Isolés à cause de la crise sanitaire, les étudiants lyonnais fumeurs de cannabis ont adapté leurs pratiques de consommation au cours des confinements.
« Sans confinement, je ne me serais jamais mis à fumer seul ». Pour Gauthier*, étudiant lyonnais de 21 ans, le second confinement dû à la pandémie de Covid-19 a perturbé son quotidien et notamment sa consommation de cannabis. Selon lui , un cap a été franchi en ne se limitant plus aux soirées entre amis pour consommer. Ce qu’il craint ? Le début d’une dépendance. La tête baissée sur le joint qu’il est en train de rouler, il confie : « Pendant ce confinement, ma consommation a tout de même stagné ». Les restrictions de déplacements en vigueur ne l’ont pas empêché d’acheter ses doses entre le 29 octobre et le 15 décembre. Au-contraire, les dealers se sont réinventés pour proposer un service quasi-professionnel de livraison améliorant le confort du client. « C’est rigolo, tu reçois des SMS avec des promotions “COVID19”. Puis le livreur t’amène ça en voiture, en 30 minutes, dans une boîte plastique fermée avec un opercule en acier. C’est fou ! », s’amuse Gauthier. Dans d’autres messages qu’il reçoit régulièrement, on découvre également un système de parrainage rôdé, et même des menus weed pour attirer de nouveaux consommateurs. Un plan de communication soigné pour continuer leurs activités : « Pas de confinement pour nous ! N’hésitez pas à partager nos services de livraison à vos amis ». L’adaptation des modes de vente de cannabis a permis aux étudiants de combler leur sentiment de solitude : « C’est ennuyant la vie en confinement, ça passe le temps… », soupire Gauthier.
Cette lassitude, Lisa* la ressent également. Cette jeune de 23 ans a perdu ses deux emplois étudiants dans la restauration pendant le confinement. « Ça m’a ajouté du stress et de l’ennui. C’étaient des jobs très prenants que j’appréciais beaucoup », précise-t-elle en visioconférence depuis son domicile familial en banlieue lyonnaise. Sa dépendance l’oblige à grignoter sur son épargne et sur sa prime d’activité pour se fournir en marijuana. « Les prix se sont un peu envolés. Avant, pour un gramme de weed, on payait cinq à six euros. Aujourd’hui, on est plus autour des huit à neuf euros », explique-t-elle. Cette hausse des prix n’a pas ralenti Lisa dans sa consommation personnelle. Avant le confinement, elle fumait trois à quatre fois par jour. Désormais, c’est une douzaine de joints qui rythment son quotidien. Elle précise : « En dehors du confinement, 50 grammes de beuh suffisait pour un mois. Maintenant ces 50 grammes partent en deux semaines ». Sa consommation explose et la jeune femme va jusqu’à débourser 850 euros par mois. Une somme considérable qui ne dissuade pourtant pas Lisa.
Les propos de ces étudiants se confirment par l’étude menée par Nina Tissot, coordinatrice pour l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie en Auvergne Rhône-Alpes « L’accès restreint aux produits durant le premier confinement n’a pas été effectif. Les réseaux se sont en partie adaptés. Il a néanmoins été constaté parfois une hausse des prix, ou parfois encore une diminution de la qualité sur certains produits avec plus de coupes », explique-t-elle.
«Les consommations ont été plutôt stables »
Sarah Perrin, doctorante à l’Université de Bordeaux et spécialiste en sociologie des drogues, relate deux paroles scientifiques qui ont émergé durant le premier confinement. « La première pense que les jeunes ont plus consommé pendant ces périodes pour faire face notamment à l’isolement. L’autre parole insiste sur la baisse des consommations du fait de l’annulation des évènements festifs et des soirées privées ».
Pour d’autres étudiants, le confinement a produit l’effet inverse sur leur consommation. C’est le cas de Loraine*, étudiante à Sciences Po Lyon. Elle se considère « consommatrice très très occasionnelle », en dehors des périodes de confinement. « Normalement, c’est vraiment une pratique que j’assimile avec des potes, en soirée, dans une ambiance festive et pas de façon systématique », décrit-elle. Du fait des mesures sanitaires qui interdisent l’organisation d’évènements festifs, Loraine n’a pas ressenti le besoin de fumer avec ses amis. Elle résume en riant : « Pas de soirée, pas de pote, pas de joint ». Cette réduction sensible de la fréquence des consommations, Mathieu* étudiant de 23 ans la partage. Pour le confinement, il a choisi de rejoindre sa mère et son frère dans le logement familial situé à Paris. Ce contexte ne lui paraissait pas propice pour fumer : « Avant ce confinement, je fumais régulièrement avec mes amis. Mais étant avec ma famille, je n’avais pas de réelle opportunité de fumer, ni même spécialement envie ».
Un suivi médical renforcé en période de confinement
Dans son cabinet situé sur le campus Porte des Alpes de l’Université Lyon 2, Mickaël Legouet, infirmier au Service de Santé Universitaire (SSU), spécialisé dans le domaine de la psychiatrie, reçoit régulièrement une vingtaine d’étudiants consommateurs de produits stupéfiants pour un soutien psychologique. « Le confinement a eu un impact sur la vie des étudiants. Ce que l’on a pu voir dans unrapport de l’Observatoire de la Vie Étudiante, c’est l’augmentation de la souffrance psychologique liée à l’isolement. Il y a eu également majoration des idées suicidaires, et de l’angoisse plus présente ». Selon ce rapport, 14,5% des étudiants interrogés reconnaissent avoir augmenté leur consommation d’alcool durant le confinement.
Après l’alcool, le cannabis est l’addiction principale chez les étudiants pour ce professionnel de santé « C’est le produit le plus accessible et le plus consommé par les jeunes actuellement. C’est l’un des plus facile à se procurer et le moins onéreux ».
À l’annonce des confinements, la crainte de voir les consommations augmenter était bien présente pour cet infirmier d’une trentaine d’années. « Je suis surpris. Vu les répercussions des confinements sur le plan psychique, je pensais que cela augmenterait les consommations de certains, que d’autres allaient changer de produits pour s’anesthésier des différents maux qu’ils rencontrent, raconte-t-il. En réalité, je ne constate aucun mouvement au niveau des consommations. J’ai même pour ma part une nette amélioration, l’angoisse des patients a diminué ».
Thomas*, étudiant en sciences cognitives de 21 ans à Lyon fait l’objet d’un suivi médical pour soigner ses troubles de l’anxiété et évaluer sa consommation de cannabis instable. Psychologues et médecins l’accompagnent dans sa psychothérapie. Mais selon lui, cette méthode ne suffit pas et renoncer à ses doses n’est pas envisageable dans cette situation d’isolement : « J’ai été suivi par plusieurs psys, et ça n’a jamais vraiment collé. Alors que quand je fume, j’ai l’impression de m’enfermer dans un petit cocon, de prendre soin de moi ».
Ce constat est corroboré et étendu à une plus grande échelle par une enquête scientifique en attente de publication. Valentin Flaudias, docteur en neurosciences à l’Université Clermont Auvergne, est l’auteur de cette étude en ligne, menée sur plus de 5700 étudiants du 26 au 27 mars 2020. Il a accepté de nous en révéler la tendance principale : « la consommation de cannabis pendant les deux confinements est à la baisse chez les étudiants ».
Quant au retour à la « vie normale », MickaelLegouet se montre également plutôt confiant. « Les étudiants qui n’avaient pas l’habitude de consommer et qui sont fragilisés sur le plan psychologique ne consommeront pas plus pour autant. Je ne pense pas que ça va être un appel d’air pour eux ».
*les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.