Le deuxième confinement engendré par la pandémie de COVID-19 a remis à mal la vie sexuelle des jeunes lyonnais de 18 à 25 ans, déjà entravée par la fermeture des lieux de sociabilité. D’après le sondage réalisé par L’Ecornifleur, 38% d’entre eux estiment ne pas avoir eu une vie sexuelle épanouie durant cette période. 

Le campus de l’École Centrale Lyon à Écully. Sur 16 personnes vivant à l’étage, 12 sont restées confinées sur place. 15/12/2020. ©Jeanne Le Bihan

« Sur Tinder et OkCupid, j’avais affiché les profils qui étaient dans un rayon d’un km pour qu’on puisse se rencontrer, sinon ça ne servait à rien », explique Chloé*, 20 ans. L’étudiante en master de sociologie à l’université Lyon 2 adapte les règles du confinement à ses besoins à l’aide d’applications de rencontre, pour avoir une sexualité épanouie sans pour autant risquer l’amende de 135€ : l’attestation de sortie autorise les déplacements brefs dans un rayon d’un kilomètre autour de son domicile.  Conséquence de la seconde vague de l’épidémie de COVID-19, le reconfinement n’a pas dissuadé certains jeunes de se donner rendez-vous dans des lieux publics pour se rencontrer. « Avec la fermeture des bars et des boîtes de nuit, il n’y avait plus de lieux de sociabilité », se souvient Manon, étudiante en deuxième année à Sciences Po Lyon. C’est pourquoi certains jeunes se sont remis sur les applications de rencontre. C’est le cas de Chloé. « C’est pendant le deuxième confinement, que j’ai le plus utilisé Tinder ». Le rendez-vous a été convenu à mi-chemin entre leurs deux logements au parc Blandan à Lyon. « Je ne me voyais pas l’inviter directement chez moi c’est un peu gênant ». Passer d’une conversation virtuelle à un rendez-vous privé réel lui a paru un peu précipité. 

Sondage réalisé par l’Ecornifleur via un questionnaire en ligne du 14 au 17 décembre 2020 auprès d’un échantillon de 179 personnes, représentatif de la population âgée de 18 à 25 ans résidant à Lyon.

Le deuxième confinement, qui a duré du 30 octobre au 15 décembre, a perturbé la sexualité d’une jeunesse déjà durement touchée par l’épidémie de la COVID-19 qui sévit depuis plus de dix mois. Afin de visualiser l’étendue de la situation, L’Ecornifleur a réalisé un sondage sur un échantillon de près de 200 jeunes lyonnais. 45% des 18-25 ans ayant répondu déclarent avoir ressenti un manque de câlins et de tendresse pendant cette période, et 31% avoir manqué de relations sexuelles. Des chiffres qui témoignent d’un sentiment de solitude très fort chez cette partie de la population : dans leurs appartements, confinés avec leur famille ou avec des amis, nombreux sont ceux qui souffrent d’une absence de sexualité. 38% déclarent ne pas avoir eu une vie sexuelle épanouie pendant le confinement. Les applications de rencontre ont pu être une alternative. 

 « Sans le confinement, j’aurais sûrement fait plus de rencontres. Je préfère rencontrer des gens en vrai car c’est toujours un peu gênant de rencontrer des gens sur des applis. Qu’est-ce que tu racontes à tes futurs enfants après ? », explique Manon qui a téléchargé Tinder et Bumble durant le deuxième confinement pour passer le temps. 57% des célibataires de notre sondage ont révélé ne pas avoir utilisé une application de rencontre durant le confinement. Cela contraste avec le rapport de Match Group, propriétaire de Tinder et Meetic, qui mentionne une hausse de 35% des échanges entre les moins de 30 ans à l’échelle mondiale durant le premier confinement.

« Pendant le confinement t’as plus envie de rencontrer de nouveaux gens dans une optique sexuelle. Mais je suis moins chaude de faire des dates avec le confinement » », pense Johanna*, étudiante de 22 ans à Sciences Po Lyon. Pour ceux qui cherchent l’amour, le confinement a tout chamboulé avec la fermeture des lieux de sociabilisation habituels : l’heure est aux amants.

13% des célibataires ont acheté un objet sexuel pendant le confinement

Vente d’objets érotiques et jouets sexuels au love-shop Red District, 2ème arrondissement à Lyon. 15/10/2020. © Adèlia Paolillo

Depuis la fin du premier confinement, « de plus en plus de jeunes osent venir » remarque Paloma, employée au « love-shop » Red District dans le 2ème arrondissement.  Contrairement aux « sex-shops », qui sont souvent associés à des lieux sombres et à des publics très masculins, ces commerces à la mode s’adressent à un public plus mixte et proposent notamment des objets destinés aux couples. Dans le sondage, plus d’une personne sur dix a fait l’acquisition d’un nouvel objet dédié au plaisir sur la durée du confinement.  56% des personnes en couple interrogées, n’étaient pas confinées ensemble. « Les marques avaient tendance à mettre plus en avant les objets sexuels connectés pour les couples à distance. » constate Paloma. 

