« Confluences » (2/6). L’Écornifleur révèle la richesse de personnalités lyonnaises qui ont émergé à la rencontre des idées, des arts et des destins. Chorégraphe et danseur de danse hip-hop et de danse contemporaine, fondateur de la compagnie Käfig, ancien directeur du Centre Chorégraphique National de Créteil et du Val-de-Marne, créateur du Pôle Pik à Bron, Mourad Merzouki est une figure emblématique du monde de la danse en France.
Attablé au comptoir de la bourse, le chorégraphe Mourad Merzouki casquette vissée sur le front explique avec tranquillité : « Ce qui m’anime c’est de bousculer les codes. Mes spectacles sont à la croisée des arts. Je mélange le cirque, la danse hip-hop, les nouvelles technologies, le théâtre, la danse contemporaine, j’adore faire des croisements. » Dans le café qu’il a choisi, le rouge velours est omniprésent. Les murs, les rideaux et le mobilier, tout évoque l’éclairage chaleureux des salles de spectacle qui invite à découvrir un monde où le rêve et la créativité s’accomplissent. Coïncidence ou pur hasard ?
Une enfance aux rythmes du sport et de l’art
À l’âge de 7 ans, le jeune Mourad Merzouki débute le karaté. Son père l’inscrit pour qu’il apprenne à se défendre. Quelque temps plus tard, l’école d’arts martiaux se transforme en école de cirque. Le passage du tatami aux planches en bois se clôture par un rendez-vous tant attendu : le gala de fin d’année. Encouragé par les applaudissements du public le jeune San-Priod prend goût à la scène. « J’avais l’impression qu’on nous reconnaissait pour ce que l’on était : des artistes. À ce moment-là, on ne nous stigmatisait pas comme étant des gamins de quartier. »
Marqué par le sentiment d’être exclu de la société, c’est dans sa jeunesse que Mourad Merzouki trouve « une échappatoire » dans la danse hip-hop. En revenant sur les années 80, le danseur, âgé de 50 ans, se remémore une des émissions télévisuelles les plus populaires de l’époque qui a démocratisé la culture hip-hop, du nom H.I.P H.O.P. « Tout le monde voulait faire du hip-hop, on descendait en bas de la tour et on reproduisait ce qu’on voyait à la télévision », raconte-il en mimant la gestuelle de la vague. Avant d’ajouter : « c’était génial ! »
De la danse hip-hop au théâtre
C’est à travers l’art de rue que Mourad Merzouki va entrer pour la première fois à l’âge de 20 ans dans un théâtre. Accompagné de son groupe Accrorap composé de Katter Attou, Eric Mezino et Chaouki Saïd, le jeune danseur et ses amis participent à la foire de Saint-Priest en performant sur le parvis de l’ancienne Maison du peuple. « À l’époque, tu faisais un flip tu étais le maître du monde », lance-t-il. Encensés par la foule, ils se font remarquer par le directeur du théâtre qui les invitent à venir s’entraîner au sein du lieu.
Il n’a plus jamais quitté la scène. Au contact de cet univers qui n’est pas le sien, il veut apprendre. « J’avais tellement d’émotions à rattraper. Je ne connaissais ni la musique classique, ni le théâtre, et je n’avais jamais vu de spectacle de danse contemporaine. » Insatiable, il découvre la danse contemporaine en faisant une « précieuse » rencontre avec la chorégraphe Maryse Delente. Comprenant l’intérêt de s’informer auprès des institutions il se documente jusqu’en 1996 où il forme sa propre compagnie du nom de Käfig, qui signifie « la cage » en arabe et en allemand.
« Je fais ce métier pour rapprocher les gens »
Le chorégraphe a accompli son rêve « celui de faire des spectacles et des créations ». Avec 32 pièces chorégraphiques à son actif, la figure du mouvement hip-hop lyonnais continue de développer sa vision artistique avec la réalisation de sa dernière œuvre Beauséjour, actuellement en tournée. Sur scène, ce sont 15 danseurs qui questionnent les corps vieillissants et le temps qui passe en partageant l’espace, sur fond de musique électro et tango.
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En 2023, après treize années à la direction du Centre Chorégraphique National de Créteil et du Val-de-Marne, le danseur réinstalle sa compagnie à Bron et Saint-Priest pour s’ancrer à nouveau dans un territoire qui l’a vu grandir : « Je voulais apprendre le monde, découvrir et voyager. Mais j’ai toujours voulu conserver précieusement ce lien avec ceux qui m’ont vu grandir. »
Mourad Merzouki détaille son processus artistique à travers sa métaphore de l’éponge, qu’on presse et qui se remplit de nouveau : celui de se nourrir sans cesse de ses rencontres pour offrir une « danse généreuse, celle qui prend l’espace, une danse qui rapproche les gens. »