À la rencontre des Français (4/10) : À moins d’un mois de l’élection présidentielle 2022, les dix journalistes de la rédaction de l’Écornifleur sont partis en reportage à la rencontre des Français pour sonder leurs attentes : entre espoirs et désillusions.

Le Café des avenues, à l’intersection de deux artères majeures du 7ème arrondissement de Lyon, est un lieu de rencontre et de réconfort pour les habitants du quartier. L’Écornifleur a prêté l’oreille aux échanges entre Christian et sa clientèle ; entre ras le bol de la crise sanitaire et lassitude de la classe politique. 

Le rayon presse vide du Café des avenues. Lyon 7ème, vendredi 28 janvier 2022. © Camille Gaborieau

Deux hommes aux vêtements couverts de plâtre débarquent dans le café et réclament une pinte de blonde. L’horloge au logo Guinness affiche presque 15 heures. « J’ai pas de bière pression avec ce qu’on vit en ce moment, sinon on balance tout ! », rétorque Christian, le gérant de l’établissement. L’entrée en vigueur du “pass sanitaire” obligatoire a dissuadé de nombreux clients de venir consommer chez lui. Par soucis de rentabilité, il a donc cessé de s’approvisionner en pression jusqu’à nouvel ordre. Le ton amical de ces employés du bâtiment trahit leur habitude. Ils finissent par se rabattre sur des bouteilles de Heinkein. Christian bougonne. « Avec leurs conneries à la con », lance-t-il en inclinant le décapsuleur. Cela fait 31 ans, que ce soixantenaire proche de la retraite tient ce bar-tabac avec Eliane, sa femme. Avant « tout ce bordel », l’établissement se transformait en brasserie le midi pour les travailleurs du quartier. Aujourd’hui, la salle de restauration décorée de tableaux sur toile Times Square est vide. Les tables, dressées, n’ont visiblement pas servi depuis un moment. Face au calme ambiant, pesant même, Christian affiche une lassitude teintée d’agacement : « On fout rien du tout y’a personne. Personne fout rien. »

“Si je me fais contrôle[r]-là, je vais me prendre une amende ?”

Le calme est rompu sporadiquement au gré des fumeurs et adeptes de la Française des jeux. Certains combinent parfois les deux, comme cette habituée venue acheter une grille d’Euromillions et une boîte de Pueblo bleu, et d’ajouter : « Comme les yeux de votre femme ! Je suis tombée amoureuse des yeux de votre femme ». Dans le même temps, une dame à la mine déconfite s’installe à une des nombreuses tables vacantes. Mira habite le quartier depuis plus de 20 ans. Cette auxiliaire de vie encore loin de la retraite a toujours fréquenté le bar de Christian, d’autant plus depuis qu’elle doit affronter le deuil de certains proches. Debout et sans masque pour aller chercher la bière qui l’attend au comptoir, elle interpelle avec sérieux celle qu’elle considère comme sa meilleure amie : « Eliane si je me fais contrôle-là, je vais me prendre une amende ? ».

D’un hors-série de France Dimanche sur la mort de Chirac en 2019 à un magazine de tuning de 2013, en passant par un numéro spécial de L’Obs sur les attentats du 13 novembre, impossible de trouver un titre de presse à jour. Christian ne fait plus la presse. Un choix dû à hauteur des prélèvements qui lui étaient fait chaque mois alors qu’il n’avait pas la capacité de payer. Selon le buraliste, beaucoup de collègues lyonnais ont arrêté. Ces propos ne sont pas sans rappeler le cri d’alarme des marchands de journaux à l’été 2020 qui ne recevaient plus la presse nationale. La difficulté avait été causée par la liquidation des filiales de Presstalis, principal distributeur de presse en France. « Et puis, avant un [Paris] Match c’était 3-4 francs, maintenant c’est 4,50 euros », fait-il remarquer.

“Zemmour c’est un sacré bonhomme !”

Christian est de ceux qui rangent les journalistes d’aujourd’hui dans le même panier que les politiques. Comme 63% des Français selon le baromètre 2021 réalisé par Kantar, il pense que les journalistes ne résistent pas aux pressions politiques. Pour autant, cela ne l’empêche pas d’encenser le candidat à la présidentielle Éric Zemmour qu’il qualifie de « sacré bonhomme ». Il devise : « S’il a un débat avec Macron, putain Macron il va en chier. Je voudrais pas être à sa place », avant de ressusciter ses héros pamphlétaires des années 80. Il évoque notamment la mort suspecte de Jean-Edern Hallier, écrivain particulièrement critique sous la présidence de François Mitterrand. Le sujet semble intéresser un jeune homme venu au départ pour acheter un paquet de Marlboro. « C’est un peu comme Coluche, lui aussi sa mort elle est un peu chelou », ajoute-t-il avant d’engager sans transition la conversation sur Valéry Giscard d’Estaing et ses safaris en Afrique. Après avoir passé en revue de manière partiellement exhaustive les grandes figures politiques de la Vème République, le client se confie sur ses préférences politiques. « Sarko quand il était là, il y avait du travail ! », déclare-t-il avant d’avancer que sous sa présidence, « on était redevenu 3ème ou 4ème mondial »

Devant cet étalage, Mira, qui a eu le temps de descendre une deuxième bière, fait remarquer qu’elle veut bien parler de tout sauf de politique. Elle estime ne pas s’y connaître assez et puis, c’est un sujet délicat. Alors, elle raconte les expériences malheureuses de son entourage avec le Fisc. « La vie est dure aujourd’hui », lui répond Youcef, un routier du Beaujolais qui observe silencieusement la scène depuis une heure. Il est 18h, le bar s’est remplit d’une dizaine de personnes. « Tu vois Christian, y’a du monde », lui lance la quinquagénaire. 

Et pour la présidentielle 2022 ?

Christian : « Zemmour c’est un tout petit bonhomme, mais un sacré bonhomme ! J’aime bien ses points de vue parce qu’il ne dit pas que des conneries. C’est pas Le Pen, parce que c’est bon hein ! » 

Mira : « Moi j’adore parler avec les gens, rencontrer des inconnus comme ça. Je peux parler de tout sauf de politique parce que je ne m’y connais pas assez. »