Durant le deuxième confinement, les marques commercialisant des jouets érotiques, comme Amorelie, ont multiplié les partenariats avec des influenceuses sur Instagram. « Alex_en_vrai », qui se présente comme une coach en séduction, partage par exemple à ses 130 000 abonnés des codes promotionnels pour acheter le calendrier de l’avent de l’entreprise allemande : vibromasseurs de toutes tailles, menottes… « Si je fais cette vidéo c’est pour vous aider, pour vous donner des idées pour allier sexe et confinement. Ce qui vient nous sauver aujourd’hui c’est l’utilisation de petits objets qu’on n’utilise pas forcément au quotidien : sex-toys, accessoires... », affirme-t-elle dans une vidéo IGTV du 8 novembre dernier. La rappeuse Tracy De Sa « tracy.desa » propose elle aussi des réductions sur le calendrier avec un code promotionnel à son nom dans une vidéo du 17 novembre. 

«L’aspect construction sociale de la sexualité est forcément bousculé »

« En mars-avril tout le monde a serré les dents en se disant « ça va passer, à un moment on va être de nouveau dehors. Ça recommence et hors de question de revivre ça », explique Isabelle Motel-Picard, psychomotricienne sexologue à Lyon. Pour beaucoup, les difficultés de couple révélées pendant le premier confinement et l’isolation ressentie sont à éviter une seconde fois. 44% des jeunes en couple interrogés ont fait le choix de se confiner ensemble. Si cela peut être bénéfiques à certains, la sexologue analyse un problème récurrent : « Il y a des difficultés qui vont être révélées par le confinement. Le problème essentiel, c’est la baisse de désir ». Difficile d’entretenir celui-ci quand chaque jour ressemble au précédent.

Avec le confinement, la transgression devient la norme, et avoir une sexualité pour les célibataires un interdit. Près d’un tiers des jeunes interrogés déclarent avoir enfreint les restrictions sanitaires pour avoir des relations sexuelles. Seuls 5% d’entre eux indiquent ne pas l’avoir fait pas peur de la COVID-19, contre 19% parce qu’ils manquaient d’opportunités. D’autres jeunes, réticents à des relations purement sexuelles ont pu franchir le pas. « J’ai rencontré un garçon via Tinder et je suis allée directement chez lui. Ce que je n’aurais pas fait en temps normal », raconte Johanna, étudiante de 22 ans à Sciences Po Lyon. « 18-25 ans, c’est l’âge où l’on papillonne », rappelle Isabelle Motel-Picard. Avec le deuxième confinement, la lassitude est grande : vie étudiante arrêtée, espaces publics fermés, et cours à distance. De plus, tous ne peuvent pas se déplacer ou accueillir des amants chez eux : 43% des célibataires sondés ont constaté que leur lieu de confinement avait eu un impact négatif sur leur vie sexuelle. 

« Tout le monde au C6** ce soir ! »

Le C6, c’est le sixième étage d’un bâtiment de l’École Centrale de Lyon à Écully. Plusieurs campus, dont celui de cette école d’ingénieurs, sont restés ouverts aux élèves depuis le 30 octobre. « Sur 450 élèves de première année, 400 environ ont décidé de se confiner ici », estime Jérémie*, 21 ans. Une option qui permet de garder une vie sexuelle active dans le microcosme d’une promotion : « Moi j’ai eu une aventure sexuelle : une fille d’ici, on se chope en soirée, on dort ensemble, mais sans plus. Comme ça aurait pu se passer depuis la rentrée ». Interdit de sortir du campus, mais les étudiants se retrouvent le soir. L’école a été très touchée par la seconde vague de l’épidémie à l’automne : « On peut presque parler d’immunité collective ». Plus de peur d’attraper le virus donc, y compris en fréquentant plusieurs partenaires. Jérémie évoque une vie étudiante presque normale, avec des soirées rythmées par la drague et les rapprochements entre étudiants.

Toutefois, comme à l’extérieur de la vie de campus, les rencontres amoureuses se font rares. Je ne connais personne qui se soit mis en couple pendant le confinement. « C’est plutôt des gens qui se chopent en soirée, des plans culs majoritairement », avoue Jérémie. Ici aussi, 2020 est moins propice aux couples. Un autre étudiant de première année, Léo*, 20 ans, partage cet avis : « Si je rencontre quelqu’un maintenant ce sera un coup d’un soir ». Les deux étudiants confient avoir augmenté leur consommation de films pornographiques. Jérémie raconte : « C’est quand il n’y a pas de soirées. Je vais regarder un film normal puis un film de cul. Mais la fréquence était déjà haute avant ! ». Ils estiment en réalité être presque confinés depuis leur rentrée, et souffrir du manque de rencontres depuis longtemps. « Moi je n’ai pas eu de relations sexuelles depuis que je suis à Centrale, le confinement n’a rien changé », ajoute Léo. 

Pour ceux qui le transgressent, l’amende n’est pas le seul risque à craindre : « Les personnes multipartenaires qui avaient l’habitude d’aller régulièrement se faire dépister ont suspendu leur prise en soin. », constate Isabelle Motel-Picard, psychomotricienne et sexologue. Elle déplore le manque d’attention des jeunes pour les campagnes de dépistage : « On va peut-être avoir une deuxième épidémie tout aussi inquiétante en IST ».   

*Pour protéger l’anonymat de la personne, le prénom a été modifié.
**Pour protéger l’anonymat des étudiants concernés, le nom du bâtiment a été modifié.