Au début du mois de mars, les journalistes de l’Ecornifleur sont partis en immersion dans des univers associatifs et professionnels très divers. Dans cet épisode, plongez avec Romane dans le monde des maraîchers.
Entre les salades et les choux de variétés anciennes, L’Ecornifleur a rencontré Vincent Galliot, maraîcher bio, sur son exploitation de Collonges-au-mont-d’or, au nord de Lyon. Alors que l’épidémie de COVID-19 questionne nos systèmes politiques et économiques, rencontre avec l’un de ceux qui agissent pour le futur.
« Je suis à moins de vingt minutes de la place Bellecour : je suis le maraîcher bio le plus proche de Lyon ! » annonce Vincent Galliot. Il est bientôt 9 heures du matin sur les hauteurs de Collonges-au-mont-d’Or, au nord de Lyon, il arrête son Kangoo bleu turquoise, les pneus tachés de terre, devant le panneau annonçant « Le champ des saveurs ». Il lui faut quinze minutes tout juste pour se rendre sur son exploitation, depuis son appartement de Caluire.
Le ciel est calme, le village de Paul Bocuse aussi. « Vas-y monte ! », s’exclame le maraîcher avec un signe de la main, dans un tutoiement amical – comme il le fait avec tous ses visiteurs. Au pied du siège avant, des journaux jonchent le sol, et l’on entend des notes de rock en fond sonore. Quelques mètres plus loin, un espace couvert, des cagettes entassées, il se gare devant ce qu’il appelle « son espace de vente ». Des bottes de pailles font office de tables et chaises.
Un néo-rural passionné de biodiversité
« Je suis là depuis janvier 2017, le premier arrivé sur le plateau », détaille Vincent. Il s’implante sur des friches agricoles : « une exploitation de céréales s’était arrêtée au début des années 2000, et il y a avait eu un producteur de légumes, qui étaient vendus en demi-gros ». Vincent, lui, ne vend quasiment qu’au détail : le lundi et le jeudi, à la ferme, le mardi, il livre à quelques clients à la sortie de la station de métro lyonnais « Cuire », le mercredi à l’AMAP (Association de Maintien de l’Agriculture Paysanne, ndlr). Le samedi, il vend ses légumes au très renommé restaurateur étoilé Christian Têtedoie. Un partenariat qui témoigne de la qualité de sa production, presque entièrement faite de variétés anciennes.
Chaque matin, il ouvre les serres, déjà abîmées par le vent, et vérifie que tout est en ordre sous les arceaux d’acier. À côté, il a fait creuser une mare « pour la biodiversité ». En en faisant le tour, Vincent s’exclame : « On a des tritons. Ah tiens là, c’est une larve de libellule ». « En plein été, des libellules, j’en ai de toutes les couleurs : des bleues, des roses, des jaunes, des vertes et des rouges, c’est magnifique. » Il est coupé par un vieux monsieur qui le salue depuis l’entrée de l’exploitation. C’est le propriétaire d’une partie du terrain : « j’ai un gars qui est en train de broyer du copeau, je voulais savoir où il pouvait le mettre. Il arrive dans la matinée », annonce-t-il d’une voix forte, légèrement tremblante.
Les serres de Vincent jouxtent la mare. Devant le cabanon, les semis pour le CRBA poussent. Collonges-au-mont-d’or, 04/03/2020 © Romane Sauvage.
Vincent approche de la cinquantaine, a deux enfants adultes et seize ans de carrière d’informaticien. Il explique qu’au lendemain d’un licenciement, il décide de ne plus dépendre d’un patron et de « trouver quelque chose qui a du sens ». Et retourne à une passion qu’il n’avait jamais osé concrétiser : celle du travail de la terre.
Sa motivation lui permet de faire quarante à quarante-cinq heures à la semaine en hiver, un peu moins du double en été. « En moyenne, je fais soixante-quatre heures par semaine. C’est assez commun en agriculture », assure-t-il. « J’essaie d’être rentré à 19h, toute l’année ». Pour l’aider dans ses tâches, il embauche un saisonnier, six mois par an.
Ne pas être logé à côté de l’exploitation, « cela permet de dire : je coupe. C’est quelque chose qui est conseillé : il faut se protéger aussi. De ne pas être à cent à l’heure, de garder une vie familiale. Ne pas vivre à 100% pour sa ferme. »
Trouver du terrain et produire assez de légumes
Sur l’exploitation voisine, se trouvent Valentine, pépiniériste, et ses cochons : « ce sont des Kune-kune, précise-t-elle d’une voix joyeuse, une race néo-zélandaise. La femelle allaite encore ». Au loin, Renaud, un autre maraîcher avec qui Vincent partage les terrains, passe sur un petit tracteur rouge. En s’éloignant, le maraîcher commente : « ça demande de la coordination, le partage du tracteur et des terrains. Pour l’instant, il y a un propriétaire et on prête. On mutualise en fonction du temps d’utilisation ».
