolutl pour faire plus court, on ressent tout de suite un sentiment d’isolement. Notre personnage est gardien de phare, débarqué sur un pauvre rocher en pleine mer pour une semaine durant laquelle il devra entretenir la lumière qui guide les bateaux dans la tempête. Autant le dire tout de suite, il y a bien quelqu’un sous le phare, enfermé dans un labyrinthe sombre et claustrophobique dans lequel nous serons amenés à nous aventurer.
Les graphismes fleurent bon les productions d’horreur PS1 des années 2000, à une époque où les logiciels vidéoludiques tournaient sur CD, avec une attention tout particulière portée aux objets. Vitalii Zubkov, le game designer de Nolutl est un fan de ces productions d’horreur old school. « Nous n’avons aucun 3D artist dans l’équipe mais j’ai toujours voulu que nous fassions un jeu dans un environnement 3D. Il y a une forme de malaise provoquée par ces vieux graphismes qui se marie parfaitement avec le genre de l’horreur », explique le développeur ukrainien.
Contraintes et solitude
L’équipe de Sowoke Entertainment Bureau s’est rencontrée en 2018 à une game jam, ces manifestations attirant des personnes désireuses de faire équipe, souvent avec des inconnus, pour réaliser une production en temps limité. En 48 heures, l’équipe composée de trois personnes crée la première version de Nolutl, qu’ils voulaient « petit et bon ». Après l’avoir amélioré et étendu, ils publient le jeu tel que nous le connaissons aujourd’hui deux ans plus tard. « A l’origine nous avions fait cette île, ce phare et la petite maison. Se promener dessus donnait une étonnante impression, presque claustrophobique, entre l’isolement et la solitude. Le fait d’errer sur cette île dans le silence, avec des cris de mouettes, c’était assez impressionnant ».
A mi-chemin entre le point and click, genre dans lequel le joueur utilise principalement le clic de la souris pour interagir avec l’environnement, et le jeu d’aventure, Nolutl prend un goût particulier au regard du confinement décrété pour lutter contre la pandémie de Covid-19 en France. Notre avatar, qui ne peut pas s’échapper de cette toute petite île, accomplit des tâches répétitives qui créent un sentiment d’ennui et d’enfermement. Les contraintes inhérentes aux outils utilisés par les développeurs pour créer le jeu, le temps limité dans lequel il a été réalisé… Tous ces éléments limitent la liberté créative mais cet enfermement peut aussi être fécond : « Lorsqu’une production vidéoludique n’explique pas les objectifs et comment les atteindre, chercher comment faire devient une partie du jeu voire le jeu lui-même et il devient intéressant d’essayer de comprendre ce que le gameplay attend de vous », explique Vitalii Zubkov. Cette pratique de forme contrainte, propre à la poésie, est bien connue des développeurs qui produisent des jeux néo-rétro, destinés aux vieilles consoles.
L’ombre de The Lighthouse
Les développeurs se sont largement inspirés du film The Lighthouse de Robert Eggers, avec Robert Pattinson et Willem Dafoe, sorti en 2019, une œuvre tournée en noir et blanc au format des vieux 35mm qui avait déjà quelque chose d’oppressante. Dans le jeu, une multitude d’éléments rappellent immédiatement le film : cette mouette qui ne veut pas s’envoler même si on la menace, cette pluie torrentielle sous laquelle on ne voit pas à un mètre devant soi et que les développeurs ont parfaitement recréé à coup de gros pixels ou encore la musique, troisième personnage du film, dont on retrouve les dramatiques coups de corne de brume aux moments où la tension augmente.
Nolutl n’est pas pour autant le clone de l’œuvre qui l’inspire largement. A un certain point, les développeurs décident de s’en détacher et l’inspiration peut être relativisée. « Nous n’avions aucune intention de copier le film de façon trop importante dès l’origine. La scène avec la mouette par exemple, lorsque j’ai eu l’idée de cette scène je ne pensais pas vraiment au film » explique Vitalii Zubkov. « Je voulais juste créer la possibilité de tirer sur la seule mouette qui ne s’envole pas et je trouvais l’idée de la scène intéressante ».
Le jeu peut être autant vu comme une création originale que comme la réalisation vidéoludique des promesses du film, avec tous ces monstres que l’on soupçonne et que l’on ne voit pas. Dans la réalisation du studio Sowoke, la tension bascule dans l’horreur lorsque l’on voit enfin les monstres, le monde souterrain qui se cache sous l’île et ses effrayants habitants. Malheureusement, c’est aussi à ce moment-là que le jeu est le moins bon, dans sa deuxième phase. La partie qui se déroule sous le phare notamment, dans laquelle notre héros est enfermé dans un labyrinthe et tente d’échapper à la créature qui le poursuit, paraît un peu vide. « Nous voulions imiter quelque peu le principe de Resident Evil 2, dans lequel un monstre vous suit partout sans que vous puissiez lui échapper mais sans qu’il vous attrape nécessairement. Vous le semez pour gagner du temps ». En ce qui nous concerne, on s’est tout de même fait déchiqueter à plusieurs reprises avant de parvenir à sortir du labyrinthe.