À la rencontre des Français (6/10) : À moins d’un mois de l’élection présidentielle 2022, les dix journalistes de la rédaction de l’Écornifleur sont partis en reportage à la rencontre des Français pour sonder leurs attentes : entre espoirs et désillusions.

Depuis quelques années, les disquaires ont bénéficié du regain d’intérêt pour les vinyles mais font face à l’augmentation des prix et à la concurrence de plus en plus rude avec la Fnac et Amazon. Ludovic Ferrara, gérant du Tiki Vinyl Store à Lyon, défend le contact humain face aux plateformes numériques, un contact paradoxalement renforcé avec la crise sanitaire. 

Ludovic Ferrara gère le Tiki vinyl store, au cœur des pentes de la Croix-Rousse, dans lequel il vend des vinyles de tout genre musicaux à un public de plus en plus intergénérationnel, mardi 2 février 2022. © Ange Torlotting

« La machine du diable, faut que ça s’arrête », lâche Ludovic Ferrara évoquant la suprématie des plateformes digitales d’écoute de musique en ligne. Lui, vend, conseille et discute avec ses clients depuis 2014. Dans cette étroite boutique nichée au cœur d’une rue calme des Pentes de la Croix-Rousse à Lyon, Ludovic Ferrara trie ses vinyles dans les deux rangées qui jonchent le magasin sous un fond musical des Black Pumas. Dans le quartier, il est surnommé « Monsieur Tiki » en référence à son magasin de vinyle, le « Tiki vinyle store » qu’il a ouvert il y a huit ans. Ce quinquagénaire aux cheveux longs, au regard vif et aux tatouages tahitiens est un homme accueillant, passionné et apprécié dans le quartier. « Le Tiki » est un magasin calme et lumineux, truffé d’objets polynésiens et agrémenté d’un palmier, un oasis pour les passionnés de musique en tout genre. Orelsan, Pink Floyd, Angèle, Metallica… Ludovic vend tous types de vinyles, « la musique est un plaisir égoïste, si je peux le retransmettre ne serait-ce qu’un tant soit peu j’ai réussi », résume-t-il fièrement. Par la vente de disques, Ludovic cherche aussi à renouer un lien local, presque social, avec les habitants du quartier.

Après avoir débuté en tant qu’employé dans un disquaire alors qu’il était encore étudiant à Grenoble, Ludovic travaille pendant 20 ans à Paris dans diverses maisons de disque, dont Sony. Il se lance en 2014 dans ce magasin de vinyle, fort de son expérience et animé par sa passion inébranlable des disques. Un pari risqué pour celui qui a tout investi de sa propre poche. « Les quatre premières années ont été difficiles, aujourd’hui cela fait depuis quelques mois que je me verse un SMIC », confie-t-il à l’Écornifleur. La concurrence, menée par Amazon et la Fnac notamment, font mal aux disquaires indépendants comme le Tiki. S’ajoute à cela, le prix des vinyles qui ont augmenté en même temps que la demande a explosé. Il faut débourser aujourd’hui entre 25 et 35€ pour un album simple et jusqu’à 50€ pour un double album, la faute aux grands distributeurs qui ont augmenté leurs prix ces deux dernières années. « J’applique le même coefficient multiplicateur pour faire ma marge depuis le début », se justifie Ludovic qui déplore une augmentation des prix qu’il juge infondée. Les taxes sont aussi un problème pour Ludovic Ferrara : « aujourd’hui on est taxé à 20%, j’aimerais une TVA à taux réduit mais aucun candidat à la présidentielle ne va proposer ça », se désole-t-il.

“Le 11 mai à la réouverture, j’avais les larmes aux yeux”

Depuis 2014, Ludovic Ferrara a constaté l’impressionnant renouveau de l’industrie du vinyle, un phénomène qui a notamment touché la jeune génération : « vendre des disques à des gens de ma génération, c’est sympa mais ils sont déjà convaincus, vendre à des jeunes ça fait quelque chose pour moi, j’ai l’impression de me voir jeune ». En 2015, 900 000 vinyles sont vendus en France, en 2020, le chiffre a plus que quadruplé avec 4,5 millions de vinyles vendus selon les chiffres du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP). Pour Ludovic, la crise de la Covid-19 a même été une période bénéfique pour son commerce : « Les gens ont voulus renouer avec un contact humain après le confinement, explique-t-il, le 11 Mai à la réouverture, il y avait une queue devant le magasin, j’avais les larmes aux yeux », raconte-t-il avec une émotion encore vive.

Alors que l’après-midi est assez calme, Ludovic prend le temps de conseiller chacun de ses clients. « Un ami m’a conseillé ce disquaire à Lyon pour la qualité de son choix et la beauté de la boutique, je dois avouer que je ne suis pas déçu », raconte Matthias, 25 ans, en étude d’ingénieur, qui faisait sa première visite. Agathe, elle, est une habituée du magasin, : « Cela fait maintenant quatre ans que je viens. Je viens autant pour discuter musique avec Ludo que pour acheter des disques », confie-t-elle en riant. « Je pourrais acheter mes disques à la Fnac pour moins cher et avec plus de choix mais je préfère faire vivre les commerces locaux », justifie Alex, 27 ans, avec un vinyle des Red Hot Chili Peppers sous le bras. En discutant avec quelques clients, on se rend rapidement compte que l’orientation politique penche à gauche, en particulier pour Jean-Luc Mélenchon, Les Verts ou Christiane Taubira. Les idées politiques les plus récurrentes sont la protection de l’environnement, le retour à une consommation plus locale et des mesures sociales fortes. « Quand j’entends des hommes politiques et les chaînes d’infos rabâcher la question de l’immigration alors que la planète est à ce point en danger, je suis sidéré », lâche Ludovic, soutenue par Agathe au guichet « on se demande bien comment on a pu en venir à ce sens des priorités ». 

Cette semaine, Ludovic est en plein déménagement, sa boutique va changer de place. Pas un grand bouleversement pour les habitués, la nouvelle boutique sera situé plus haut dans la rue mais dans un local plus grand : « on est un peu à l’étroit ici, le but est de pouvoir ouvrir en avril un magasin avec beaucoup plus de choix pour éviter que j’ai à en faire », explique-t-il tout sourire. Entre son déménagement et les élections présidentielles que Ludovic suivra avec attention, le mois d’avril s’annonce chargé.

Et pour la présidentielle 2022 ?

Ludovic : « Je vais aller voter. Je suis pour la mise en place d’une 6ème Constitution et aucun candidat ne propose cela malheureusement. Le candidat qui ressemble le plus à mes idées politiques est Jean-Luc Mélenchon mais je ne suis pas spécialement fan. Je voterai surement pour lui quand même au premier tour puis blanc au second. D’ailleurs, je milite pour que le vote blanc soit désormais comptabilisé ! ». 

Matthias : « C’est la première fois que je vais voter donc oui je ne vais pas manquer cette occasion, pour l’instant je me vois voter pour Les Verts mais rien n’est figé ». 

Agathe : « Oui bien sûr que je vais voter, pour moi ce sera Jean-Luc Mélenchon sans hésiter ! ». 

Alex : « Je vais aller voter pour la démarche citoyenne mais je voterai probablement Taubira et vote blanc au second tour ».