Selon Vincent, partager le terrain avec d’autres maraîchers n’est pas un souci : « notre plus gros problème c’est de produire, pas de vendre. La demande est là donc allons-y, on fait ce qui nous fait plaisir ». Ce manque de production, notre agriculteur doit le palier par l’achat de quelques légumes à une coopérative d’agriculteurs bio, Bio a Pro, même s’il le fait de moins en moins.
Les serres, un peu abîmées par le vent. Elles peuvent s’ouvrir entièrement pour aérer les plants : cela permet à Vincent de lutter contre les maladies. Collonges-au-mont-d’or, 04/03/2020 © Romane Sauvage
Derrière un cabanon, les plans de salade, de choux et les serres. Plus loin, des collines plantées d’arbres, d’antennes et d’immeubles. La question du foncier est aussi centrale : sur les presque deux hectares, quatre exploitants. « Renaud était mon saisonnier, avant. Il m’avait dit : « j’aimerais bien trouver du terrain avant que ce soit plus possible », alors on s’est arrangés ». Lui, avait obtenu ces terrains proches de Lyon grâce au syndicat mixte des plaines du Mont-D’or. « Il m’a accompagné pour convaincre les propriétaires. C’était en friche, les proprios les gardaient en espérant qu’ils deviennent constructibles ».
Les trois autres maraîchers qui partagent les terrains avec Vincent sont tous en production certifiée bio. Mais il y a aussi cet agriculteur qui plante son blé sur une portion centrale de terre et qui oblige Vincent à réduire de cinq mètres ses cultures car « il n’est pas en culture bio, lui ». Et d’ajouter : « cette mosaïque de propriétés, ce n’est pas très cohérent, j’aimerais bien avoir ce terrain », en désignant le champ de blé. Plus loin, près d’un sous-bois où des mésanges charbonnières nichent, se trouve le verger d’un ancien, qui passera tondre et tailler dans l’après-midi, et un jardin partagé sous les cerisiers, les abricotiers et les pruniers de Vincent.
Ecologie avant tout
Vincent évite le plus possible les intrants, c’est à dire les produits extérieurs apportés aux cultures. Même la protection des sols avec du plastique : « je laisse pousser. J’ai un couvert végétal ». Seul élément étranger, des fleurs de nénuphars en plastique, dans la mare : « c’est ma maman qui me les a offertes, je n’ai pas le choix », commente-t-il en rigolant.
En allant se changer pour commencer à récolter pour l’AMAP, Vincent sort de sa poche un petit papier précautionneusement plié. Il prend le temps de détailler le nombre de légumes cueillis, leurs prix, leurs quantités. Je comprendrai un peu plus tard que ce souci du détail n’est pas simple maniaquerie : nombreux sont les « amapiens » qui ont pu lui reprocher des prix trop élevés pour la taille d’un panier. « Puisqu’ils payent en avance et qu’il n’y a aucun prix d’affiché lorsqu’ils viennent récupérer leurs paniers, pour les clients, il y a toujours ce doute de, “ah là je me fais avoir” … ». En ce début de mars, les légumes sont verts : chou, mâche, persil, poireau… En tout, il doit fournir une trentaine de paniers. « Ce sont les vacances scolaires, d’habitude j’ai un peu plus de monde ».
« En tant que consommateur, ce n’était pas possible d’avoir la certitude de consommer des produits et sains et respectueux de l’environnement. Beaucoup d’exploitations en bio sont en intensif. Ils se fichent de l’environnement », explique Vincent, pour justifier sa reconversion professionnelle. Une réflexion qui passe par l’abandon des variétés hybrides, non fécondes, achetées à de grands semenciers comme Monsanto : « pour moi on est dans une impasse en utilisant ces variétés-là, on est pieds et poings liés avec ces grosses entreprises ».
