Patrice Vandamme mêle sa démarche artistique à une démarche d’éducation populaire. Le 28 octobre à Lyon. (© Yann Dorée)

Artiste, comédien, Patrice Vandamme parcourt la métropole lyonnaise depuis une trentaine d’années pour faire émerger la parole de tous. Depuis 2002, avec sa compagnie de théâtre Les arTpenteurs, il lie les démarches d’éducation populaire et d’éducation artistique au sein du quartier de la Duchère.

« On peut discuter une heure. Vous voulez boire quelque chose ? », accueille Patrice Vandamme. Le spectacle est dans quelques heures, tout n’est pas encore prêt, mais le comédien a l’air serein. Ce n’est pas la première fois qu’il aménage une scène éphémère. Depuis qu’il a créé sa compagnie de théâtre, Les arTpenteurs, en 1992 et s’est installé à la Duchère, quartier populaire du 9e arrondissement de Lyon, en 2002, l’homme sait poser un décor. Alors, il s’esquive quelques instants dans une pièce confidentielle du Ciné Duchère, loin du hall, et revient deux cafés à la main.

Tout en choisissant ses mots, distillant ses préférés comme « écouter » et « observer », Patrice Vandamme se raconte : « Je n’étais pas un enfant de la balle ». Lui qui reste discret sur son âge, « bientôt 60 ans », n’a pas grandi dans un milieu artistique. La vocation est née d’abord au lycée puis au sein des Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active, CEMEA. Pendant une douzaine d’années, celui qui n’est pas encore comédien y cultive ses multiples centres d’intérêt et trace les lignes de sa démarche d’éducation populaire. Ce n’est qu’ensuite, nourri d’expériences, qu’il suit une formation de comédien à Genève, auprès de Serge Martin, de 1988 à 1991. L’année suivante, il revient à Lyon et crée Les arTpenteurs.

« Avec le temps je suis sorti des étiquettes. J’ai créé une compagnie complètement atypique, mais à mon image, je crois », songe Patrice Vandamme. À la naissance de la compagnie, l’homme de théâtre mène de front plusieurs projets. L’un d’eux l’envoie deux ans à Mermoz, dans le 8e arrondissement de Lyon, au début des années 90. Ce contact avec les quartiers populaires lui fait percevoir une richesse dans ces lieux. «  Je préférais faire ça plutôt que d’aller me trouver devant des publics qui viennent déjà en consommateurs, qui se transmette les abonnements de père en fils. J’avais l’intuition que, peut-être, que je ne ferais pas la même chose en m’implantant sur ces territoires », avoue-t-il.

20 ans à la Duchère

Sa boucle d’oreille pendante ne s’agite plus lorsqu’il s’agit d’évoquer sa rencontre déterminante avec Annie Schwartz. C’est cette écrivaine, qui résidait dans le quartier de la Duchère, qui l’encourage à s’y installer. Le quartier entame une mue urbanistique et sociale. Les deux artistes accompagnent les habitants, dont les barres d’immeubles s’apprêtent à être détruites, en recueillant leurs paroles et en en faisant des spectacles. Pour Patrice Vandamme, l’inscription dans ce quartier est le début d’une histoire qui dure depuis 20 ans.

À la Duchère, le comédien souhaite être davantage « que de passage ». « Je suis à contre courant de beaucoup de politiques qui pensent qu’il ne faut pas plus de trois ans à une équipe artistique sur un territoire. Non. C’est une erreur complète », explicite le comédien. Au sein du quartier, l’artiste développe notamment des spectacles participatifs et cherche constamment à mettre les personnes au centre de sa démarche. Il affine: « la démarche d’éducation populaire s’est affirmée petit à petit ». De l’accompagnement à la démolition, au concours d’éloquence et du travail sur les langues, Patrice Vandamme choisit sa posture, autant que ses mots, pour faire émerger la parole des habitants du quartier. « Le plus grand respect que je dois aux gens c’est d’être exigeant avec eux. À fortiori si je suis face à des personnes qui ont perdu le sens de leurs vies ou qui ne sont pas dans un milieu où on les stimule beaucoup », assume-t-il.

“C’est éminemment politique. Il n’y a pas d’actes éducatifs qui ne s’inscrivent pas dans une idéologie politique”

Patrice Vandamme

Il en est convaincu, sa démarche consiste en des propositions artistiques qui servent à susciter la rencontre, le débat, l’échange et développer l’estime de soi. En cela, il concède volontiers : « C’est éminemment politique. Il n’y a pas d’actes éducatifs qui ne s’inscrivent dans une idéologie politique ». Pour sa part, son souhait est d’aider à ce que chacun trouve sa place. « Ce n’est pas n’importe quelle politique qui donne la place à l’humain, qui laisse place à son libre choix, qui renforce son libre-arbitre, son estime de soi », poursuit-il. L’artiste ne cache pas son opposition profonde aux mouvements politiques qui « voient l’autre avec ses manques » plutôt qu’avec « ses capacités ». « Tu vois bien de qui je veux parler », dit-il sans les nommer.

Patrice Vandamme a encore beaucoup à dire, mais l’entrée de quelqu’un dans la pièce lui fait tout à coup prendre conscience de l’heure et demie qui vient de s’écouler. Le comédien sourit : « de toute façon on n’aura jamais tout dit ».