Risquant la perte d’une grande partie de son catalogue et la vente au plus offrant, OCS a fait de sa stratégie partenariale avec les festivals de cinéma, comme le festival Lumière, un atout de protection face à ses concurrents. Une entente paradoxale qui entérine l’hégémonie des plateformes et l’effacement des frontières entre audiovisuel et cinéma. Décryptage. 

Ayant réussi à décrocher les droits de diffusion exclusifs de la chaîne américaine HBO, le nombre d’abonnés d’OCS a exponentiellement crû grâce à un catalogue très concurrentiel. Le 13 octobre 2022, ©Arthur Dumas 

«Participez à notre quiz et gagnez un séjour exceptionnel au cœur du festival Lumière !» Peu de chance que ce jeu concours d’OCS puisse remédier à l’érosion du public des salles de cinéma. Dernier chiffre en date : le mois de septembre 2022 a connu le niveau le plus bas de fréquentation (7,38 millions d’entrées) pour un mois de septembre depuis 1980, selon le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). 

Mais ce partenariat entre OCS et le festival Lumière ne date pas d’hier et, surtout, ne se réduit pas à un quiz. L’année 2012, date à laquelle ce partenariat s’est noué, semble être la préhistoire d’un monde cinématographique en constante mutation. Nul ne pouvait alors imaginer que Netflix, Disney+ et tant d’autres géants du streaming allaient priver Canal+ – qui détient OCS à 33,33% – de sa prééminence sur le cinéma français et bouleverser les relations que la chaîne cryptée maintenait avec ces grands événements. Face à une telle concurrence, OCS, anciennement Orange Cinéma Séries, n’a pas tardé à riposter : une logique de partenariats avec les grands rendez-vous cinématographiques est rapidement développée. Notamment avec ceux concernant le cinéma de patrimoine… comme le festival Lumière. 

« C’est surprenant qu’un acteur actif du marché soutienne une opération de patrimoine dans la mesure où le patrimoine cinématographique s’est constitué complètement en dehors du marché, je dirais même contre le marché », note Natacha Laurent, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Toulouse Jean-Jaurès. 

Télévision, chaînes payantes, vidéo à la demande par abonnement (VàDA), plateforme de streaming… Dans un marché où l’offre se renouvelle sans cesse et surtout, où à la demande est imprévisible, OCS a toujours su tirer son épingle du jeu. Au même titre que Canal+, la plateforme n’est pas soumise aux règles de la chronologie des médias : des films récents, voire très récents, datant de moins de 8 mois après leur sortie en salle, y sont proposés. 

Lancé en 2008, ce bouquet de quatre chaînes payantes a rapidement gagné en notoriété auprès du grand public (3 millions d’abonnés) grâce à un contrat avec la très puissante Home Box Office (HBO) lui permettant de disposer d’un catalogue fortement concurrentiel (abonnement à partir de 10,99 euros par mois contre 7 euros en moyenne pour une place au cinéma). Si bien qu’en mars 2020, sur fond de boom du streaming induit par le confinement, Prime Video d’Amazon a même intégré le catalogue OCS à son offre contre 12,99 euros supplémentaires. HBO veut désormais se lancer dans la course du streaming et entend récupérer son catalogue d’OCS en vue d’un déploiement progressif dans l’Hexagone à l’horizon 2024. Cela devrait priver OCS, entre autres, des huit saisons de Game of Thrones, plus grand succès de l’ancienne chaîne câblée américaine avec 2,2 milliards de dollars de recettes.

« Promouvoir Avatar, plus simple que de promouvoir un film français perdu de 1913 »

OCS contribue à la restauration des films de patrimoine définis par le CNC comme ceux dont la première date de sortie en salles est antérieure à vingt ans. « Et promouvoir Avatar, c’est beaucoup plus simple que de promouvoir un film français perdu de 1913 qui pourtant fait tout autant partie du patrimoine et a tout autant besoin d’être soutenu », relève Natacha Laurent, spécialiste de la patrimonialisation du cinéma. 

Ainsi, aucun des neuf films de patrimoine restaurés par OCS dans le cadre de ce partenariat ne date d’avant 1950. Autre grand absent : le cinéma muet, qui « a même inventé le langage cinématographique », insiste la spécialiste. Elle reconnaît toutefois la complexité liée à la commercialisation de ce type de films. 

