Un match de basket entre l’équipe de Chandieu et celle d’Espérance Sainte-Blandine Lyon (ESB), au gymnase Louis Chanfray, donne l’occasion de s’interroger sur le caractère agressif du sport.

Echauffement des deux équipes au rythme d’un rap énergique

« Started from the bottom now we’re here. Started from the bottom now my whole team fucking here », les paroles de la chanson du rappeur canadien Drake résonnent dans la salle. Il y fait l’éloge de la volonté et de la réussite, des valeurs souvent mises en avant dans le sport. La hauteur du plafond du gymnase amplifie l’écho de la musique. Les joueurs des deux équipes s’échauffent avant le début du match. Aux basses régulières de la musique se superposent les dribbles des jeunes basketteurs, dans un brouhaha énergique.

Pour ce match, le comité olympique de Chandieu, une commune de l’est lyonnais, s’est déplacé jusqu’au gymnase Louis Chanfray, dans le 2ème arrondissement de Lyon. Les visiteurs sont affublés d’un maillot vert sapin, agrémenté de lignes blanches. Ils affrontent Espérance Sainte-Blandine Basket, l’association de basket du 2ème arrondissement de Lyon. Les locaux sont vêtus d’un maillot noir. Les deux équipes arborent sur leur maillot le logo de leur association, leur numéro et leur surnom.

Chaque joueur de Chandieu s’entraîne à mettre un panier. Leurs trois ballons triplent le nombre de percussions contre le sol. Toutes les musiques passées sont du registre du rap et insufflent une vague d’énergie à ceux qui l’entendent. Cela est autant dû au rythme rapide et marqué des musiques qu’à la signification de leurs paroles.

Quelques personnes entrent progressivement, dans la salle. Ils viennent par petits groupes, entre amis ou en famille, pour soutenir un proche. Ils s’installent sur les gradins, là où ils auront une meilleure vue sur le jeu. Soudain, l’arbitre siffle et la musique s’arrête presque aussitôt. Les deux équipes s’assoient sur des bancs de part et d’autre du terrain. Elles se regroupent ensuite en cercle pour écouter les derniers conseils des coachs. Les joueurs mettent leurs mains au milieu et lèvent celles-ci, après avoir fait leur cri de guerre. Ainsi, les Verts de Chandieu appellent à l’unité : « 1,2,3 ensemble ! ».

Les joueurs se saluent. Chacun tape dans la main de celui qu’il va affronter, en signe de fair-play. Puis, tout le monde se range comme si chacun savait où était sa place. L’arbitre se dresse au milieu et lance le ballon de basket. Le ton est donné. Il est 17h45 et le match commence.  

Couinement des baskets sur le sol, coups de sifflet de l’arbitre, bruit du ballon qui tape le sol puis qui s’écrase sur le panier, applaudissements du public : j’ignore si mon ouïe va finir par s’accommoder à cette superposition de bruits. Tout cela contribue à l’instauration d’une ambiance qui motive, qui excite et qui énerve, à la fois.

Il y a beaucoup de solidarité et surtout du respect envers nos adversaires

Le basket: un esprit d’équipe?

Boubakeur Cheh Ibi est le gardien du gymnase. Il est celui qui connaît le mieux les secrets de l’établissement et de ceux qui l’occupent. « Ici, on ne pratique que des sports collectifs dont le basket, le foot, le handball ou le volley » explique-t-il. Il met en lumière un aspect souvent mis en avant pour départager les sports collectifs des sports individuels : « moi c’est clair que je préfère les sports collectifs… C’est un groupe. On est uni. On partage les mêmes valeurs ».

Alexandre, un des joueurs de l’équipe de Chandieu évoque le fair-play dans le basket : « Il peut y avoir des conflits c’est sûr mais en général, ça se passe bien. Il y a beaucoup de solidarité et surtout du respect envers nos adversaires. Si on peut gagner, on est contents mais c’est aussi pour s’amuser ».

