Denis Ricca a travaillé pendant 35 ans dans une société d’ingénierie avant de se tourner vers l’humanitaire en 2013. Aujourd’hui retraité, il est bénévole dans des organismes lyonnais et suisse de formation et de soutien psychologique aux travailleurs humanitaires.
Le rendez-vous avec Denis Ricca a été fixé dans un petit café du 7ème arrondissement de Lyon, fin octobre. A notre arrivée, ce retraité de « presque 65 ans » s’affaire sur son ordinateur, entouré de tableaux de chiffres. Il est depuis peu le trésorier de l’institut Bioforce, organisme de formation des travailleurs humanitaires basé à Lyon. Cheveux blancs légèrement décoiffés, il porte sur le nez des lunettes rouges qui lui donnent des faux airs d’enseignant.
Denis Ricca a justement travaillé quelques mois comme professeur de mathématiques dans un lycée dans les années 1980. Il a ensuite occupé divers postes techniques dans une société d’ingénierie durant 35 ans. Le retraité s’estime chanceux d’avoir pu changer de poste dès qu’il le souhaitait. Au fil des années, Denis Ricca a parfois été amené à travailler à l’étranger. Une mission au Nigeria, consistant en la gestion d’un site d’informatique et de télécom, va compter plus que les autres. « L’idée était de mettre un responsable de département expatrié qui restait trois ans puis était remplacé, raconte le retraité. J’ai fait le pari de dire que je formais les gens sur place et qu’ils me remplaceraient à mon départ ». Il sourit encore de cette expérience où il s’est senti utile : « Au début, l’entreprise ne me croyait pas mais on m’a laissé faire, et ça a très bien marché ».
« Il faut former les gens qui vont aider ceux dans le besoin »
Ce n’est pas un hasard si Denis Ricca a apprécié sa mission au Nigeria. Son « idée de jeunesse » était en effet de travailler dans l’humanitaire. Mais ce n’est qu’une fois que ses deux enfants ont fini leurs études qu’il a effectivement pu sauter le pas. En 2013, il suit une formation à l’institut Bioforce et reçoit l’équivalent d’un master en gestion de projet humanitaire. Si personne dans sa famille n’avait travaillé dans l’humanitaire, l’homme originaire de la banlieue lyonnaise affirme avoir reçu « le sens de l’accueil et de la solidarité de la part de ses parents ». « Ce qui me plaît, c’est être au service des gens qui en ont le plus besoin, détaille-t-il. C’est le moteur de tous mes engagements, passés et présents ». Après avoir obtenu son diplôme, il effectue diverses missions humanitaires au Tchad, au Laos, en République démocratique du Congo et au Niger pour le compte d’Handicap International.
En 2018, Denis Ricca décide de s’engager au sein de l’institut qui l’a formé au travail humanitaire, Bioforce. Il estime qu’il est essentiel de « former les gens qui vont aider ceux dans le besoin » et que les enseignements dispensés à Bioforce sont adaptés à la réalité du terrain. « Quasiment tous les formateurs sont des humanitaires et parlent de choses qu’ils connaissent, précise le retraité. Ils n’ont pas de mal à illustrer leurs propos ». Il souligne « le travail mené sur trois aspects : le savoir, le savoir-faire et le savoir-être » ainsi que la possibilité d’effectuer « une simulation de mission humanitaire ».
« On voit beaucoup d’humanitaires qui ont des soucis »
Depuis sa retraite en 2018, outre son engagement à Bioforce, Denis Ricca est aussi membre du board de CoCreate Humanity, organisation suisse de soutien psychologique aux travailleurs humanitaires. S’il n’a pas connu de problèmes psychologiques sur le terrain malgré « quelques moments chauds », le retraité affirme avoir vu des collègues souffrir en mission. L’ancien travailleur humanitaire sourit, « on m’appelait papa nounours du fait de mon âge et on se confiait à moi », mais redevient vite sérieux : « En principe, on ne va pas en mission pour enterrer les gens, ça peut laisser des traces ». Le bénévole dépeint une situation difficile : « Pas mal de collègues reviennent de mission avec des mauvais souvenirs voire avec des symptômes de stress post-traumatique. On essaye de les aider par l’écoute et la réorientation vers des professionnels si nécessaire. »
Pour l’ancien travailleur humanitaire, « il faut aider ceux qui ont aidé ». Il poursuit : « On voit beaucoup d’humanitaires qui ont des soucis, des anciens qui ont ramassé pendant des années car personne ne s’occupait du problème à l’époque ». Il pointe également un autre problème : « Il y a des jeunes qui ont suivi des formations qui ne sont pas forcément adaptées au terrain, car on ne fait pas facilement face à la violence ». « Travailler avec des personnes en situation de traumatisme n’est pas toujours simple », reconnaît Denis Ricca. Quand on lui demande ce qui le pousse à continuer, l’éphémère professeur répond en souriant : « la satisfaction. »