Pas un hasard, OCS figure dans la liste des « grands partenaires » du festival Lumière qui, en retour, a signé une clause de non-concurrence lui interdisant de s’associer à d’autres plateformes. Une position hégémonique qui lui octroie des droits de diffusion sur les œuvres restaurées.

La Festivalmania d’OCS

C’est un partenariat marchand et symbolique à la fois car il est évident qu’en nouant un partenariat avec le festival Lumière, OCS travaille son image bien évidemment, et se construit une image de cinéphilie et de légitimation intellectuelle et artistique.

Natacha Laurent, spécialiste de la patrimonialisation du cinéma. 

Festival du Film d’animation d’Annecy, festival du Film américain de Deauville, festival du Film de Comédie de l’Alpe d’Huez… Ce type de partenariat, OCS en a fait un mantra. Des rapports privilégiés avec le monde du cinéma qui lui offrent un rajeunissement d’audience et une certaine légitimité. Pour Natacha Laurent, c’est un « partenariat marchand et symbolique à la fois car il est évident qu’en nouant un partenariat avec le Festival Lumière, OCS travaille son image bien évidemment, et se construit une image de cinéphilie et de légitimation intellectuelle et artistique. »

Deux documentaires inédits sur le cinéma, Europe Maudits Metropolis et Juste une mise au point : Etienne Chatiliez sont « soutenus » par OCS en vue de leur projection au festival cette année.

Les films de patrimoine se regardent en streaming  

D’après les chiffres du CNC, les films de patrimoine, sortis il y a dix à vingt ans, représentent 35,4% des films visionnés sur les plateformes de streaming, contre 19,4% des films visionnés au cinéma. Quelque chose que OCS ne prend pas à la légère. « Paradoxal, mais aussi logique par rapport à l’évolution des pratiques spectatorielles », temporise la spécialiste Nathalie Laurent.

Dans le village du Festival Lumière, un espace dédié « à la découverte de OCS » a été installé pour promouvoir la plateforme et séduire de nouveaux abonnés. Le 16 octobre 2022, ©Mahmoud Naffakh 

Une manière donc de satisfaire les besoins d’un public plus âgé comptant pour un tiers du chiffre total d’abonnements. « On voit que c’est important de garder une chaîne [OCS Géants, NDLR] avec une identité marquée, pour un public un peu plus âgé, un tiers de nos abonnés, qui regarde encore la télévision linéaire », confie le directeur d’OCS Guillaume Jouhet dans un entretien mis en avant dans la programmation du festival l’an dernier.

Même Netflix (10 millions d’abonnements en France, 220 millions à travers le monde) a compris le potentiel de ce type de partenariats. La plateforme s’en est saisie dès 2020 en signant un accord avec la société de production MK2 qui lui permet de mettre en ligne des œuvres cinématographiques françaises, telles que celles de François Truffaut, Alain Resnais, David Lynch, Jacques Demy ou encore Jean Luc Godard. 

Le festival Lumière assume 

Quelles sont les contreparties pour les festivals dans tout ça ? C’est le mode de diffusion des plateformes qui les intéresse, car il permet de toucher un public plus jeune qui semble délaisser les films de patrimoine à la faveur des séries. Les festivals misent également sur ces plateformes pour maximiser la visibilité de certaines œuvres cinématographiques à l’international. « Tout n’est donc pas à bannir parce que c’est un fait aujourd’hui que les plateformes s’imposent. Je pense que les nier complètement et les rejeter complètement, c’est hyper dangereux pour les festivals », soutient Cécile Krys, spécialiste des festivals de cinéma.

OCS accorde des contributions financières au festival Lumière sous forme de « campagnes d’affichage et de communication menées en commun », convient Alexine Maimon Vidal, responsable des partenariats et du mécénat du côté de l’institut Lumière, l’instance culturelle qui organise le festival. « Le festival Lumière assume et promeut la possibilité d’une entente entre le marché et le monde du patrimoine, comme la création d’un marché international du film classique », explique Stéphanie Emmanuelle-Louis, historienne et spécialiste des pratiques de valorisation du patrimoine cinématographique. 

L’institut Lumière laisse la porte grande ouverte pour d’éventuelles collaborations avec les géants du streaming. « On a une vraie croyance en une collaboration avec les plateformes qui financent aujourd’hui une bonne partie du cinéma. On travaille main dans la main avec les plateformes plutôt que de travailler pour des plateformes », assume Alexine Maimon Vidal.