Un plan de poireaux (violets!) de variété ancienne est testé par Vincent en lien avec le CRBA. Peu arrosés, il s’agit aussi de « voir la résistance de ces espèces au réchauffement climatique ». Collonges-au-mont-d’or, 04/03/2020 © Romane Sauvage
Les variétés anciennes sont le fruit d’une sélection massale des agriculteurs au fil des siècles, raconte Vincent en récoltant de la mâche. Il les mime, en observant ses légumes : « oh cette salade est super ». « Ce qui est dingue, depuis 100 ans, c’est que l’on a perdu 75% de la biodiversité cultivée. Du coup on est de plus en plus sur des produits standardisés. Ce qui guide la production, c’est la grande distribution. » Cucurbitacées blanches, massue d’Hercule, piment de Bresse… ce sont autant de variétés anciennes que Vincent cultive jour après jour. Et pour aider à la conservation de ces espèces, il participe à la plantation de semis avec le CRBA (Centre de Ressources de Botanique Appliquée).
« Aujourd’hui, je ne me rémunère pas », annonce le maraîcher. En effet, il n’a pas encore passé les trois ans d’installation et l’essentiel de ses revenus servent à investir dans du matériel. Une troisième serre est ainsi prévue. S’il peut disposer d’aides de la PAC (Politique agricole commune, dispositif de l’Union Européenne), et de la métropole lyonnaise, pour lui, son travail est « presque militant ». Il confirme avoir un besoin de confort minimal, il expliquera plus tard être inquiet au sujet de la réforme des retraites. Ce ne seront plus les quinze meilleures années de sa vie qui seront comptabilisées, celles qu’il a effectuées en tant d’informaticien, mais aussi les dernières, celles qu’il effectue en tant que maraîcher.
Candidat écologiste et maraîcher engagé
Il est dix heures passées quand, au loin, on entend des portières de voiture claquer et des enfants crier : « où sont les grenouilles ? ». Ce sont deux amapiens et leurs enfants qui viennent voir les cochons de Valentine. Une joyeuse ambiance se répand dans l’exploitation et, en quittant Valentine, car elle a « du boulot », l’un des visiteurs lance en riant : « du boulot ou du cognassier ? ». À peine les cinq citadins quittés pour continuer la récolte qu’un autre homme arrive, tout sourire. « C’est Thierry, ancien vigneron en biodynamie : il fait partie du jardin partagé et m’aide à tester des semences pour le conservatoire de variétés anciennes ».
Les amapiens et l’un des Kune-kune. Valentine les vend comme animaux de compagnie. Collonges-au-mont-d’or, 04/03/2020 © Romane Sauvage
A onze heures, Vincent commence à s’inquiéter de la lenteur de sa matinée, à force de visiteurs. Il se met à rincer les salades dans une vieille baignoire blanche. Thierry s’en va, en prenant des nouvelles de ses plantations : « Ça y’est ça démarre ? ». « Ah oui ça démarre, et les chardons aussi, malheureusement », répond-t il, en jetant un regard vers quelques mauvaises herbes.
En fumant une cigarette, vers midi, bottes noires, pantalon beige et polaire grise à rayures, Vincent détaille ses engagements. Il annonce être candidat à Caluire, sur la liste écologiste. Pour tous, dit-il, l’écologie est le sujet central de ces élections : « Il faut juste voir vers quoi on veut aller, quel modèle nous permettra de survivre, car c’est bien de cela qu’on parle maintenant ». Pourtant, concernant les promesses de plusieurs partis d’un 100% bio dans les cantines, il parle d’une situation « illusoire ».
Le Kangoo bleu prêt à partir pour l’AMAP. Départ vers 17h. Collonges-au-mont-d’or, 04/03/2020 © Romane Sauvage
Après un trajet le long de la Saône, le coffre rempli de légumes, Vincent installe de grandes tables à l’Ecole de l’oratoire, à Caluire. Il est 18h15 et un boulanger arrive sous le préau : il donne un coup de main pour sortir les légumes du coffre. « Astreinte ce soir ! », s’exclame l’un des amapiens, chapeau et lunettes, dock jaune et écharpe bleue, en se positionnant derrière la balance.
Vincent sous le préau de l’école, prêt à donner les paniers de légumes. Une ardoise permet aux amapiens de composer leur panier. Collonges-au-mont-d’or, 04/03/2020 © Romane Sauvage
À 19h, ils sont une quinzaine à se servir. Et chacun a son commentaire à faire : « C’est la saison verte ! », « nous, les tomates, on les évite hors saison. Bon j’avoue l’autre fois on en a pris une pour mettre dans les hamburgers », « la mâche je trouve dommage de la mélanger ! », « ah, des panais et du céleri. Illan, le céleri, il n’aime pas ça ». Tous s’en vont dans un amical : « Salut Vincent ! ». Un seul homme, en costume, laisse une partie de ses légumes. Il n’«aime pas le chou ».
Par Romane Sauvage