Cet esprit collectif inhérent au basket est parfois questionné quand un des joueurs tente de s’accaparer la lumière, au détriment du jeu. Résultat : ce dernier, hésitant à passer la balle à ses coéquipiers, se voit voler celle-ci par un adversaire. Une mère improvisée coach s’exclame : « on fait tourner les Verts ! On fait tourner cette balle ! ».

 C’est un match un peu tendu. Ce n’est pas du basket propre mais bon… 

Entre violence physique et violence symbolique

Plus le match avance, plus la violence émerge, dans toutes ses formes.

Ainsi, plusieurs joueurs, effleurés par un adversaire, tombent à terre. C’est parfois compliqué de savoir s’ils ne surjouent pas leur douleur. Un d’entre eux, tombé sur son doigt, semble en souffrir. Il se fait remplacer par un coéquipier, s’en va dans les vestiaires, puis revient quelques minutes plus tard, avec un bandage.

La violence est également présente dans le langage. Quelques injures sont lâchées spontanément, lors d’actes manqués. Une mère, particulièrement impliquée dans le match, se laisse aller à commenter le jeu. Elle multiplie les réflexions adressées à son fils qui joue sur le terrain. Ainsi, à plusieurs reprises, celle-ci lui donne des injonctions sur sa manière de jouer : « les bras Hugo ! Ne perds pas la balle ! Les bras, ça sert les bras ! », « On bouge les verts, on va aller la chercher cette balle ».

A la mi-temps, les coachs en profitent, pour remotiver les troupes. Un des coachs, énervé, semble crier sur ses joueurs. Une sonnerie stridente appelle alors à la reprise.

Le match reprend. Les corps se collent. Peut-être un peu trop car, au cours d’une action mouvementée, le n°11 de l’ESB interpelle l’arbitre. Il s’offusque du mouvement d’un adversaire. Ce n’est pas la première fois qu’il se fait remarquer. A plusieurs reprises lors du match, ce dernier ne semble pas jouer fair-play, et est constamment sur les nerfs.  « Mike, tais-toi », un de ses coéquipiers tente de le calmer, afin qu’il ne se fasse pas exclure par l’arbitre. Une des mères présentes va d’ailleurs appeler au calme : « monsieur l’arbitre, on calme les esprits là ! Ils sont chauds ». « C’est un match un peu tendu. Ce n’est pas du basket propre mais bon… » explique le coach de Chandieu à un supporter.

Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, ils s’amusent à dégrader les vestiaires

Le gardien du gymnase relativise la violence de ce match de basket avec la ferveur des matchs de football. « Non là ce n’est rien. Faut voir les matchs de foot, là c’est plus intéressant et il y a plus de monde. On a déjà eu des conflits avec le foot. C’est aussi pour cette raison qu’on accueille plus le Footzik. On a déjà eu des bagarres l’année dernière » précise-t-il en rigolant.

La violence lors des matchs de football s’exprimerait plus physiquement, que ce soit entre supporters ou sur le matériel et les locaux. Ainsi, Boubakeur Cheh Ibi raconte que les équipements en pâtissent.  « Quand il y a du foot, on doit mettre des chaînes sur les premiers gradins, qui ne peuvent être utilisés, afin d’éviter tout débordement. Par exemple, les vestiaires sont abîmés, aujourd’hui, à cause des supporters. Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, ils s’amusent à dégrader les vestiaires, à écrire sur les murs, à casser les installations ! »

Fin du match. L’équipe de Chandieu, en visite à Lyon, sort gagnante. La bande laisse échapper un dernier cri de victoire : « who let the dogs out ? ». Face à la meute victorieuse, le joueur révolté n°11 de l’ESB Lyon quitte le terrain de jeu, en traînant son sac de sport avec son pied, sur le sol en Taraflex. Va-t-il, à son tour, exprimer son « fair-play » sur les murs du vestiaire ?

Maëva LES BIENS