À la rencontre des Français (5/10) : À moins d’un mois de l’élection présidentielle 2022, les dix journalistes de la rédaction de l’Écornifleur sont partis en reportage à la rencontre des Français pour sonder leurs attentes : entre espoirs et désillusions.
Dans le petit lavomatique du bout de la Grande rue de la Guillotière, des Lyonnais de tous horizons pestent entre deux lessives contre les machines jamais réparées et contre les politiques de tous bords.
3,90€ la machine de 8kg, 6,50€ les grosses machines de 13kg que personne n’utilise, 1€ pour les quatre séchoirs empilés au fond de la minuscule laverie, dont deux hors-service sur lesquels sont inscrits « Merci de ne pas utiliser ce séchoir. Cdlt la direction ».
Il est 20 heures 30 en ce mardi de fin janvier, la laverie du 200 Grande rue de la Guillotière – de loin la moins bien notée du quartier sur Google – va bientôt fermer. Un homme entre. Il vérifie autour de lui qu’on ne le regarde pas, puis ramasse un par un tous les reçus laissés par les autres clients du lavomatiques. « Personne ne les répare ces machines ! », s’exaspère une dame venue chercher son linge. L’homme acquiesce, et une discussion s’engage sur les meilleurs lavomatiques du quartier, puis dévie sur la meilleure façon de nettoyer les radiateurs.
L’homme, la cinquantaine grisonnante, tousse beaucoup et n’a pas son masque. Il demande de l’aide autour de lui parce qu’il n’arrive pas à ouvrir le SMS avec le résultat d’un test fait en pharmacie. Un message rouge apparait. Il est positif. Il essaie de rassurer : le test aurait été fait il y a plusieurs semaines et personne n’aurait plus rien à craindre.
“Les Verts, ils sont mignons…”
Si les clients parlent facilement de leurs petits tracas du quotidien, ils sont moins loquaces au sujet de la prochaine élection. « J’entends parler d’Éric Zemmour et d’Emmanuel Macron. Mais je n’écoute pas les infos. Que le meilleur gagne… », glisse un jeune homme en sweat et claquettes, avec les orteils qui dépassent de chaussettes trouées. « La politique ça ne m’intéresse pas. Dans ma religion on ne vote pas : je suis témoin de Jéhovah », explique-t-il gêné.
Une jeune femme finit de sécher son linge dans un des deux tambours encore en état de marche. Étudiante en Sciences Politiques à l’école des Hautes Etudes Internationales et Politiques, tous les partis ont défilé dans son établissement « il y avait même les animalistes », dit l’habituée de la laverie en riant. Pourtant, elle se présente comme « dépolitisée ». Même la cause environnementale, qui mobilise largement dans sa tranche d’âge, ne la mobilise pas : « ça ne m’intéresse pas forcément l’état de la planète. Le sujet écologique est très important mais bon Les Verts, ils sont mignons… ».
La jeune fille part et la petite laverie redevient muette. Deux cannettes de coca vides se font face et narguent le panneau « interdit de se restaurer » juste à côté. Des moutons de poussière jonchent le carrelage gris souris. Des clous à moitié enfoncés sortent du plafond en contreplaqué. Aucun des projecteurs ne marchent, seulement un néon sur trois illuminent encore la pièce.
“Les pires et les moins pires”
« Macron ne me convient pas. Je ne vote pas pour les banquiers ! », s’énerve un quarantenaire au fort accent américain qui vient d’arriver. « Tout se monnaye, tout doit être rentable, calculé », dénonce-t-il en rangeant ses habits dans un sac de randonnée XXL vert fluo avant de repartir.
« Je n’entends parler que de Macron, Zemmour et Le Pen. C’était pareil en Tunisie, il y avait les pires et les moins pires », devise Amani, une jeune Tunisienne en France depuis cinq mois pour effectuer un stage en génie mécanique. « En Tunisie, j’ai voté blanc, au moins ce sera dans les statistiques. On devrait aussi compter les votes blancs en France. On ne devrait pas être forcé de voter utile », complète la jeune femme de 25 ans.
« Putain, tout-le-temps ! Il y a tout le temps 4-5 machines qui sont cassées ! », grogne Sami en rentrant dans la laverie après avoir éteint sa cigarette. Quand on l’amène sur le terrain de la politique, le jeune commercial qui vient en dépannage car il a cassé sa machine à laver s’anime : « Il faudrait travailler plus. Bien sûr que j’ai des potes qui voudraient travailler plus ! Je pense que je voterai Macron… j’hésite entre lui et Mélenchon, qui est rassembleur. Quand les élections arrivent, ce qui m’intéresse c’est mon niveau fiscal », explique-t-il en sortant de son sac de linge des tomates, de la burrata, un cordon bleu, une baguette et de la terrine de canard.
Chawki, qui écoute déjà le jeune homme d’une oreille depuis un moment, interrompt : « Moi je vote, mais les gens sont tellement dans la merde ! Quelqu’un qui gagne 1200 à l’usine, on lui ferme les portes des banques. Tu parles de Macron, mais c’est le président des riches ! ».
« Au moins les enfants d’immigrés de deuxième et de troisième génération comme nous, Macron ne tape pas dessus », rétorque Sami. « Oui, mais quand tu voyais Chirac à l’étranger, à la télé, c’était quelque chose. Macron, c’est pas ça. Peut-être quand je gagnerai 5000 euros par mois… », répond Chawki avant de sortir du lavomatique sous l’œil des petites diodes des deux caméras de surveillance, qui, elles, fonctionnent toujours parfaitement.
Et pour la présidentielle 2022 ? Chawki : « Moi je vais voter mais je ne sais pas encore pour qui. Macron c’est le président des riches. Hidalgo, on a vu ce qu’elle a fait à Paris. Et les Verts depuis qu’ils ont été élus à Lyon… Je pourrais même voter Marine Le Pen, elle ne pourrait rien me faire, je suis né ici ». Sami : « Je pense que je voterai Macron… j’hésite entre lui et Mélenchon, qui est rassembleur. Quand les élections arrivent, ce qui m’intéresse c’est mon niveau fiscal. En vrai, je ne connais pas très bien le programme de Mélenchon. Je voterai sûrement Macron ». Amani : « Je n’entends parler que de Macron, Zemmour et Le Pen. Je ne peux pas encore voter en France. En Tunisie, j’ai voté blanc, au moins ce sera dans les statistiques. On devrait aussi compter les votes blancs en France ». |